mercredi 9 avril 2008

UN SAUVEUR MULTISTANDARD

Comme le prescrit la loi de proximité, je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’événement qu’a constitué la conversion au christianisme du journaliste arabo-italien Magdi Allam, éditorialiste du Corriere della sera. D’abord, parce que la campagne sur l’évangélisation en Kabylie s’essouffle, au profit de la troisième voie du salut. Ensuite, parce que la conversion d’un musulman au christianisme ne s’est pas faite dans l’atmosphère habituelle de clandestinité, voire de conjuration.Paradoxe : pendant que des «Néron» en herbe pourchassaient les apostats kabyles, Rome célébrait avec faste l’entrée d’un musulman dans son Eglise. A chacun sa vision du dialogue des religions : le pape Benoît XVI en personne a procédé au baptême en l’église Saint- Pierre de Rome. L’événement a même été retransmis en direct par plusieurs chaînes satellitaires, dont la saoudienne Al- Arabia qui s’offrait ainsi un habit de tolérance gênant aux entournures mais portant beau. Certes, la personnalité du converti a beaucoup joué : éditorialiste et vice-président d’un quotidien prestigieux, ses prises de position étaient très suivies. Adversaire résolu de l’Islam politique, il se manifestait comme un observateur lucide et critique de la communauté dont il était issu. Ses prises de position lui ont valu l’inimitié des chefs de file de la mouvance islamiste comme Tarik Ramadan.


L’homme qui propose une dangereuse ivresse dans un flacon doré a même étrenné, pour Magdi Allam, un nouvel anathème. On ne décrète plus que X ou Y est apostat, terme d’exclusion lourd de menaces, pour ne pas choquer l’opinion occidentale mais on le suggère. Pour ce qui est du journaliste originaire d’Egypte, Tarik Ramadan s’est simplement contenté de proclamer partout que Magdi Allam n’était pas musulman mais chrétien. Il pourra toujours ergoter en invoquant la dose d’omniscience que la providence lui aurait prodiguée. Magdi Allam vient de confirmer ce que Tarik Ramadan savait déjà par intuition, c’est un cœur de chrétien qui battait dans cette poitrine de musulman. Magdi Allam avoue d’ailleurs qu’il avait été tenté de se convertir au christianisme dès son arrivée en Italie, pour mieux s’intégrer dans sa société. Ce qu’il ne comprend pas, ce sont les réactions de haine et de violence qu’il a suscitées autour de lui alors que «des milliers de convertis à l’Islam vivent sereinement leur nouvelle foi».


C’est la même préoccupation qui revient sous la plume de notre confrère égyptien Saad Khalil qui s’attache au message véhiculé par cette conversion publique et ostentatoire. Dans le magazine Elaph, Saad Khalil estime qu’en baptisant personnellement Magdi Allam, le pape a interpellé le monde musulman. Il s’est adressé à ses chefs politico- religieux, avant la conférence sur le dialogue islamo-chrétien, pour leur dire : «Nous agirons avec vous par la réciprocité. Vous n’avez pas à islamiser nos enfants alors que vous nous interdisez de christianiser les vôtres. Tout comme vous encouragez les chrétiens à embrasser l’Islam, nous encouragerons les musulmans à se convertir au christianisme. Et si vous interprétez la conversion de Magdi Allam comme une prise de position de l’Eglise, nous sommes en droit d’interpréter la conversion des chrétiens à l’Islam comme votre prise de position. Nous tiendrons donc compte de vos sentiments pour peu que vous teniez compte des nôtres.» Saad Khalil minimise, en attendant, les réactions hostiles à la conversion de Magdi Allam et observe que les habituels ténors de l’anathème ne se sont pas encore manifestés. Il estime que cette absence d’agitation reflète le souci des dirigeants arabes et musulmans de donner une meilleure image de l’Islam, surtout depuis le sommet de la conférence islamique à Dakar. Toutefois, et à en croire la réaction de ce lecteur à l’article de Saad Khalil, la conversion de Magdi Allam n’est pas une perte pour l’Islam. C’est simplement un ennemi intérieur de l’Islam, une taupe en quelque sorte, qui s’est démasqué et a rejoint son camp naturel. C’est à peu de choses près l’opinion qui s’exprimerait dans nombre de pays arabes si un sondage était réalisé dans cette optique. Cette vision qu’exprime de façon plus subtile la figure de proue de l’Internationale islamiste, Tarik Ramadan, s’explique par le climat de forteresse assiégée que les dirigeants arabes ont instauré dans nos pays. Le poète palestinien Adonis résume très bien cet état d’esprit lorsqu’il parle de la traditionnelle tolérance des musulmans à l’égard des non-musulmans. Cette tolérance existe, dit-il, lorsque le musulman se sent en position de force et en présence d’une personne dont il sait qu’elle lui est inférieure, du point de vue religieux. C’est le cas lorsqu’il est confronté à un «Dhimi», c'est-à-dire un citoyen de second ordre. Enlevez ce sentiment de supériorité et la tolérance disparaît. Ce qui est valable pour les individus vaut aussi pour les Etats, et a fortiori pour les dirigeants de ces Etats. Il faut que le sentiment de confiance soit sérieusement atteint pour envoyer en première ligne des hérauts de moins en moins convaincants pour annoncer que le Sauveur va enfin agir. En l’espace de quelques mois, nous avons vu, et entendu, le sceptre du salut de l’homme et du pays passer des mains immatérielles de la providence à celle d’un homme.



On nous annonce pour le prochain quinquennat un homme providentiel pour tous les secteurs de la vie nationale, un sauveur multistandard en quelque sorte. La culture, le Mouloudia d'Alger, le sport, l'UGTA, et tous les chefs-d'œuvre en péril seront sauvés, et nos âmes bien sûr avec la Grande Mosquée. Pour vous montrer à quel point on en a besoin, je vous cite quelques extraits de l’article publié par l’écrivain koweïtien Khalil Ali Haïder, dans le quotidien des Emirats Al-Itihad. Dans cet article intitulé «Le dérapage algérien», l’auteur ne s’appuie pas sur un rapport de la CIA ou de la DST, et donc contestable. Il cite simplement un universitaire algérien, Salah Belhadj, qui lui fournit la trame de son article. L’écrivain s’arrête d’abord sur l’affirmation de ce dernier selon laquelle la société algérienne est une société modernisante et non une société moderne. C'est-à-dire qu’elle s’attache aux apparences de la modernité, à ses instruments techniques mais elle n’assimile pas les éléments culturels de la modernité. Elle n’évolue pas en profondeur car elle reste fondamentalement conservatrice. Sur le plan politique, le gouvernement se nourrit d’une culture religieuse conservatrice. Comme dans presque tous les pays arabes, ce gouvernement s’attache à respecter et à maintenir les repères fixés par les islamistes dans tous les domaines. Il tient aussi à ne jamais apparaître comme ayant moins de zèle religieux que les islamistes. Ce qui fait dire à Khalil Ali Haïder qu’en Algérie, les islamistes ont sans doute perdu une bataille mais ils ont gagné la guerre.A. H.
Ahmed Halli Le Soir d'Algériehttp://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/07/article.php?sid=66627&cid=8

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