mardi 1 avril 2008

Un visa vaut-il une messe ?

Finalement, les efforts conjugués de Bechar Al- Assad et de son mufti ont eu raison des réticences de certains chefs d’Etat arabes. Avec la foi ardente et le patriotisme exalté qu’on leur connaît, des présidents et souverains arabes ont fait le voyage de Damas. Ils échapperont ainsi aux foudres de Damas et au châtiment de la providence promis par le théologien en chef de la Syrie et de ses provinces.
Les Algériens ont encore eu droit à leur blessure d’orgueil traditionnelle : les observateurs ont noté l’absence des «grosses pointures» comme l’Egypte et l’Arabie saoudite à ce sommet. Ce qui relègue, de fait, l’Algérie au rang de petite ou moyenne pointure. Heureusement qu’ici, en Algérie, il y a des hommes, et des femmes, qui savent apprécier la valeur de leur pays et, surtout, les qualités hors normes de son président. Il ne faut pas compter sur les médias arabes pour chanter nos louanges et celles de nos chefs. Ces médias n’ont d’yeux que pour ce trublion de Kadhafi, catalogué tantôt comme le «sel» des sommets, tantôt comme la cerise sur le gâteau arabe. Comme à son habitude, le guide libyen a convié ses pairs à un exercice d’autoflagellation auquel les Iraniens ne sont pas restés insensibles. Il ne faut pas trop énerver l’Iran avec l’histoire de l’occupation de deux ou trois îlots arabes. Après tout, ce sont des musulmans comme nous et les chiites constituent 80% de la population de la région du Golfe, sans préciser si ce fameux golfe était arabe ou persique. Sur sa lancée, le frère Maâmar a annoncé une guerre contre les Arabes en 2008. A l’issue de cette guerre, l’ennemi américano-sioniste occupera encore d’autres territoires arabes. «Ainsi, a-t-il dit, les Arabes pourront revendiquer un retour aux frontières de 2008 comme préalable à un règlement de la crise du Proche- Orient.» Comme d’habitude, Kadhafi a été très chaleureusement applaudi à la fin de son discours, signe que l’assistance n’avait pas écouté un traître mot de sa diatribe. Réaliste d’ailleurs, il avait lui-même conseillé aux chefs de délégations de mettre des écouteurs, ce qui est normal dans une salle où tout le monde ne parle pas la même langue. Kadhafi consommé, il ne restait plus grand-chose à tirer de ce sommet que les Syriens ont organisé comme un coup de force. Et ils ont averti du reste : «Si ce sommet échoue, ce sera le résultat d’un complot américano- sioniste.» C’était reléguer au chapitre des amnésies collectives les multiples échecs des innombrables sommets et conférences de la «sainte ligue».



Dans son style habituel, le chroniqueur égyptien Sammy Buhairi ironise dans le quotidien koweïtien Al-Siassa sur ces accusations de complot lancées contre les USA «Supposons, ditil, que les Américains cessent de comploter contre les Arabes. Ce qui est plausible puisque je compte intervenir personnellement (1) auprès du président Bush pour le lui demander. J’ai, en effet, voté Bush pour le deuxième mandat et il est mon collègue au sein du parti républicain dont je suis membre. Ceci fait, et Bush ayant mis fin aux complots anti- arabes, que feront les Arabes ? Cesserontils de s’épier les uns les autres et de comploter les uns contre les autres ? Laisseront-ils leurs marchandises respectives circuler librement dans leurs pays ? Instaureront-ils une monnaie unique ? Et quand le complot américano-sioniste et occidental aura pris fin, les tueries interarabes et les liquidations physiques cesseront-elles pour autant ?» En conclusion, Sammy Buhairi suggère de reprendre le communiqué final du sommet de Riyad et de remplacer juste les dates et le lieu de réunion pour aboutir au même résultat. Il faudrait y ajouter sans doute un paragraphe concernant le documentaire du député d’extrême droite hollandais qui circule sur internet. Ainsi, en plus du complot imputé à la coalition occidentale autour d’Israël, on pourra dénoncer les caricatures et les documentaires qui font vaciller la foi des Arabes et les fait douter de leurs convictions profondes.


Ces réactions quasi-épidermiques font réagir notre confrère égyptien Achraf Abdelkader, un musulman pieux qui défend sa religion avec les armes de la raison. Reprenant à son compte la thèse du Tunisien Mohamed Talbi selon laquelle les musulmans doivent choisir entre l’islam et la Charia, il exhorte les Arabes et les musulmans à changer. «Comment voulezvous, dit-il, que le monde respecte notre religion s’il voit sur internet des hommes cagoulés récitant des versets du Coran et tailladant la gorge d’un être humain. Je dis : un être humain ? qu’il soit musulman ou non et ce dans un monde qui a aboli la peine de mort depuis longtemps. Et si ce monde nous accuse de sauvagerie et de cruauté, devons-nous ressentir ça comme une agression ? Si le port du hidjab et d’une longue barbe doivent nous porter préjudice en tant que diaspora arabe en Europe, pourquoi ne pas se les interdire ? Surtout, s’ils sont considérés comme une provocation contre eux et chez eux». (2) Pour parachever l’œuvre arabe, enfin, il faudra aussi fustiger la dangereuse invasion religieuse que subissent l’Algérie et le Maroc. Des médias arabes se sont déjà mobilisés contre cette «invasion» qui leur permet de soutenir indirectement la répression des libertés politiques, syndicales et religieuses.

La revue saoudienne Al-Madjala avance même des statistiques tirées d’on ne sait où : 20 % des Marocains seront chrétiens en 2020, affirme le périodique saoudien édité à Londres. Il faut donc décréter la mobilisation générale et nos journaux s’y emploient activement, quitte à piétiner les règles essentielles de la profession. Dans leur acharnement à rivaliser pour la conquête des lecteurs, certains quotidiens côtoient l’absurde quand ils ne s’y abandonnent pas. Des conversations téléphoniques et une rencontre avec des «repentis » (3) et cela suffit à déclencher des opérations scoop du style : «Notre reporter a pénétré ou infiltré le sanctuaire chrétien.» Il est question, bien entendu, d’argent et surtout de visas promis aux nouveaux convertis et aux prosélytes. S’agissant de conversions au protestantisme adventiste, il aurait été plus judicieux de faire miroiter la Green- Card aux futurs convertis. Et puis, amis lecteurs, s’il y avait des visas à la clé, combien seraient-ils selon vous à résister à l’attrait de la messe ? J’ai relevé aussi cette information relayée massivement par emails : c’est une dame algérienne qui veut divorcer avec son mari parce qu’elle a découvert qu’il s’était converti au judaïsme. Comment l’a-t-elle démasqué ? Tout simplement parce qu’il lui demandait de lui préparer chaque samedi un plat de couscous avec du lait caillé, ce qui serait une tradition juive. Je vous le dis tout net : depuis cette affaire, j’ai renoncé au «masfouf» et je ne demande plus de lait caillé à mon épicier.
A. H.
(1) Sammy Buhairi, qui écrit dans plusieurs médias arabes, est un architecte égyptien exilé aux Etats-Unis et ayant acquis la citoyenneté américaine. Il est l’un des rares Arabes américains à avouer qu’il a voté pour Bush, sans se renier pour autant.
(2) Le drame, c’est que la barbe et le foulard sont vus comme les poutres maîtresses de l’Islam nouveau tel qu’on l’enseigne aux communautés arabes en Europe, avec la bénédiction et, souvent, le soutien des gouvernements locaux. Une mosquée Ibn-Albaz, le «salafiste » en plein cœur de Paris, ça vous situe immédiatement le cadre et les limites de ce soutien.
(3) Il s’agit ici, bien sûr, de musulmans qui sont revenus à l’Islam après avoir séjourné, sans visa, dans le monde chrétien. Comme tous les repentis, ils adorent se confier aux journalistes.
On ne sait jamais.


Ahmed Alli Le soir d'Algérie"
Un visa vaut-il une messe ?
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/31/article.php?sid=66317&cid=8

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