lundi 24 mars 2008

Fetwa pour un sommet incertain

Il n’y a vraiment rien qui puisse inciter un chef d’Etat arabe, soucieux de sa réputation, à participer à un sommet de la Ligue arabe à Damas. D’abord, la condition sine qua non pour la tenue de ces assises, à savoir l’élection d’un président libanais, n’est toujours pas remplie. Ce qui prouve que les Syriens tergiversent ou qu’ils ont du mal à se faire entendre de leurs alliés au Liban. Secundo : ceci expliquant cela, le régime syrien n’est toujours pas arrivé à convaincre les Arabes que les assassins du dirigeant du Hezbollah, Imad Moghnieh, à Damas sont venus de l’extérieur.Tertio : la répression contre les opposants et contre la population kurde s’intensifie, ce qui n’encourage pas les Arabes à emprunter le chemin de Damas. Penser que les dirigeants syriens ont sans doute renoncé à la tenue de ce sommet, c’est faire fi de leurs ambitions et de celles de leurs amis iraniens et libanais. Or, les Baathistes ont toujours mis quelques barbes de côté pour les années de disette. Et les militants de ce parti, jadis laïque et révolutionnaire, ont miraculeusement retrouvé la foi. Chargés autrefois de surveiller les mosquées, ils connaissent au mètre près la hauteur de leurs minarets. Instruits par l’expérience et par l’étude des sciences opportunistes, ils savent le poids des mots combinant le fracas des décibels et le vertige des hauteurs.



Ingénieux comme tous les tyrans soucieux de durer, les Syriens ont eu recours à l’arme de la fetwa, plus efficace encore que celle du pétrole utilisée avec un succès mitigé en 1973. La semaine dernière, ils ont envoyé en première ligne leur mufti en chef, le «Douktour» Ahmed Badreddine Hassoune, en l’occurrence. Le mufti syrien a décrété que la participation au Sommet de Damas est un «devoir strict» (fardh ayn) pour tout chef d’Etat arabe. En conséquence, ce «devoir strict» ne saurait s’accommoder d’ excuses, comme les problèmes de santé, qu’invoquent les rois et présidents arabes pour se faire représenter. Sauf s’ils sont atteints de maladies graves qui restreignent leurs déplacements et limitent leurs mandats électoraux, les présidents et les rois sont sommés d’y aller. Les absents auront donc tous les torts et seront considérés comme étant en état de péché, indique le mufti dans une déclaration publiée la semaine dernière par le quotidien qatari Al-Arab. Ahmed Badreddine Hassoune connaît l’immense piété des dirigeants arabes qui ne se sont emparés du sceptre que pour servir l’islam et, accessoirement, leurs peuples. En théologien discipliné et soucieux de satisfaire ses chefs, il a délivré cette fetwa sachant qu’il n’est ni le premier ni le dernier à se plier aux désirs du prince. Peut-être table-t-il sur un sursaut de piété de dirigeants soucieux de ne pas être en excédent de bagages au moment du vol ultime. Nos confrères du magazine Middle East Transparency qui ont rebondi ces déclarations rappellent que des théologiens ottomans ont déjà montré le chemin. Pour éviter la «fitna» ou la discorde dans l’empire, ils ont autorisé le «calife» Sélim 1er à massacrer tous ses frères et tous ses neveux, héritiers potentiels du trône. C’est fort justement en référence à cette époque bénie des fetwas immédiatement exécutables que des Arabes, d’ici et d’ailleurs, ont salué comme une délivrance l’arrivée au pouvoir des islamistes en Turquie. Cependant, le rétablissement du califat à Istanbul n’avance pas assez vite à leur goût. Il semblerait même que le «Frère» Erdogan veuille prendre son temps et même renverser l’ordre des priorités attendues par l’Internationale islamiste. Certes, Erdogan a inauguré son règne par la proclamation du hidjab comme symbole et emblème de l’islam politique. Ce qui a donné lieu à des manifestations de joie et de liesse populaires à Gaza et à Beyrouth mais, depuis, les barbes affichent leur désenchantement. Non content d’intervenir militairement au nord de l’Irak, le faux frère s’attaque au Livre Saint. Il prétend en extirper les versets qui ne cadrent pas avec les exigences de l’époque. Du coup, des voix timides se sont élevées dans le monde arabe pour approuver l’initiative. Notre confrère égyptien Achraf Abdelkader a même salué en lui un «réformateur », hors pair, dans ses contributions au magazine Elaph. Mais dans les «minbars» islamistes, on fulmine. Le chef de file des «Ottomans», le Tunisien Rachid Ghannouchi accuse Erdogan de vouloir abroger des versets du Coran pour plaire à l’Occident. Ce qui n’est pas tout à fait invraisemblable connaissant l’esprit tactique du chef de file de l’islamisme turc. Ghannouchi a donc lancé une fetwa contre Erdogan désigné comme apostat et, comme tel, en posture de condamné à mort en sursis d’exécution, jusqu’à ce qu’une âme bien née en décide autrement. Tout ceci n’a pas soulevé autant de vagues que les caricatures danoises ou les émeutes du pain en Egypte. On sait pertinemment que le «Frère» Erdogan, qui viole sans arrêt les frontières arabes, n’est pas un précurseur en matière de chevauchement ou de franchissement de lignes rouges. Des versets ont été abolis du vivant du Prophète et après sa disparition, sans que l’on crie aujourd’hui au scandale. Et lorsque le Soudanais Hassan Tourabi a annoncé avoir abrogé les verstes concernant le témoignage et l’héritage des femmes, il n’y a pas eu d’émeutes à déplorer.




Mais imaginez qu’une femme tienne le même discours et proclame que des versets se rapportant aux femmes doivent être abolis sous prétexte de conformité avec l’évolution des mœurs ? Vous l’avez imaginé, Al-Jazeera l’a fait : le 6 mars dernier a actionné son artilleur favori, le Syrien Fayçal Alkassem. L’animateur qui fait ressembler le plateau de son émission «A contre-courant» à une cellule capitonnée pour asile d’aliénés, a réédité sa performance favorite. Sa méthode est simple : il invite des personnalités qui ne pensent pas comme lui ou tiennent des propos non conformes à l’orthodoxie puis il donne libre cours à son indignation patriotique ou religieuse. Il s’est ainsi confectionné, sans coup férir, l’image d’un preux défenseur du bien-pensé arabe face aux laïcs et aux libéraux «sionisants» et «américanisants ». C’est dans le cadre de ces desseins que Fayçal Al- Kassem a fait appel à plusieurs reprises à la psychologue syrienne Wafa Soltane, installée aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Ses propos sur l’Islam et sur l’intolérance des musulmans ont déjà défrayé la chronique et soulevé contre sa personne tous les excités de la télé et du Web. Le 6 mars dernier, Wafa Soltane est à nouveau invitée à s’exprimer, en direct des Etats-Unis, sur le plateau de Fayçal Al- Kassem qu’elle a déjà malmené dans ses écrits. Pas rancunier du tout, le chevalier des causes troubles lui oppose un théologien de troisième rang dont elle ne fait qu’une bouchée. Comme à son habitude, et comme Erdogan et Tourabi, Wafa Soltane se prononce pour l’abrogation des versets du Coran qui amoindrissent la femme. Mais contrairement aux autres, elle le fait avec son langage et ses outrances. Normalement, la polémique aurait eu fin sur le plateau mais c’était ignorer la duplicité de Fayçal Al-Kassem et de la chaîne Al-Jazeera. Cette dernière décide de ne pas rediffuser l’émission, contrairement à la tradition, et présente des excuses à son public pour les propos outrageants de Wafa Soltane. C’est ainsi que la réprobation qui avait épargné Tourabi et Erdogan s’est déversée sur Wafa Soltane, simplement parce que c’est une femme. Et une femme, même au mois de mars, doit savoir tenir sa place et, surtout, sa langue. Pour l’avoir ignoré, Wafa Sultane rejoint au pilori arabe le caricaturiste danois, hier anonyme aujourd’hui best-seller mondial.

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/24/article.php?sid=66080&cid=8

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