mardi 13 mai 2008

La liberté d'expression en hauts talons

«J’ai atteint l’âge de onze ans et ma voix est devenue ma honte. Ainsi ont parlé les femmes de ma famille : la voix fait partie de l’honneur de la femme. Plus cette voix s’élève et plus le respect pour la femme diminue. Sa voix ne doit être qu’un murmure. Ce qui veut dire que ma voix est un péché. Elles ont dit aussi que mes regards sont un péché, que mes rires sont un péché.Elles ont dit que l’honneur de la société est entre les cuisses de ses filles, que l’honneur des hommes s’efface lorsque je souris, que l’honneur de tous les hommes de la famille est perdu au premier regard d’admiration que j’échange avec un homme. Elles ont dit que la pudeur des vierges doit être exemplaire. C’étaient des femmes qui m’ont raconté comment je devais avoir honte des attributs de la nature. Des femmes qui m’ont appris comment mes yeux devaient être rivés au sol, ne serait-ce que par ruse. «Mes cheveux aussi sont un péché. Mon institutrice a juré un jour que le visage de la femme était fait pour réjouir uniquement son époux ; que la fonction de la femme est achevée lorsqu’elle livre son corps à un homme. J’aurais voulu l’interroger : «Et si je ne me marie pas ? Que ferai-je de mon visage, cet élément de séduction que je possède ? J’ai grandi, et l’imam de la mosquée m’a cassé les oreilles tous les vendredis, perturbant mes révisions avec ses envolées extrémistes. Il affirmait, sous mille et un serments hebdomadaires, que le corps de la femme est une malédiction dont il fallait bannir la présence. «Tout en moi est donc péché. Pourquoi ais-je donc été créée ? Est-ce pour ça qu’ils ont choisi pour moi le noir ? Pour que je proclame au monde le deuil d’être née femme ? Et comment me suis-je résignée, moi, à la timidité, à la honte, au lieu de m’enorgueillir des merveilles de la création ? Les merveilles de la féminité. Question plus importante : quand est-ce que la femme a commencé à avoir honte de son existence ? «Tout ce que je sais, en ce qui me concerne, c’est qu’ils ont introduit des leçons sur le cycle menstruel dans les manuels religieux. J’ai appris ma leçon : il est écrit que je dois être une impure («nadjasse ») durant plusieurs jours dans le mois. J’ai cherché la signification du mot impure dans les dictionnaires arabes et toutes les définitions aboutissaient à celle-ci : sale ! C’est alors que j’ai éprouvé de la honte. Comment puis-je ne pas avoir honte, moi la souillon ? Je ne suis pas un être sain, ni propre. «Puis, j’ai parcouru le monde et j’ai vu. J’ai vu des statues des dieux antiques dans leur nudité. J’ai vu des corps de femmes sculptés ou gravés dans les rues et sur les routes, sur les parois des grottes, à l’intérieur des palais et des citadelles, avec une ferveur quasi mystique. Tous ont rivalisé de talent pour sculpter mon corps qui renferme le secret des merveilles de la création, le symbole de la fertilité et de la fécondité. Le corps devant lequel les anciens et les idolâtres n’ont pu dissimuler leur extase et qu’ils ont sanctifié et adoré. Je me suis imaginé quel aurait été le sort de ces sculptures et de ces gravures si elles avaient été laissées dans notre région. J’ai pensé qu’elles auraient été détruites ou recouvertes de voiles. Mais j’ai imaginé aussi qu’elles auraient pu inspirer le respect de la société pour les corps de ses femmes, au lieu de la répulsion. Comment les anciens ont glorifié mon corps et comment les miens l’ont offensé. «Je suis revenue à ma société. Là où les hommes sont fiers de montrer des pans de leur corps. Là où les femmes sont fières d’exhiber les surfaces de tissus utilisés. Contre toute logique, celle qui veut que ce soit les hommes qui devraient avoir honte de leur corps. Car le corps de la femme est plus beau. C’est la beauté qui devrait être généralisée dans la rue, et non pas l’inverse. Je suis revenue là où les tissus sont les premiers facteurs de distinction entre les êtres et de violation de toutes les chartes et de tous les droits humains. Quelques mètres de coton suffisent à juger si celles qui s’en couvrent sont dépravées ou vertueuses. «Coton, laine et soie : tels sont les critères de la morale ici, tant que toutes les choses se déroulent à l’intérieur des murs et que rien n’apparaît sur l’asphalte. La première gifle morale que j’ai reçue de la société, c’est lorsque j’étudiais dans un de ces établissements secondaires où les élèves et les enseignantes étaient rigoristes jusqu’à l’extrémisme. La façon dont nous portions l’habit traditionnel suffisait à nous classer. C’est ainsi qu’il fut décrété que toutes les élèves connaîtraient la béatitude au paradis à l’exception de ma camarade et de moi. Nous irions rôtir en enfer et nous serions dévorées par les hyènes. «Un jour, une de mes condisciples me demanda de téléphoner à son amoureux pour fixer leur prochain rendez- vous, son propre téléphone étant en panne. «Comment peux-tu me demander ça, toi l’élève modèle voilée et qui ne montre ni ses mains ni ses pieds ? Elle me répondit : «Qu’est-ce que ceci a à voir avec cela ? Toi, tu es une mécréante, parce que tu ne respectes pas le port du voile et que tu laisses des parties de ton corps livrées sans honte au regard des étrangers». Tels sont les critères de la morale ici, tant que tout se déroule à l’intérieur et que rien ne transparaît sur l’asphalte, tant que le corps est entièrement recouvert. Il reste que c’est le même corps dans les murs et hors les murs. La différence réside dans les lois qui sont en vigueur en de ça et au-delà des murs».


Ce texte dont je vous ai proposé de larges extraits est de l’écrivaine saoudienne Nadine Albdaïr. Cette jeune femme refuse de se soumettre à l’ordre établi et elle l’exprime chaque jeudi dans le quotidien saoudien Al-Watan. Ses prises de position sont un pied-de-nez au fondamentalisme saoudien. On peut s’étonner que de tels écrits soient publiés dans la presse du royaume qui ne laisse pas beaucoup d’espaces de liberté, surtout aux femmes. Certains peuvent même en conclure qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Néanmoins, Nadine Albdaïr dérange et interpelle sa propre société. Récemment, Nadine a pris la défense de la danse orientale, ou «danse du ventre» dans un dialogue imaginaire avec un adversaire de cet art. Elle affirme pratiquer elle-même la danse orientale pour se mettre en forme avant d’écrire. Alors qu’un journaliste américain lui demandait pourquoi elle portait des talons hauts alors qu’elle n’en avait pas besoin, elle a répondu : «Je le fais parce qu’ils claquent sur le pavé. Une femme doit se faire entendre lorsqu’elle marche. Pour moi, c’est aussi une forme de contestation des interdits masculins». L’écrivaine saoudienne a, par ailleurs, vertement tancé les libéraux saoudiens qui réclament la démocratie tout en la refusant dans leurs propres familles. Bien entendu, tous les sites intégristes l’abreuvent d’injures et de qualificatifs infâmants. L’un d’eux a même décidé de la porter sur la liste des sybarites et des libertins du siècle, aux côtés de Nizar Qabbani et de… Mohamed Arkoun. Une sacrée référence en ce qui me concerne et qui m’a donné l’envie de vous la faire connaître. Avec de tels exemples, je ne comprends pas pourquoi nos écrivains et journalistes s’obstinent à imiter l’Arabie saoudite d’il y a trente ans. Sommes-nous condamnés à toujours nous repaître des produits abandonnés par les autres ? Même notre fondamentalisme ressemble étrangement à ces déchets que les riches viennent enfouir dans le sol des pauvres.

Ahmed Alli Le soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/05/05/article.php?sid=67872&cid=8

3 commentaires:

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