lundi 21 avril 2008

Une fetwa peut en cacher une autre

Un lecteur respectueux des règles de la politesse, ce qui est rare, me reproche de ne voir que le côté obscur des choses chez mes supposés compatriotes et frères extrautérins. Je lui ai conseillé de feuilleter les pages de ses journaux favoris et de me trouver des faits qui suscitent, un tant soit peu, la satisfaction ou l’espoir. Réponse immédiate et triomphaliste de mon correspondant : pourquoi ne pas parler de la dernière fetwa de Karadhoui autorisant la consommation des boissons alcoolisées.Effectivement, de telles initiatives peuvent inciter à l’optimisme, voire à l’euphorie s’agissant de promesses d’ivresse. Chose promise, chose due, je dois rappeler d’abord que les fetwas de Karadhaoui sont souvent éphémères. Elles sont immédiatement démenties par l’intéressé lui-même, dans une de ses séances de mise en condition sur Al-Jazira. Une «contrefetwa » vient parfois annuler et remplacer la fetwa sujette à contestation. Dans le cas de Karadhaoui, il faut se méfier davantage : une fetwa peut en cacher une autre. Ne vous étonnez donc pas si le théologien en chef du Qatar et de l’Internationale islamiste nous sert, dans la foulée, une fetwa susceptible de provoquer la gueule de bois. Enfin, comme tous les théologiens tournant autour du pot (de vin), Karadhaoui enrobe sa fetwa de multiples «considérants». Ce qui la rend aussi peu lisible qu’une résolution du FLN, au bon temps du parti unique. Néanmoins, on peut déduire de cette fetwa que le cheikh, par ailleurs mari comblé d’une de nos concitoyennes, nous autorise à boire sous certaines conditions. Il faut que la boisson ait été fermentée, et donc alcoolisée, naturellement et le degré d’alcool dudit breuvage ne doit pas dépasser les cinq degrés, ou volumes d’alcool. Ce qui réduit sérieusement l’éventail du choix et restreint l’accès aux sources de l’ivresse. Là encore, c’est une question de flacons et elle est importante quoi qu’en dise l’adage. Or, à ma connaissance, il n’y a que des boissons alcoolisées comme la bière qui peuvent figurer sur l’échelle de Karadhaoui. De là à penser que les fabricants de bière pourraient tirer de substantiels avantages de cette fetwa, il n’y a qu’un pas que vous pouvez franchir, mais sans moi.


Sans trop s’interroger sur les tenants et les aboutissants de cette fetwa, notre confrère Nidal Naissa, journaliste syrien d’origine afghane, estime que la fetwa de Karadhaoui mérite qu’on s’y arrête. Il explique que le cheikh qatari s’attaque à un sujet, l’alcool, considéré comme le pire des maux par les musulmans. «Ils disent (les musulmans) qu’il égare l’esprit et le sens de la pudeur. Après son interdiction et en son absence, la raison arabe et musulmane s’en est allée aussi et, grâce à Dieu, sans espoir de retour. Les théologiens qui ont légiféré sur l’alcool n’ont épargné personne. Ils ont stigmatisé le buveur, le vendeur, le transporteur, etc. En dépit de cela, de nombreux musulmans ont continué à boire de l’alcool sans tenir compte des interdictions, des menaces et des promesses de séjour au purgatoire. Aujourd’hui, les opérations de contrebande de l’alcool sont une activité florissante dans plus d’un pays musulman fondamentaliste. C’est un commerce évalué à plusieurs centaines de milliards de dollars et ni l’imam Malek ni Karadhaoui et les théologiens n’y peuvent rien. Tous les textes théologiques les plus virulents n’ont pas empêché de nombreux musulmans de boire pour fuir une réalité oppressante et immuable. De plus, cette activité est source de prospérité pour de nombreux pays occidentaux comme la France qui s’enrichit et enrichit ses citoyens non musulmans grâce à ses vins réputés. Pendant ce temps, des pays qui interdisent la consommation et la vente d’alcool et les punissent par la flagellation souffrent de malnutrition. La pénurie de médicaments, l’ignorance et l’analphabétisme, le développement de la superstition sont le lot quotidien ». «Quel magnifique spectacle ce serait de voir, après cette fetwa, un barbu avec sa «zebiba» (tache sur le front qui serait occasionnée par de fréquentes prosternations), sa «dichdacha» et son chapelet, consommant de l’alcool à cinq volumes autorisé et donnant libre cours à sa verve créatrice », conclut Nidal Naissa en guise de souhait.



Ayant la nationalité syrienne et vivant à Damas, notre confrère est l’un des rares journalistes arabes à incriminer l’impuissance des autorités syriennes dans l’attaque informatique qui a eu lieu lors de l’ouverture du sommet arabe. Personnellement, le seul enseignement que je tire de cet événement, c’est que Karadhaoui a pratiquement le droit de tout dire et d’innover (Ibdaâ) sur tout, sans encourir les foudres de ses pairs. Cela fait quand même une semaine que la fetwa a été lancée et il n’y a pas eu une seule accusation d’apostasie ni une sentence de mort contre Karadhaoui. Des réactions, il y en a eu certes mais elles n’ont pas atteint la violence des attaques lancées contre Djamal Al-Bana. Ce dernier n’a fait pourtant que cautionner les étreintes fugitives et les baisers chastes entre jeunes de sexe opposé. Avec Karadhaoui, et sa bière à cinq degrés, on peut imaginer jusqu’où peut aller un homme sous la forte emprise de l’alcool. Karadhaoui sait sans doute beaucoup de choses sur les hommes mais il doit ignorer cette loi universelle : «Quand le vin est tiré, il faut le boire.»



Pour en finir avec Karadhaoui et consorts, et revenir à une réalité plus brutale ce qui est naturel, j’ai découvert sur le magazine Middle East Transparency une nouvelle écrivaine saoudienne contestatrice nommée Nadine Al- Badir. Cette femme nous livre cette semaine un pamphlet d’une rare audace sur la polygamie en pays musulman. Elle observe d’abord que dans les pays comme la Tunisie où la polygamie est interdite, le divorce est en chute libre. Tandis qu’en Arabie saoudite, avec la prolifération des mariages légaux, les divorces connaissent une hausse vertigineuse. Nadine Al-Badr raconte que dans son enfance, elle embêtait toujours sa tante avec la même question : «Pourquoi as-tu laissé ton mari prendre une deuxième femme ?» Et, au fil des ans, la réponse de la tante était toujours la même : «Que puis-je y faire ?» Et Nadine de revenir à la charge : «Pourquoi ne peux-tu rien faire ? Réponse : «C’est le pouvoir de la providence.» - «Mais la providence est juste, elle ne veut pas faire pleurer les êtres humains. Elle ne veut pas que le cœur des femmes soit déchiré.» - «C’est ainsi que Dieu l’a voulu. Nous sommes en bas et ils sont en haut. Nous sommes des femmes et ce sont des hommes. L’important, c’est ce que nous aurons dans l’Audelà. » Plus tard, l’écrivaine s’est adressée à sa mère pour lui demander pourquoi elle permettait à son mari d’avoir ouvertement des relations extra-conjugales. Réponse plus nuancée de la maman : «Chaque chose en son temps.» «Pourquoi ne voit-on pas dans nos rues un homme relativement jeune accompagné d’une épouse plus âgée que lui ? Pourquoi est-ce le privilège des hommes de désirer et d’épouser des femmes de l’âge de leurs petites-filles, dès qu’ils sentent le poids des ans ? Pourquoi accorde-t-on leurs droits politiques aux femmes si c’est pour leur contester le droit de revendiquer un meilleur statut pour elles et pour leurs semblables ?» Pensez-vous, ami lecteur, que l’actualité du monde arabe incite à l’optimisme ? Si vous avez encore des doutes, pourquoi ne pas interroger votre mère ou votre grand-mère ?

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/21/article.php?sid=67259&cid=8

jeudi 17 avril 2008

CE QU'ILS CROIENT ET CE QU'ILS VOIENT

Ce que croient les Occidentaux à propos des Arabes et des musulmans, ou des deux à la fois, se résume le plus souvent à un chapelet de préjugés basés sur la méconnaissance de l’autre ou la mauvaise appréciation de ses faits et gestes. Ce sont ces préjugés qui fondent les jugements arabes sur l’Occident et occultent tout le reste, c'est-à-dire ce que nous montrons, nos attitudes et nos déclarations.C’est cette partie immergée de l’iceberg arabe, ces photographies instantanées d’eux-mêmes que les concernés s’obstinent à brûler. Peu nous chaud que cet entêtement suicidaire contribue à renforcer les préjugés d’en face. Les Arabes ont décidé une bonne fois pour toutes qu’avec ces gens-là il n’y a qu’une seule attitude à avoir : la douleur de la femme séduite et abandonnée ou, au mieux, la dignité affichée de l’époux bafoué.


Si j’étais un Occidental normal, aussi normal qu’un Algérien qui rêve de traverser la Méditerranée sur une chambre à air d’Airbus, que me disent les Arabes ces jours-ci ? Pour peu que j’aie la curiosité et le temps d’aller aux sources, voici ce que j’aurais vu ou entendu : En zappant, comme on dit, sur une chaîne satellitaire, j’ai aperçu des enfants palestiniens jouer aux adultes sur un chapiteau dressé à l’occasion de la journée de soutien aux orphelins. En tendant l’oreille, j’ai appris ainsi que ces enfants rêvent de créer des milliers d’orphelinats chez l’occupant pour égaliser les chances à la loterie du malheur. J’ai changé de chaîne lorsque les enfants adultes ont entonné des hymnes invoquant Dieu contre ceux d’en face, comme dans les prêches incendiaires des imams cathodiques. Choqué de découvrir tant de violence chez des enfants, j’ai abandonné la télé pour prospecter un autre terrain pédagogique. Toujours chez les Arabes, bien sûr. Avec le peu d’objectivité que me permettent encore mes préjugés, j’ai pu constater qu’au milieu de la confusion et du tohu-bohu arabes, perçaient encore quelques éclairs de lucidité. Des intellectuels et des journalistes arabes continuent de ramer à contre-courant et de croire qu’ils se reproduiront tout comme les saumons.

C’est ainsi que j’ai été attiré par le titre d’un article intitulé «Un autre complot occidental contre la famille musulmane pour nous empêcher de frapper nos enfants». L’article a été publié par le magazine Elaph et son auteur est Dalal El-Bizri, une écrivaine libanaise vivant au Caire. C’est l’histoire très banale publiée par un quotidien cairote qui raconte ce fait divers : un Egyptien incommodé par les cris et les bruits provenant de chez le voisin sonne à sa porte. Ce dernier explique que les cris sont de sa fille de 9 ans qu’il était en train de corriger et promet de faire moins de bruit. Mais le tapage reprend et le voisin, excédé, appelle la police. Cinq heures plus tard, la police arrive et découvre une petite fille de neuf ans enchaînée par les mains au plafond. La petite invoque la protection de son oncle maternel qui est aussitôt ramené. Tout ce beau monde se retrouve au poste de police où le père explique qu’il bat sa fille ainsi parce qu’il veut faire son éducation. Vous savez ce que c’est que d’élever une fille, dit-il à l’officier qui ne demandait apparemment qu’à être convaincu. Aussi le sermon de l’officier ne s’adresse-t- il pas au père violent mais à l’oncle affectueux que sa nièce a appelé au secours. Le policier demande à l’oncle de ne pas s’en prendre à son beau-frère et il renvoie tout le monde. Il décide même de remettre la petite fille entre les mains de son père, comme si rien ne s’était passé. Dalal El-Bizri rapproche ce fait divers du débat qui a eu lieu récemment au Parlement sur les enfants battus. Tout est parti d’une initiative du Conseil national égyptien de la mère et de l’enfant qui a présenté un projet de loi pour protéger les enfants contre la violence parentale. L’article 7 de ce projet prévoyait de considérer les châtiments corporels infligés aux enfants comme un délit punissable, comme tel, de six mois de prison. Cet article a eu un résultat inattendu, celui de voir se liguer contre lui les députés de la majorité et ceux des Frères musulmans. On s’attendait au moins à ce que le débat fasse vibrer la fibre maternelle chez les deux députées femmes de la commission, constate l’auteur, amis les «cœurs tendres» n’ont pas réagi. C’est ainsi que l’article 7 a été vidé entièrement de son contenu à l’issue d’une campagne des Frères musulmans qui a sollicité notamment les cheikhs d’Al-Azhar. Nombre d’entre eux ont mis en cause pêle-mêle la mondialisation, la conférence mondiale sur la population ainsi que la volonté de l’Occident de nous imposer ses normes en matière d’éducation des enfants. C’est ainsi qu’après avoir détruit leurs propres enfants et leur société, les Occidentaux s’attaquent maintenant à saper les fondements de la famille musulmane.

Dalal El-Bizri note que l’hostilité primaire envers l’Occident a été érigée en forteresse inexpugnable pour protéger nos plus grandes faiblesses et nos plus graves défauts. De plus, ajoute-t-elle, ceux qui ont vidé l’article 7 de son contenu pénal sont habituellement des adversaires irréconciliables : des députés Frères musulmans et des élus du Parti national au pouvoir. Ajoutez-leur les indépendants. On voit donc que la rivalité politique ne nuit pas aux amitiés nouées autour de la violence contre les enfants. Ni les adversaires politiques, ni les femmes, ni les indépendants n’échappent à ce background culturel qui détermine leurs actes, souligne encore Dalal El-Bizri. En tant qu’Occidentale qui n’a jamais reçu des coups de baguette sur la plante des pieds, j’ai été choquée par le sort de la petite fille enchaînée. Mais un reste d’objectivité me force à constater qu’il reste encore de l’espoir pour tous s’il y a encore des gens pour dénoncer, à défaut de servir de repères ou de… cibles. Ce qui m’a décidée à persévérer dans ma quête. En avançant encore encombres, j’ai lu sur un site internet que le régime syrien a tué plus d’Arabes que les Israéliens en soixante ans de guerres. Que le principal témoin, devenu principal suspect, du meurtre de Rafik Hariri, s’est soudainement volatilisé comme l’imam Moussa Sadr. J’ai pu noter aussi que les auteurs de fetwas sont de plus en précis dans leurs arrêts de mort. Un téléprêcheur égyptien a franchi un nouveau palier dans ce domaine en se portant volontaire pour l’exécution de la sentence suprême. Le cheikh Tarek Al-Djoundi, parlant de Djamal Al-Bana, a dit : «Si Djamal Al-Bana était membre d’Al-Azhar, je l’aurais égorgé de mes mains.» Cette déclaration n’a pas été faite sur une chaîne satellite quelconque mais sur la très officielle deuxième chaîne de télévision publique. Cela s’est passé sur le plateau de l’émission «Al- Beit Beitek» qui pourrait se traduire par «faites comme chez vous». Pour proférer de telles horreurs, le cheikh Tarek Al- Djoundi devait effectivement se sentir chez lui et au milieu d’une famille aimante et soumise. Comment voulez-vous qu’un Occidental normal, aussi normal qu’un Algérien qui rêve alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, se retrouve dans toute cette boucherie ?


Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/14/article.php?sid=66954&cid=8

mercredi 9 avril 2008

UN SAUVEUR MULTISTANDARD

Comme le prescrit la loi de proximité, je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’événement qu’a constitué la conversion au christianisme du journaliste arabo-italien Magdi Allam, éditorialiste du Corriere della sera. D’abord, parce que la campagne sur l’évangélisation en Kabylie s’essouffle, au profit de la troisième voie du salut. Ensuite, parce que la conversion d’un musulman au christianisme ne s’est pas faite dans l’atmosphère habituelle de clandestinité, voire de conjuration.Paradoxe : pendant que des «Néron» en herbe pourchassaient les apostats kabyles, Rome célébrait avec faste l’entrée d’un musulman dans son Eglise. A chacun sa vision du dialogue des religions : le pape Benoît XVI en personne a procédé au baptême en l’église Saint- Pierre de Rome. L’événement a même été retransmis en direct par plusieurs chaînes satellitaires, dont la saoudienne Al- Arabia qui s’offrait ainsi un habit de tolérance gênant aux entournures mais portant beau. Certes, la personnalité du converti a beaucoup joué : éditorialiste et vice-président d’un quotidien prestigieux, ses prises de position étaient très suivies. Adversaire résolu de l’Islam politique, il se manifestait comme un observateur lucide et critique de la communauté dont il était issu. Ses prises de position lui ont valu l’inimitié des chefs de file de la mouvance islamiste comme Tarik Ramadan.


L’homme qui propose une dangereuse ivresse dans un flacon doré a même étrenné, pour Magdi Allam, un nouvel anathème. On ne décrète plus que X ou Y est apostat, terme d’exclusion lourd de menaces, pour ne pas choquer l’opinion occidentale mais on le suggère. Pour ce qui est du journaliste originaire d’Egypte, Tarik Ramadan s’est simplement contenté de proclamer partout que Magdi Allam n’était pas musulman mais chrétien. Il pourra toujours ergoter en invoquant la dose d’omniscience que la providence lui aurait prodiguée. Magdi Allam vient de confirmer ce que Tarik Ramadan savait déjà par intuition, c’est un cœur de chrétien qui battait dans cette poitrine de musulman. Magdi Allam avoue d’ailleurs qu’il avait été tenté de se convertir au christianisme dès son arrivée en Italie, pour mieux s’intégrer dans sa société. Ce qu’il ne comprend pas, ce sont les réactions de haine et de violence qu’il a suscitées autour de lui alors que «des milliers de convertis à l’Islam vivent sereinement leur nouvelle foi».


C’est la même préoccupation qui revient sous la plume de notre confrère égyptien Saad Khalil qui s’attache au message véhiculé par cette conversion publique et ostentatoire. Dans le magazine Elaph, Saad Khalil estime qu’en baptisant personnellement Magdi Allam, le pape a interpellé le monde musulman. Il s’est adressé à ses chefs politico- religieux, avant la conférence sur le dialogue islamo-chrétien, pour leur dire : «Nous agirons avec vous par la réciprocité. Vous n’avez pas à islamiser nos enfants alors que vous nous interdisez de christianiser les vôtres. Tout comme vous encouragez les chrétiens à embrasser l’Islam, nous encouragerons les musulmans à se convertir au christianisme. Et si vous interprétez la conversion de Magdi Allam comme une prise de position de l’Eglise, nous sommes en droit d’interpréter la conversion des chrétiens à l’Islam comme votre prise de position. Nous tiendrons donc compte de vos sentiments pour peu que vous teniez compte des nôtres.» Saad Khalil minimise, en attendant, les réactions hostiles à la conversion de Magdi Allam et observe que les habituels ténors de l’anathème ne se sont pas encore manifestés. Il estime que cette absence d’agitation reflète le souci des dirigeants arabes et musulmans de donner une meilleure image de l’Islam, surtout depuis le sommet de la conférence islamique à Dakar. Toutefois, et à en croire la réaction de ce lecteur à l’article de Saad Khalil, la conversion de Magdi Allam n’est pas une perte pour l’Islam. C’est simplement un ennemi intérieur de l’Islam, une taupe en quelque sorte, qui s’est démasqué et a rejoint son camp naturel. C’est à peu de choses près l’opinion qui s’exprimerait dans nombre de pays arabes si un sondage était réalisé dans cette optique. Cette vision qu’exprime de façon plus subtile la figure de proue de l’Internationale islamiste, Tarik Ramadan, s’explique par le climat de forteresse assiégée que les dirigeants arabes ont instauré dans nos pays. Le poète palestinien Adonis résume très bien cet état d’esprit lorsqu’il parle de la traditionnelle tolérance des musulmans à l’égard des non-musulmans. Cette tolérance existe, dit-il, lorsque le musulman se sent en position de force et en présence d’une personne dont il sait qu’elle lui est inférieure, du point de vue religieux. C’est le cas lorsqu’il est confronté à un «Dhimi», c'est-à-dire un citoyen de second ordre. Enlevez ce sentiment de supériorité et la tolérance disparaît. Ce qui est valable pour les individus vaut aussi pour les Etats, et a fortiori pour les dirigeants de ces Etats. Il faut que le sentiment de confiance soit sérieusement atteint pour envoyer en première ligne des hérauts de moins en moins convaincants pour annoncer que le Sauveur va enfin agir. En l’espace de quelques mois, nous avons vu, et entendu, le sceptre du salut de l’homme et du pays passer des mains immatérielles de la providence à celle d’un homme.



On nous annonce pour le prochain quinquennat un homme providentiel pour tous les secteurs de la vie nationale, un sauveur multistandard en quelque sorte. La culture, le Mouloudia d'Alger, le sport, l'UGTA, et tous les chefs-d'œuvre en péril seront sauvés, et nos âmes bien sûr avec la Grande Mosquée. Pour vous montrer à quel point on en a besoin, je vous cite quelques extraits de l’article publié par l’écrivain koweïtien Khalil Ali Haïder, dans le quotidien des Emirats Al-Itihad. Dans cet article intitulé «Le dérapage algérien», l’auteur ne s’appuie pas sur un rapport de la CIA ou de la DST, et donc contestable. Il cite simplement un universitaire algérien, Salah Belhadj, qui lui fournit la trame de son article. L’écrivain s’arrête d’abord sur l’affirmation de ce dernier selon laquelle la société algérienne est une société modernisante et non une société moderne. C'est-à-dire qu’elle s’attache aux apparences de la modernité, à ses instruments techniques mais elle n’assimile pas les éléments culturels de la modernité. Elle n’évolue pas en profondeur car elle reste fondamentalement conservatrice. Sur le plan politique, le gouvernement se nourrit d’une culture religieuse conservatrice. Comme dans presque tous les pays arabes, ce gouvernement s’attache à respecter et à maintenir les repères fixés par les islamistes dans tous les domaines. Il tient aussi à ne jamais apparaître comme ayant moins de zèle religieux que les islamistes. Ce qui fait dire à Khalil Ali Haïder qu’en Algérie, les islamistes ont sans doute perdu une bataille mais ils ont gagné la guerre.A. H.
Ahmed Halli Le Soir d'Algériehttp://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/07/article.php?sid=66627&cid=8

mardi 1 avril 2008

Un visa vaut-il une messe ?

Finalement, les efforts conjugués de Bechar Al- Assad et de son mufti ont eu raison des réticences de certains chefs d’Etat arabes. Avec la foi ardente et le patriotisme exalté qu’on leur connaît, des présidents et souverains arabes ont fait le voyage de Damas. Ils échapperont ainsi aux foudres de Damas et au châtiment de la providence promis par le théologien en chef de la Syrie et de ses provinces.
Les Algériens ont encore eu droit à leur blessure d’orgueil traditionnelle : les observateurs ont noté l’absence des «grosses pointures» comme l’Egypte et l’Arabie saoudite à ce sommet. Ce qui relègue, de fait, l’Algérie au rang de petite ou moyenne pointure. Heureusement qu’ici, en Algérie, il y a des hommes, et des femmes, qui savent apprécier la valeur de leur pays et, surtout, les qualités hors normes de son président. Il ne faut pas compter sur les médias arabes pour chanter nos louanges et celles de nos chefs. Ces médias n’ont d’yeux que pour ce trublion de Kadhafi, catalogué tantôt comme le «sel» des sommets, tantôt comme la cerise sur le gâteau arabe. Comme à son habitude, le guide libyen a convié ses pairs à un exercice d’autoflagellation auquel les Iraniens ne sont pas restés insensibles. Il ne faut pas trop énerver l’Iran avec l’histoire de l’occupation de deux ou trois îlots arabes. Après tout, ce sont des musulmans comme nous et les chiites constituent 80% de la population de la région du Golfe, sans préciser si ce fameux golfe était arabe ou persique. Sur sa lancée, le frère Maâmar a annoncé une guerre contre les Arabes en 2008. A l’issue de cette guerre, l’ennemi américano-sioniste occupera encore d’autres territoires arabes. «Ainsi, a-t-il dit, les Arabes pourront revendiquer un retour aux frontières de 2008 comme préalable à un règlement de la crise du Proche- Orient.» Comme d’habitude, Kadhafi a été très chaleureusement applaudi à la fin de son discours, signe que l’assistance n’avait pas écouté un traître mot de sa diatribe. Réaliste d’ailleurs, il avait lui-même conseillé aux chefs de délégations de mettre des écouteurs, ce qui est normal dans une salle où tout le monde ne parle pas la même langue. Kadhafi consommé, il ne restait plus grand-chose à tirer de ce sommet que les Syriens ont organisé comme un coup de force. Et ils ont averti du reste : «Si ce sommet échoue, ce sera le résultat d’un complot américano- sioniste.» C’était reléguer au chapitre des amnésies collectives les multiples échecs des innombrables sommets et conférences de la «sainte ligue».



Dans son style habituel, le chroniqueur égyptien Sammy Buhairi ironise dans le quotidien koweïtien Al-Siassa sur ces accusations de complot lancées contre les USA «Supposons, ditil, que les Américains cessent de comploter contre les Arabes. Ce qui est plausible puisque je compte intervenir personnellement (1) auprès du président Bush pour le lui demander. J’ai, en effet, voté Bush pour le deuxième mandat et il est mon collègue au sein du parti républicain dont je suis membre. Ceci fait, et Bush ayant mis fin aux complots anti- arabes, que feront les Arabes ? Cesserontils de s’épier les uns les autres et de comploter les uns contre les autres ? Laisseront-ils leurs marchandises respectives circuler librement dans leurs pays ? Instaureront-ils une monnaie unique ? Et quand le complot américano-sioniste et occidental aura pris fin, les tueries interarabes et les liquidations physiques cesseront-elles pour autant ?» En conclusion, Sammy Buhairi suggère de reprendre le communiqué final du sommet de Riyad et de remplacer juste les dates et le lieu de réunion pour aboutir au même résultat. Il faudrait y ajouter sans doute un paragraphe concernant le documentaire du député d’extrême droite hollandais qui circule sur internet. Ainsi, en plus du complot imputé à la coalition occidentale autour d’Israël, on pourra dénoncer les caricatures et les documentaires qui font vaciller la foi des Arabes et les fait douter de leurs convictions profondes.


Ces réactions quasi-épidermiques font réagir notre confrère égyptien Achraf Abdelkader, un musulman pieux qui défend sa religion avec les armes de la raison. Reprenant à son compte la thèse du Tunisien Mohamed Talbi selon laquelle les musulmans doivent choisir entre l’islam et la Charia, il exhorte les Arabes et les musulmans à changer. «Comment voulezvous, dit-il, que le monde respecte notre religion s’il voit sur internet des hommes cagoulés récitant des versets du Coran et tailladant la gorge d’un être humain. Je dis : un être humain ? qu’il soit musulman ou non et ce dans un monde qui a aboli la peine de mort depuis longtemps. Et si ce monde nous accuse de sauvagerie et de cruauté, devons-nous ressentir ça comme une agression ? Si le port du hidjab et d’une longue barbe doivent nous porter préjudice en tant que diaspora arabe en Europe, pourquoi ne pas se les interdire ? Surtout, s’ils sont considérés comme une provocation contre eux et chez eux». (2) Pour parachever l’œuvre arabe, enfin, il faudra aussi fustiger la dangereuse invasion religieuse que subissent l’Algérie et le Maroc. Des médias arabes se sont déjà mobilisés contre cette «invasion» qui leur permet de soutenir indirectement la répression des libertés politiques, syndicales et religieuses.

La revue saoudienne Al-Madjala avance même des statistiques tirées d’on ne sait où : 20 % des Marocains seront chrétiens en 2020, affirme le périodique saoudien édité à Londres. Il faut donc décréter la mobilisation générale et nos journaux s’y emploient activement, quitte à piétiner les règles essentielles de la profession. Dans leur acharnement à rivaliser pour la conquête des lecteurs, certains quotidiens côtoient l’absurde quand ils ne s’y abandonnent pas. Des conversations téléphoniques et une rencontre avec des «repentis » (3) et cela suffit à déclencher des opérations scoop du style : «Notre reporter a pénétré ou infiltré le sanctuaire chrétien.» Il est question, bien entendu, d’argent et surtout de visas promis aux nouveaux convertis et aux prosélytes. S’agissant de conversions au protestantisme adventiste, il aurait été plus judicieux de faire miroiter la Green- Card aux futurs convertis. Et puis, amis lecteurs, s’il y avait des visas à la clé, combien seraient-ils selon vous à résister à l’attrait de la messe ? J’ai relevé aussi cette information relayée massivement par emails : c’est une dame algérienne qui veut divorcer avec son mari parce qu’elle a découvert qu’il s’était converti au judaïsme. Comment l’a-t-elle démasqué ? Tout simplement parce qu’il lui demandait de lui préparer chaque samedi un plat de couscous avec du lait caillé, ce qui serait une tradition juive. Je vous le dis tout net : depuis cette affaire, j’ai renoncé au «masfouf» et je ne demande plus de lait caillé à mon épicier.
A. H.
(1) Sammy Buhairi, qui écrit dans plusieurs médias arabes, est un architecte égyptien exilé aux Etats-Unis et ayant acquis la citoyenneté américaine. Il est l’un des rares Arabes américains à avouer qu’il a voté pour Bush, sans se renier pour autant.
(2) Le drame, c’est que la barbe et le foulard sont vus comme les poutres maîtresses de l’Islam nouveau tel qu’on l’enseigne aux communautés arabes en Europe, avec la bénédiction et, souvent, le soutien des gouvernements locaux. Une mosquée Ibn-Albaz, le «salafiste » en plein cœur de Paris, ça vous situe immédiatement le cadre et les limites de ce soutien.
(3) Il s’agit ici, bien sûr, de musulmans qui sont revenus à l’Islam après avoir séjourné, sans visa, dans le monde chrétien. Comme tous les repentis, ils adorent se confier aux journalistes.
On ne sait jamais.


Ahmed Alli Le soir d'Algérie"
Un visa vaut-il une messe ?
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/31/article.php?sid=66317&cid=8