La hausse des prix des denrées de première nécessité est si alarmante qu’elle a éveillé l’attention des religieux saoudiens qui lévitaient jusqu’ici au-dessus de ces contingences. Conscients que les gouvernements n’y pouvaient rien, les imams du vendredi en Arabie saoudite ont levé les bras au ciel. Celui de La Mecque a même fait jouer la rime en implorant « Dieu le Tout Puissant de faire baisser les prix pour les musulmans».Dans son sermon, l’imam indigné a dénoncé les gens qui spéculent sur les prix des marchandises de base. Excellente initiative, d’autant plus qu’ils devaient être assez nombreux à l’écouter, les spéculateurs. Excellente initiative, dirions-nous, mais pourquoi faire preuve encore de sectarisme et invoquer la Providence pour une communauté bien précise ? Pourquoi Dieu devrait-il intervenir uniquement au seul bénéfice des musulmans alors qu’il y a des pauvres et des nécessiteux chez les autres croyants ? Pourquoi ne pas en profiter pour ramener d’autres brebis égarées vers le troupeau ? Ce serait si enrichissant et si galvanisant de pester et de jurer tous ensemble, monothéistes, polythéistes et autres réunis, contre le prix de l’huile et du lait. Cela suffirait sans doute à clore le vieux débat sur les portes de l’idjtihad qui s’entrouvrent juste pour y voir midi. Entre ceux qui persistent à penser que ces portes sont fermées à double tour et ceux qui les voient ouvertes à moitié ou béantes, la communication passe mal. C’est pour ça que le conflit perdure et oppose les gardiens des serrures à ceux qui essaient de trouver les bonnes clés. Lorsque Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale, fait mine de passer en force, avec l’aide d’une escouade pensante, il fait peur. Il effraie ceux d’en face qui ont peur de la clé miraculeuse et soupçonnent l’un ou l’autre des participants de la détenir. Alors, ils envoient l’un des leurs en avant-garde, délicat euphémisme pour désigner en fait ceux qui poussent les troupes à battre plus vite en retraite. L’association des ulémas, qui prétend détenir la science infuse, s’insurge contre l’idée d’enfoncer des portes ouvertes.
C’est du moins ainsi qu’elle voit le projet de notre ami Zaoui. Pour elle, les portes de l’idjtihad ont été de nouveau ouvertes au XIXe siècle par des penseurs réformistes, comme Afghani et Abdou. Et d’ajouter dans un élan d’enthousiasme que les gardiens contemporains des portes ouvertes se nomment Ghazali, Al-Bouti ou encore Karadhaoui. Trois noms que j’associerai volontiers à l’ouverture de la boîte de Pandore plutôt qu’à celle des fameuses portes de l’interprétation. Tant qu’à faire et diabolisation pour diabolisation, il aurait sans doute fallu convier des personnages, disons plus décriés comme l’est Mohamed Arkoun, l’Algérien. Ce dernier est paradoxalement aussi éreinté et contesté dans son propre pays qu’il est reçu et apprécié dans les pays arabes. Arkoun illustre, à sa manière, le lourd handicap de vouloir étudier l’Islam, en étant né dans un pays où on consomme la religion sans prendre la peine de l’étudier. Je pense aussi à l’Egyptien Djamal Al-Bana qui défend la coexistence des religions monothéistes en ces temps d’intolérance et de persécutions. Il revient, d’ailleurs, sur ce sujet cette semaine dans un article intitulé «Les religions ne s’effacent pas mutuellement mais elles se complètent mutuellement». Le frère cadet de Hassan Al- Bana suggère de remettre à plat toutes les idées reçues, à commencer par la conviction de chacun que sa religion est la meilleure. Cette conviction tient plus de la nature humaine que de la religion elle-même puisqu’elle est reçue en héritage et que personne n’étudie sa religion avant de l’adopter, note-t-il. Djamal Al-Bana en appelle à revisiter l’histoire en général, et celle des guerres de religion, en particulier qui ont été les plus dures. Il en tire la conclusion qu’aucune des trois religions monothéistes n’échappe encore à la tentation de se substituer aux autres. Et ceci est encore plus vrai pour l’Islam de nos jours.
Sur ce volet de l’Histoire, j’ai relevé sur le site de Middle East Transparency, cette contribution du journaliste yéménite Ahmed Al-Hobishi qui revient sur la haine des Frères musulmans pour Djamal Abdel Nasser. Cette haine tenace qui poursuit le leader arabe jusque dans la tombe s’est vérifiée une fois encore en janvier dernier sur Al-Djazira. Jusqu’alors, la lucarne des Frères musulmans exploitait les anniversaires ordinaires de Nasser pour lancer ses attaques contre lui. Cette fois-ci, elle a mis à profit jusqu’à l’anniversaire de sa naissance puisque la chaîne qatarie a célébré à sa manière le 90e anniversaire de l’ancien président de l’Egypte, relève notre confrère. S’aidant de témoignages contemporains et de documents historiques, Ahmed Al- Hobishi réfute les thèses du mouvement islamiste concernant ses rapports avec la Révolution de juillet 52. L’élément de crise dans cette relation fut la revendication des Frères musulmans exigeant que les lois et les décisions futures du Conseil de la révolution soient d’abord entérinées par le bureau exécutif du mouvement. Djamal Abdel Nasser répondit que la Révolution n’accepterait aucune tutelle, que ce soit celle de la mosquée ou de l’Eglise. Puis, il accepta de recevoir Mamoun Al-Hodheibi, le commandeur des «Frères» à condition de discuter uniquement de la coopération entre la Révolution et le mouvement hors de toute tutelle. A la grande surprise de Nasser, Al- Hodheibi lui présenta d’autres revendications excluant les précédentes. Le mouvement attendait des Officiers libres les mesures suivantes : imposer aux femmes le port du hidjab, fermer les salles de cinéma et de théâtre, proscrire les chansons et la musique, généraliser l’usage des chants religieux, interdire le travail des femmes et, enfin, débarrasser Le Caire et toute l’Egypte des statues anciennes et modernes. Nasser répliqua qu’il ne permettrait jamais que l’Egypte retourne encore une fois à un état primitif. Et il inscrivit cette réponse sur la feuille de route qui lui avait été présentée et il interpella Al-Hodheibi en ces termes : «Pourquoi avez-vous fait serment d’allégeance au roi Farouk en qualité de «commandeur des croyants» ? Pourquoi ne lui avez-vous pas présenté de telles exigences alors que vous en aviez toutes les possibilités ? Et pourquoi répétiez-vous tout le temps avant la Révolution : «Le pouvoir appartient à son détenteur (le Roi)». Par la suite, les «Frères» agirent comme s’ils avaient renoncé à leurs autres revendications n’en maintenant qu’une seule : celle du hidjab. A l’appui de cette exigence maintenue, ils présentèrent à Nasser des croquis représentant des modèles de hidjab tels que les ont conçus les islamistes. Leur sainte trinité en quelque sorte. Le premier qualifié de «détestable» représente une femme recouverte de la tête aux pieds mais avec le visage et les mains visibles. Le second, dit «peut mieux faire», montre une femme avec les chaussures voyantes et les mains visibles. Le troisième, enfin, étiqueté «idéal», montre une femme recouverte entièrement de noir. S’adressant à l’un de ses interlocuteurs, le leader égyptien lui demanda : « Bon ! Pourquoi tes filles vont-elles tête nue et pourquoi n’arborent-elles pas un des hidjabs que vous voulez imposer aux Egyptiennes par décret ?» Cela dit, Nasser fit beaucoup d’autres concessions à l’islamisme. Il introduisit l’éducation islamique dans les écoles et l’imposa comme matière d’examen, précise notre confrère yéménite. Sans compter les mosquées qui passèrent de 11 000 à 21 000 en l’espace de 18 ans. Finalement, chacun a sa boîte de Pandore.A. H.
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/03/article.php?sid=65279&cid=8
samedi 15 mars 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire