lundi 24 mars 2008

Fetwa pour un sommet incertain

Il n’y a vraiment rien qui puisse inciter un chef d’Etat arabe, soucieux de sa réputation, à participer à un sommet de la Ligue arabe à Damas. D’abord, la condition sine qua non pour la tenue de ces assises, à savoir l’élection d’un président libanais, n’est toujours pas remplie. Ce qui prouve que les Syriens tergiversent ou qu’ils ont du mal à se faire entendre de leurs alliés au Liban. Secundo : ceci expliquant cela, le régime syrien n’est toujours pas arrivé à convaincre les Arabes que les assassins du dirigeant du Hezbollah, Imad Moghnieh, à Damas sont venus de l’extérieur.Tertio : la répression contre les opposants et contre la population kurde s’intensifie, ce qui n’encourage pas les Arabes à emprunter le chemin de Damas. Penser que les dirigeants syriens ont sans doute renoncé à la tenue de ce sommet, c’est faire fi de leurs ambitions et de celles de leurs amis iraniens et libanais. Or, les Baathistes ont toujours mis quelques barbes de côté pour les années de disette. Et les militants de ce parti, jadis laïque et révolutionnaire, ont miraculeusement retrouvé la foi. Chargés autrefois de surveiller les mosquées, ils connaissent au mètre près la hauteur de leurs minarets. Instruits par l’expérience et par l’étude des sciences opportunistes, ils savent le poids des mots combinant le fracas des décibels et le vertige des hauteurs.



Ingénieux comme tous les tyrans soucieux de durer, les Syriens ont eu recours à l’arme de la fetwa, plus efficace encore que celle du pétrole utilisée avec un succès mitigé en 1973. La semaine dernière, ils ont envoyé en première ligne leur mufti en chef, le «Douktour» Ahmed Badreddine Hassoune, en l’occurrence. Le mufti syrien a décrété que la participation au Sommet de Damas est un «devoir strict» (fardh ayn) pour tout chef d’Etat arabe. En conséquence, ce «devoir strict» ne saurait s’accommoder d’ excuses, comme les problèmes de santé, qu’invoquent les rois et présidents arabes pour se faire représenter. Sauf s’ils sont atteints de maladies graves qui restreignent leurs déplacements et limitent leurs mandats électoraux, les présidents et les rois sont sommés d’y aller. Les absents auront donc tous les torts et seront considérés comme étant en état de péché, indique le mufti dans une déclaration publiée la semaine dernière par le quotidien qatari Al-Arab. Ahmed Badreddine Hassoune connaît l’immense piété des dirigeants arabes qui ne se sont emparés du sceptre que pour servir l’islam et, accessoirement, leurs peuples. En théologien discipliné et soucieux de satisfaire ses chefs, il a délivré cette fetwa sachant qu’il n’est ni le premier ni le dernier à se plier aux désirs du prince. Peut-être table-t-il sur un sursaut de piété de dirigeants soucieux de ne pas être en excédent de bagages au moment du vol ultime. Nos confrères du magazine Middle East Transparency qui ont rebondi ces déclarations rappellent que des théologiens ottomans ont déjà montré le chemin. Pour éviter la «fitna» ou la discorde dans l’empire, ils ont autorisé le «calife» Sélim 1er à massacrer tous ses frères et tous ses neveux, héritiers potentiels du trône. C’est fort justement en référence à cette époque bénie des fetwas immédiatement exécutables que des Arabes, d’ici et d’ailleurs, ont salué comme une délivrance l’arrivée au pouvoir des islamistes en Turquie. Cependant, le rétablissement du califat à Istanbul n’avance pas assez vite à leur goût. Il semblerait même que le «Frère» Erdogan veuille prendre son temps et même renverser l’ordre des priorités attendues par l’Internationale islamiste. Certes, Erdogan a inauguré son règne par la proclamation du hidjab comme symbole et emblème de l’islam politique. Ce qui a donné lieu à des manifestations de joie et de liesse populaires à Gaza et à Beyrouth mais, depuis, les barbes affichent leur désenchantement. Non content d’intervenir militairement au nord de l’Irak, le faux frère s’attaque au Livre Saint. Il prétend en extirper les versets qui ne cadrent pas avec les exigences de l’époque. Du coup, des voix timides se sont élevées dans le monde arabe pour approuver l’initiative. Notre confrère égyptien Achraf Abdelkader a même salué en lui un «réformateur », hors pair, dans ses contributions au magazine Elaph. Mais dans les «minbars» islamistes, on fulmine. Le chef de file des «Ottomans», le Tunisien Rachid Ghannouchi accuse Erdogan de vouloir abroger des versets du Coran pour plaire à l’Occident. Ce qui n’est pas tout à fait invraisemblable connaissant l’esprit tactique du chef de file de l’islamisme turc. Ghannouchi a donc lancé une fetwa contre Erdogan désigné comme apostat et, comme tel, en posture de condamné à mort en sursis d’exécution, jusqu’à ce qu’une âme bien née en décide autrement. Tout ceci n’a pas soulevé autant de vagues que les caricatures danoises ou les émeutes du pain en Egypte. On sait pertinemment que le «Frère» Erdogan, qui viole sans arrêt les frontières arabes, n’est pas un précurseur en matière de chevauchement ou de franchissement de lignes rouges. Des versets ont été abolis du vivant du Prophète et après sa disparition, sans que l’on crie aujourd’hui au scandale. Et lorsque le Soudanais Hassan Tourabi a annoncé avoir abrogé les verstes concernant le témoignage et l’héritage des femmes, il n’y a pas eu d’émeutes à déplorer.




Mais imaginez qu’une femme tienne le même discours et proclame que des versets se rapportant aux femmes doivent être abolis sous prétexte de conformité avec l’évolution des mœurs ? Vous l’avez imaginé, Al-Jazeera l’a fait : le 6 mars dernier a actionné son artilleur favori, le Syrien Fayçal Alkassem. L’animateur qui fait ressembler le plateau de son émission «A contre-courant» à une cellule capitonnée pour asile d’aliénés, a réédité sa performance favorite. Sa méthode est simple : il invite des personnalités qui ne pensent pas comme lui ou tiennent des propos non conformes à l’orthodoxie puis il donne libre cours à son indignation patriotique ou religieuse. Il s’est ainsi confectionné, sans coup férir, l’image d’un preux défenseur du bien-pensé arabe face aux laïcs et aux libéraux «sionisants» et «américanisants ». C’est dans le cadre de ces desseins que Fayçal Al- Kassem a fait appel à plusieurs reprises à la psychologue syrienne Wafa Soltane, installée aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Ses propos sur l’Islam et sur l’intolérance des musulmans ont déjà défrayé la chronique et soulevé contre sa personne tous les excités de la télé et du Web. Le 6 mars dernier, Wafa Soltane est à nouveau invitée à s’exprimer, en direct des Etats-Unis, sur le plateau de Fayçal Al- Kassem qu’elle a déjà malmené dans ses écrits. Pas rancunier du tout, le chevalier des causes troubles lui oppose un théologien de troisième rang dont elle ne fait qu’une bouchée. Comme à son habitude, et comme Erdogan et Tourabi, Wafa Soltane se prononce pour l’abrogation des versets du Coran qui amoindrissent la femme. Mais contrairement aux autres, elle le fait avec son langage et ses outrances. Normalement, la polémique aurait eu fin sur le plateau mais c’était ignorer la duplicité de Fayçal Al-Kassem et de la chaîne Al-Jazeera. Cette dernière décide de ne pas rediffuser l’émission, contrairement à la tradition, et présente des excuses à son public pour les propos outrageants de Wafa Soltane. C’est ainsi que la réprobation qui avait épargné Tourabi et Erdogan s’est déversée sur Wafa Soltane, simplement parce que c’est une femme. Et une femme, même au mois de mars, doit savoir tenir sa place et, surtout, sa langue. Pour l’avoir ignoré, Wafa Sultane rejoint au pilori arabe le caricaturiste danois, hier anonyme aujourd’hui best-seller mondial.

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/24/article.php?sid=66080&cid=8

dimanche 16 mars 2008

Ouf ! Ca n'arrive pas chez nous

Les Algériens semblent apathiques, indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux. On les dirait même désespérés au point de s’accrocher à un illusoire miracle venant d’un homme providentiel… A condition de lui donner ce que la providence ne peut pas lui garantir : un blanc seing pour commencer là où il aurait dû finir. En attendant le signal de la ruée et des marches triomphales vers le sacre, ces Algériens au fatalisme rayonnant semblaient surnager dans une douce torpeur.Les étals de leurs magasins n’ont jamais proposé autant de variétés de «Kinder» qu’à l’heure des caricatures danoises. Il est vrai que ces braves Danois qui nous offensent nous proposent aussi de l’insuline, pour compenser. Nos compatriotes sont prêts à avaler le poison pourvu que l’antidote soit à portée de main. Je disais donc que les Algériens semblaient se désintéresser de tout ce qui se passe autour d’eux. Oubliés les habitants de Gaza à qui nous promettions notre soutien guerrier jusqu’à la disparition du dernier d’entre eux ! Une vidéo montrant sous plusieurs angles le lynchage d’une jeune fille par une jeunesse frustrée a failli nous aiguillonner. Précédé d’une folle rumeur situant la scène quelque part du côté des nos man’s land urbains, le document nous a réveillés en sursaut, juste le temps de changer de côté. «Ouf !», la tuerie se passait en Irak, ce pays expulsé mani militari de la civilisation. «Ouf !», avons-nous répété en chœur le cri de soulagement du quotidien Al-Watan. Personne n’ignore que chez nous, on ne lapide pas les jeunes filles comme le font ces sauvages Irakiens. En Algérie, on crible une jeune fille de balles quand elle refuse de porter le hidjab. C’est rapide, net et expéditif. On les égorge proprement quand elles ont commis la maladresse de tomber enceintes au maquis. Nous affectionnons particulièrement la méthode qui consiste à les arroser d’essence et à les enflammer, selon qu’elles exposent leurs charmes ou qu’elles les offrent au tout venant. Nous penserons à recourir aux exécutions par jets de pierres, comme les Irakiens, quand le prix de l’essence aura augmenté de façon inversement proportionnelle à celui de la vie des femmes.


Nous aurions pu nous rendormir avec la conscience du devoir accompli et l’âme sereine si ce trublion de Djamal Al-Bana n’était pas encore venu faire des siennes. Le penseur égyptien a jeté le pavé, rescapé du lynchage irakien, dans la mare où pataugent nos fantasmes. Selon sa dernière fetwa, les jeunes hommes et jeunes filles célibataires ont le droit de s’embrasser. Il suggère même que des parcs adéquats soient créés dans les villes pour faciliter les choses. La fetwa du cheikh ne fait, en réalité, que conforter une réalité, à savoir que les pulsions juvéniles s’accommodent mal des carcans moraux et légaux. La fetwa relayée par le quotidien arabophone Ennahar aljadid a fait réagir de nombreux lecteurs sur le site électronique du journal. Toutes les réactions sont évidemment hostiles à la fetwa et ça se comprend : il ne se passe jamais rien de trouble ou d’érotique dans nos jardins et nos parcs. Tout ce beau monde qui traite Al-Bana de vieillard sénile, ce que n’est pas assurément Karadhaoui, croit dur comme fer, ou autre, en la pureté des sentiers dérobés. Les jeunes gens qui se rencontrent dans les allées isolées le font pour échanger les dernières cassettes de prêches et les CD de Amr Khaled. Les attouchements illicites, les baisers furtifs et les étreintes fugitives n’existent pas chez nous. C’est peut-être bon pour les bords du Nil mais la nouvelle doctrine, qui a besoin au passage de plusieurs mandats pour s’imposer ici, nous prémunit contre ces tentations dangereuses auxquelles s’abandonnent les peuples décadents. C’est la nouvelle doctrine, insidieux dosage de wahhabisme rigoriste et de malékisme superstitieux, qui rythme nos réponses aux défis contemporains. Dans la patrie du fondamentalisme wahhabite, les illuminés d’hier sont les modérés d’aujourd’hui. Crise de conscience ou repli tactique, des extrémistes mettent, si l’on peut dire, de l’eau dans leur vin et se désolidarisent des groupes qui prônent la violence. C’est le cas de deux écrivains saoudiens Abdallah Ben Bedjad et Youssef Abakhil, victimes d’un de ces retours de boomerang, comme l’Histoire en concocte souvent. Les deux compères ont, en effet, publié dans le quotidien Al-Riadh au mois de janvier dernier deux articles affirmant que les juifs et les chrétiens ne doivent pas être considérés comme des apostats ou des ennemis de Dieu. Comme la machinerie met du temps à se mettre en branle, ce n’est que la semaine dernière que la réponse de l’oligarchie religieuse est tombée. Par l’entremise du cheikh Abderrahmane Al-Barak, une fetwa décrète que les deux écrivains sont des apostats et qu’ils méritent la mort en tant que tels. La fetwa somme les deux hommes de se repentir et de renier leurs écrits sinon «ils seront déclarés apostats et condamnés à mort. Ils n’auront pas droit à la toilette mortuaire ni au linceul ni à la prière rituelle et leurs proches ne recevront pas de condoléances». En attendant l’exécution de la sentence, Youssef Abakhil doit être séparé de son épouse, désormais mariée à un apostat et donc vivant dans le péché. Ce qui rappelle la même fetwa, éditée par un tribunal contre le penseur égyptien Nasser Hamed Abou Zeïd, contraint à l’exil. Ce dernier a résumé la complexité de la situation en affirmant qu’il allait intenter une action en justice. «Seulement, a-t-il dit, je ne sais pas auprès de qui me plaindre ni contre qui.» Quant à Ben Bedjad qui rappelle ses liens passés avec des partisans de Ben Laden, il persiste et signe et accuse l’auteur de la fetwa d’encourager le terrorisme. Que ceux qui craignent des revirements similaires des partisans de la violence chez nous se rassurent. De tels miracles n’arrivent qu’en territoires consacrés.


L’hebdomadaire égyptien Rose-al-Youssef revient d’ailleurs cette semaine sur le développement des usines à fetwas via les télévisions satellitaires. Évoquant le cas de la chaîne Al-Nas, la revue rappelle qu’à ses débuts il y a deux ans, la station avait opté pour la modération. Progressivement, elle a évolué vers l’extrémisme en se faisant le porte-voix des courants intégristes, notamment celui des Frères musulmans égyptiens. Rose-Al-Youssef s’appuie sur une thèse de magister, «Les fetwas des nouveaux médias et leur impact sur le public», soutenue par une ancienne téléspeakerine de Al- Nas, Dou’a Mohamed Ibrahim Medjahed. Cette dernière a été recrutée par Al-Nas parce qu’elle remplissait une condition majeure : elle portait le hidjab. A ses débuts, elle a présenté une émission de variétés très convenable, au sens où les chanteuses au buste généreux étaient prohibées. Soudainement, et avec l’arrivée du cheikh Mohamed Hassan à la direction de la chaîne, les variétés ont été supprimées et l’extrémisme religieux a commencé à s’imposer. Puis, ce fut le tour du prédicateur Abou Ishaq Al-Howeini de donner l’ultime tour de vis. Sa première fetwa a visé les téléspeakerines, en hidjab, dont l’apparition à l’écran a été considérée comme illicite (haram). C’est ainsi qu’une dizaine d’entre elles s’est retrouvée au chômage. Sachez, enfin, que le monde arabe fait preuve d’ouverture en direction de ses minorités religieuses. Quelques jours après la mort, aux mains de ses ravisseurs, du chef de l’Eglise chaldéenne à Mossoul (Irak), le Qatar a inauguré sa première église à Doha. Le représentant du pape à la cérémonie a salué l’événement et annoncé que des discussions étaient en cours avec l’Arabie saoudite pour faciliter la pratique de leur culte aux chrétiens du royaume. Vous avez dit : «Ouf !» ?

Ahmed Alli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/17/article.php?sid=65821&cid=8

samedi 15 mars 2008

Pitié pour les pauvres riches !

Finalement, les fabuleuses richesses de l’Orient que détiendraient des princes arabes, possédant haras, fauconneries et élevages de… tourterelles, ne seraient que… fables. En réalité, le monde jauge beaucoup plus les Arabes sur leurs frasques et leurs dépenses somptuaires que pour leur fortune réelle. L’imagerie occidentale les représente jouant au casino ou s’adonnant à des jeux très chers et très illégitimes mais elle en oublie la réalité des comptes en banque.Le dernier classement des milliardaires du monde, établi par le magazine Forbes est édifiant à ce sujet. Le premier milliardaire arabe (en dollars bien sûr) n’est que 19e au classement mondial de la catégorie. Il s’agit, vous l’aurez deviné, d’un Saoudien, le prince Walid Ibn Talal en l’occurrence, propriétaire de journaux et de télévisions, à ses heures perdues. La fortune du prince saoudien est évaluée à 21 milliards de dollars. C’est beaucoup pour un Palestinien de Gaza et même pour un dirigeant du Hamas fortuné, comme tout leader islamiste se doit de l’être. Mais ce pactole ne représente qu’un tiers du matelas de dollars (62 milliards) sur lequel trône l’Américain Warren Buffet, premier milliardaire au palmarès 2008. Ce dernier a supplanté le roi de la puce informatique, Bill Gates, relégué pour la première fois à la troisième place. Le Koweïtien Nasser Al- Kharafi occupe la 46e place mondiale avec ses 14 milliards de dollars. Il est talonné par l’Egyptien Naguib Sawiris, vous savez, celui de la puce Djezzy qui nous fait des prix à l’occasion, et qui pèse 12,7 milliards de dollars.


Je me suis laissé dire, en passant, que l’Algérie ne devrait pas être étrangère au chiffre qui vient après la virgule. L’Algérie a toujours pris en pitié les pauvres riches, ceux qui construisent pour «lawlidate » (terme pudique pour désigner une progéniture nombreuse et avide). C’est d’ailleurs surprenant : il n’y a aucun Algérien parmi les 1 125 milliardaires répertoriés par Forbes. Il y a comme une blessure d’amour-propre quelque part si tous ceux qui nous grugent et nous volent n’arrivent pas à accéder au gotha mondial. C’est désespérant si tous les efforts que nous déployons depuis 1962 pour nous doter d’une classe riche et portant beau n’aboutissent pas. Est-ce pour cela que nous avons négligé l’éducation, le logement et d’autres besoins accessoires pour aboutir à ce triste résultat ? N’est-il pas navrant d’avoir à assumer nos piètres performances économiques, culturelles et sportives et de subir cette honte en plus : échouer dans la seule discipline où nous sommes particulièrement doués. Atteindre de si hauts niveaux de réussite en matière d’accumulation de richesses, au détriment de la collectivité, et ne pas être, pour une année au moins, le dernier milliardaire. Je veux bien échouer en coupe du monde, en coupe d’Afrique et même en interquartiers mais pas dans notre sport d’élite. Je refuse, par orgueil national et par patriotisme, que nos milliardaires fassent grise mine devant la crème des richesses, acquises à la sueur de tous les fronts. Et qu’on ne vienne pas me raconter que le club des 1 125 n’est pas un club de voleurs ! Je suis sûr qu’en cherchant bien, on en débusquera au moins quelques centaines qui peuvent correspondre aux normes nationales en la matière. Que diable ! Il n’y a pas que des Sawiris et des Ibn Talal dans cette armada huppée, on doit bien y débusquer une bande de coupe-jarrets ou un groupe de chenapans. Ce qu’il nous faut, c’est un sursaut national. Nous devons aborder désormais cette compétition avec sérieux, faire preuve d’abnégation et consentir les sacrifices nécessaires. Il est peutêtre nécessaire d’envisager la création d’un fonds de solidarité pour nos milliardaires qui ont trop de pudeur pour réclamer de l’aide. Grâce à cette contribution, versée par des voies occultes, dans les banques internationales idoines, nos représentants seront en mesure de concourir. Comme le note, toutefois, Digital-Elaph (la version papier du journal électronique Elaph), les milliardaires arabes seraient plutôt à plaindre puisque la plupart d’entre eux ont perdu des points en 2008. Les grands richards arabes ont reculé de plusieurs places au classement en raison des pertes subies dans la crise des subprimes. Les Arabes investissent surtout dans la pierre et les remous qui ont frappé l’immobilier américain ont eu des répercussions négatives sur leurs revenus. C’est ainsi que le prince Al-Walid a laissé des plumes, passant du 13e au 19e rang à cause de ses participations à la City Bank, frappée de plein fouet par la crise de l’immobilier. La même mésaventure est arrivée à un autre milliardaire saoudien actionnaire, lui, de la HSBC. Ajoutez à cela les pertes subies dans leurs propres pays par ces investisseurs à cause de la dépréciation du dollar, monnaie unique des transactions. Selon le magazine qui cite des experts arabes de la finance, les fortunes qui ont progressé sont celles des Asiatiques qui ont su faire des placements plus judicieux, notamment dans les secteurs industriels dopés par le renchérissement des prix du pétrole. Il ne faut pas grand-chose de nos jours, d’ailleurs, pour fabriquer un milliardaire en dollars. J’ai eu la surprise en parcourant la liste reprise par Elaph, le magazine électronique édité à Londres, de trouver le nom du téléprédicateur égyptien Amr Khaled. Ce dernier, selon le classement de Forbes dispose d’un capital appréciable avoisinant les 2 milliards de dollars. Amr Khaled n’a pas bâti sa richesse avec la sueur des musulmans mais avec leurs larmes. Il possède, en effet, le rare talent de faire pleurer les musulmans, et surtout les musulmanes, rien qu’en racontant le meurtre d’Abel par Caïn.


Pour titiller les glandes lacrymales des croyants naïfs, vous ne trouverez pas mieux que Amr Khaled. Plus les trépas qu’il décrit sont proches de nous, plus impétueux sont les flots de larmes. Evalués en dollars, les pleurs musulmans sont donc cotés à la bourse des prédicateurs même s’ils n’émeuvent pas outre mesure celui qui les déclenche. Ce milliardaire distingué par Forbes a même eu l’outrecuidance de proposer une journée de jeûne pour Gaza à ses compatriotes. Ce qui l’a dispensé de mettre la main à la poche pour aider ces Palestiniens qui ont décidément bon dos et servent d’alibi à toutes les causes troubles et à tous les excès. Il serait bon qu’un jour les mortellement patriotes que sont Amr Khaled et quelques footballeurs, en mal de célébrité, s’entourent de ceintures explosives et nous fassent apprécier leur foi et leurs engagements détonants. Ils pourraient se faire aider par les enfants des dirigeants du Hamas qui n’ont pas encore défrayé la chronique kamikaze. Et puisque ces messieurs ambitionnent de nous ramener aux temps héroïques de l’Islam, pourquoi ne pas prendre la tête de leurs troupes et charger l’ennemi. Ils le font si bien dans les prêches et les discours aux croyants qu’ils nous donnent envie de les voir à l’œuvre. Mais tant que je n’aurai pas vu un dirigeant du Hamas envoyer son fils à la mort, comme il le fait pour les enfants des autres, je reste sceptique. Et mon scepticisme se nourrit aussi bien du classement mondial des milliardaires que des appels désespérés de la kasma d’Assi-Youssef à un troisième mandat.A. H.


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La trinité islamiste

La hausse des prix des denrées de première nécessité est si alarmante qu’elle a éveillé l’attention des religieux saoudiens qui lévitaient jusqu’ici au-dessus de ces contingences. Conscients que les gouvernements n’y pouvaient rien, les imams du vendredi en Arabie saoudite ont levé les bras au ciel. Celui de La Mecque a même fait jouer la rime en implorant « Dieu le Tout Puissant de faire baisser les prix pour les musulmans».Dans son sermon, l’imam indigné a dénoncé les gens qui spéculent sur les prix des marchandises de base. Excellente initiative, d’autant plus qu’ils devaient être assez nombreux à l’écouter, les spéculateurs. Excellente initiative, dirions-nous, mais pourquoi faire preuve encore de sectarisme et invoquer la Providence pour une communauté bien précise ? Pourquoi Dieu devrait-il intervenir uniquement au seul bénéfice des musulmans alors qu’il y a des pauvres et des nécessiteux chez les autres croyants ? Pourquoi ne pas en profiter pour ramener d’autres brebis égarées vers le troupeau ? Ce serait si enrichissant et si galvanisant de pester et de jurer tous ensemble, monothéistes, polythéistes et autres réunis, contre le prix de l’huile et du lait. Cela suffirait sans doute à clore le vieux débat sur les portes de l’idjtihad qui s’entrouvrent juste pour y voir midi. Entre ceux qui persistent à penser que ces portes sont fermées à double tour et ceux qui les voient ouvertes à moitié ou béantes, la communication passe mal. C’est pour ça que le conflit perdure et oppose les gardiens des serrures à ceux qui essaient de trouver les bonnes clés. Lorsque Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale, fait mine de passer en force, avec l’aide d’une escouade pensante, il fait peur. Il effraie ceux d’en face qui ont peur de la clé miraculeuse et soupçonnent l’un ou l’autre des participants de la détenir. Alors, ils envoient l’un des leurs en avant-garde, délicat euphémisme pour désigner en fait ceux qui poussent les troupes à battre plus vite en retraite. L’association des ulémas, qui prétend détenir la science infuse, s’insurge contre l’idée d’enfoncer des portes ouvertes.


C’est du moins ainsi qu’elle voit le projet de notre ami Zaoui. Pour elle, les portes de l’idjtihad ont été de nouveau ouvertes au XIXe siècle par des penseurs réformistes, comme Afghani et Abdou. Et d’ajouter dans un élan d’enthousiasme que les gardiens contemporains des portes ouvertes se nomment Ghazali, Al-Bouti ou encore Karadhaoui. Trois noms que j’associerai volontiers à l’ouverture de la boîte de Pandore plutôt qu’à celle des fameuses portes de l’interprétation. Tant qu’à faire et diabolisation pour diabolisation, il aurait sans doute fallu convier des personnages, disons plus décriés comme l’est Mohamed Arkoun, l’Algérien. Ce dernier est paradoxalement aussi éreinté et contesté dans son propre pays qu’il est reçu et apprécié dans les pays arabes. Arkoun illustre, à sa manière, le lourd handicap de vouloir étudier l’Islam, en étant né dans un pays où on consomme la religion sans prendre la peine de l’étudier. Je pense aussi à l’Egyptien Djamal Al-Bana qui défend la coexistence des religions monothéistes en ces temps d’intolérance et de persécutions. Il revient, d’ailleurs, sur ce sujet cette semaine dans un article intitulé «Les religions ne s’effacent pas mutuellement mais elles se complètent mutuellement». Le frère cadet de Hassan Al- Bana suggère de remettre à plat toutes les idées reçues, à commencer par la conviction de chacun que sa religion est la meilleure. Cette conviction tient plus de la nature humaine que de la religion elle-même puisqu’elle est reçue en héritage et que personne n’étudie sa religion avant de l’adopter, note-t-il. Djamal Al-Bana en appelle à revisiter l’histoire en général, et celle des guerres de religion, en particulier qui ont été les plus dures. Il en tire la conclusion qu’aucune des trois religions monothéistes n’échappe encore à la tentation de se substituer aux autres. Et ceci est encore plus vrai pour l’Islam de nos jours.



Sur ce volet de l’Histoire, j’ai relevé sur le site de Middle East Transparency, cette contribution du journaliste yéménite Ahmed Al-Hobishi qui revient sur la haine des Frères musulmans pour Djamal Abdel Nasser. Cette haine tenace qui poursuit le leader arabe jusque dans la tombe s’est vérifiée une fois encore en janvier dernier sur Al-Djazira. Jusqu’alors, la lucarne des Frères musulmans exploitait les anniversaires ordinaires de Nasser pour lancer ses attaques contre lui. Cette fois-ci, elle a mis à profit jusqu’à l’anniversaire de sa naissance puisque la chaîne qatarie a célébré à sa manière le 90e anniversaire de l’ancien président de l’Egypte, relève notre confrère. S’aidant de témoignages contemporains et de documents historiques, Ahmed Al- Hobishi réfute les thèses du mouvement islamiste concernant ses rapports avec la Révolution de juillet 52. L’élément de crise dans cette relation fut la revendication des Frères musulmans exigeant que les lois et les décisions futures du Conseil de la révolution soient d’abord entérinées par le bureau exécutif du mouvement. Djamal Abdel Nasser répondit que la Révolution n’accepterait aucune tutelle, que ce soit celle de la mosquée ou de l’Eglise. Puis, il accepta de recevoir Mamoun Al-Hodheibi, le commandeur des «Frères» à condition de discuter uniquement de la coopération entre la Révolution et le mouvement hors de toute tutelle. A la grande surprise de Nasser, Al- Hodheibi lui présenta d’autres revendications excluant les précédentes. Le mouvement attendait des Officiers libres les mesures suivantes : imposer aux femmes le port du hidjab, fermer les salles de cinéma et de théâtre, proscrire les chansons et la musique, généraliser l’usage des chants religieux, interdire le travail des femmes et, enfin, débarrasser Le Caire et toute l’Egypte des statues anciennes et modernes. Nasser répliqua qu’il ne permettrait jamais que l’Egypte retourne encore une fois à un état primitif. Et il inscrivit cette réponse sur la feuille de route qui lui avait été présentée et il interpella Al-Hodheibi en ces termes : «Pourquoi avez-vous fait serment d’allégeance au roi Farouk en qualité de «commandeur des croyants» ? Pourquoi ne lui avez-vous pas présenté de telles exigences alors que vous en aviez toutes les possibilités ? Et pourquoi répétiez-vous tout le temps avant la Révolution : «Le pouvoir appartient à son détenteur (le Roi)». Par la suite, les «Frères» agirent comme s’ils avaient renoncé à leurs autres revendications n’en maintenant qu’une seule : celle du hidjab. A l’appui de cette exigence maintenue, ils présentèrent à Nasser des croquis représentant des modèles de hidjab tels que les ont conçus les islamistes. Leur sainte trinité en quelque sorte. Le premier qualifié de «détestable» représente une femme recouverte de la tête aux pieds mais avec le visage et les mains visibles. Le second, dit «peut mieux faire», montre une femme avec les chaussures voyantes et les mains visibles. Le troisième, enfin, étiqueté «idéal», montre une femme recouverte entièrement de noir. S’adressant à l’un de ses interlocuteurs, le leader égyptien lui demanda : « Bon ! Pourquoi tes filles vont-elles tête nue et pourquoi n’arborent-elles pas un des hidjabs que vous voulez imposer aux Egyptiennes par décret ?» Cela dit, Nasser fit beaucoup d’autres concessions à l’islamisme. Il introduisit l’éducation islamique dans les écoles et l’imposa comme matière d’examen, précise notre confrère yéménite. Sans compter les mosquées qui passèrent de 11 000 à 21 000 en l’espace de 18 ans. Finalement, chacun a sa boîte de Pandore.A. H.

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/03/article.php?sid=65279&cid=8