lundi 21 avril 2008

Une fetwa peut en cacher une autre

Un lecteur respectueux des règles de la politesse, ce qui est rare, me reproche de ne voir que le côté obscur des choses chez mes supposés compatriotes et frères extrautérins. Je lui ai conseillé de feuilleter les pages de ses journaux favoris et de me trouver des faits qui suscitent, un tant soit peu, la satisfaction ou l’espoir. Réponse immédiate et triomphaliste de mon correspondant : pourquoi ne pas parler de la dernière fetwa de Karadhoui autorisant la consommation des boissons alcoolisées.Effectivement, de telles initiatives peuvent inciter à l’optimisme, voire à l’euphorie s’agissant de promesses d’ivresse. Chose promise, chose due, je dois rappeler d’abord que les fetwas de Karadhaoui sont souvent éphémères. Elles sont immédiatement démenties par l’intéressé lui-même, dans une de ses séances de mise en condition sur Al-Jazira. Une «contrefetwa » vient parfois annuler et remplacer la fetwa sujette à contestation. Dans le cas de Karadhaoui, il faut se méfier davantage : une fetwa peut en cacher une autre. Ne vous étonnez donc pas si le théologien en chef du Qatar et de l’Internationale islamiste nous sert, dans la foulée, une fetwa susceptible de provoquer la gueule de bois. Enfin, comme tous les théologiens tournant autour du pot (de vin), Karadhaoui enrobe sa fetwa de multiples «considérants». Ce qui la rend aussi peu lisible qu’une résolution du FLN, au bon temps du parti unique. Néanmoins, on peut déduire de cette fetwa que le cheikh, par ailleurs mari comblé d’une de nos concitoyennes, nous autorise à boire sous certaines conditions. Il faut que la boisson ait été fermentée, et donc alcoolisée, naturellement et le degré d’alcool dudit breuvage ne doit pas dépasser les cinq degrés, ou volumes d’alcool. Ce qui réduit sérieusement l’éventail du choix et restreint l’accès aux sources de l’ivresse. Là encore, c’est une question de flacons et elle est importante quoi qu’en dise l’adage. Or, à ma connaissance, il n’y a que des boissons alcoolisées comme la bière qui peuvent figurer sur l’échelle de Karadhaoui. De là à penser que les fabricants de bière pourraient tirer de substantiels avantages de cette fetwa, il n’y a qu’un pas que vous pouvez franchir, mais sans moi.


Sans trop s’interroger sur les tenants et les aboutissants de cette fetwa, notre confrère Nidal Naissa, journaliste syrien d’origine afghane, estime que la fetwa de Karadhaoui mérite qu’on s’y arrête. Il explique que le cheikh qatari s’attaque à un sujet, l’alcool, considéré comme le pire des maux par les musulmans. «Ils disent (les musulmans) qu’il égare l’esprit et le sens de la pudeur. Après son interdiction et en son absence, la raison arabe et musulmane s’en est allée aussi et, grâce à Dieu, sans espoir de retour. Les théologiens qui ont légiféré sur l’alcool n’ont épargné personne. Ils ont stigmatisé le buveur, le vendeur, le transporteur, etc. En dépit de cela, de nombreux musulmans ont continué à boire de l’alcool sans tenir compte des interdictions, des menaces et des promesses de séjour au purgatoire. Aujourd’hui, les opérations de contrebande de l’alcool sont une activité florissante dans plus d’un pays musulman fondamentaliste. C’est un commerce évalué à plusieurs centaines de milliards de dollars et ni l’imam Malek ni Karadhaoui et les théologiens n’y peuvent rien. Tous les textes théologiques les plus virulents n’ont pas empêché de nombreux musulmans de boire pour fuir une réalité oppressante et immuable. De plus, cette activité est source de prospérité pour de nombreux pays occidentaux comme la France qui s’enrichit et enrichit ses citoyens non musulmans grâce à ses vins réputés. Pendant ce temps, des pays qui interdisent la consommation et la vente d’alcool et les punissent par la flagellation souffrent de malnutrition. La pénurie de médicaments, l’ignorance et l’analphabétisme, le développement de la superstition sont le lot quotidien ». «Quel magnifique spectacle ce serait de voir, après cette fetwa, un barbu avec sa «zebiba» (tache sur le front qui serait occasionnée par de fréquentes prosternations), sa «dichdacha» et son chapelet, consommant de l’alcool à cinq volumes autorisé et donnant libre cours à sa verve créatrice », conclut Nidal Naissa en guise de souhait.



Ayant la nationalité syrienne et vivant à Damas, notre confrère est l’un des rares journalistes arabes à incriminer l’impuissance des autorités syriennes dans l’attaque informatique qui a eu lieu lors de l’ouverture du sommet arabe. Personnellement, le seul enseignement que je tire de cet événement, c’est que Karadhaoui a pratiquement le droit de tout dire et d’innover (Ibdaâ) sur tout, sans encourir les foudres de ses pairs. Cela fait quand même une semaine que la fetwa a été lancée et il n’y a pas eu une seule accusation d’apostasie ni une sentence de mort contre Karadhaoui. Des réactions, il y en a eu certes mais elles n’ont pas atteint la violence des attaques lancées contre Djamal Al-Bana. Ce dernier n’a fait pourtant que cautionner les étreintes fugitives et les baisers chastes entre jeunes de sexe opposé. Avec Karadhaoui, et sa bière à cinq degrés, on peut imaginer jusqu’où peut aller un homme sous la forte emprise de l’alcool. Karadhaoui sait sans doute beaucoup de choses sur les hommes mais il doit ignorer cette loi universelle : «Quand le vin est tiré, il faut le boire.»



Pour en finir avec Karadhaoui et consorts, et revenir à une réalité plus brutale ce qui est naturel, j’ai découvert sur le magazine Middle East Transparency une nouvelle écrivaine saoudienne contestatrice nommée Nadine Al- Badir. Cette femme nous livre cette semaine un pamphlet d’une rare audace sur la polygamie en pays musulman. Elle observe d’abord que dans les pays comme la Tunisie où la polygamie est interdite, le divorce est en chute libre. Tandis qu’en Arabie saoudite, avec la prolifération des mariages légaux, les divorces connaissent une hausse vertigineuse. Nadine Al-Badr raconte que dans son enfance, elle embêtait toujours sa tante avec la même question : «Pourquoi as-tu laissé ton mari prendre une deuxième femme ?» Et, au fil des ans, la réponse de la tante était toujours la même : «Que puis-je y faire ?» Et Nadine de revenir à la charge : «Pourquoi ne peux-tu rien faire ? Réponse : «C’est le pouvoir de la providence.» - «Mais la providence est juste, elle ne veut pas faire pleurer les êtres humains. Elle ne veut pas que le cœur des femmes soit déchiré.» - «C’est ainsi que Dieu l’a voulu. Nous sommes en bas et ils sont en haut. Nous sommes des femmes et ce sont des hommes. L’important, c’est ce que nous aurons dans l’Audelà. » Plus tard, l’écrivaine s’est adressée à sa mère pour lui demander pourquoi elle permettait à son mari d’avoir ouvertement des relations extra-conjugales. Réponse plus nuancée de la maman : «Chaque chose en son temps.» «Pourquoi ne voit-on pas dans nos rues un homme relativement jeune accompagné d’une épouse plus âgée que lui ? Pourquoi est-ce le privilège des hommes de désirer et d’épouser des femmes de l’âge de leurs petites-filles, dès qu’ils sentent le poids des ans ? Pourquoi accorde-t-on leurs droits politiques aux femmes si c’est pour leur contester le droit de revendiquer un meilleur statut pour elles et pour leurs semblables ?» Pensez-vous, ami lecteur, que l’actualité du monde arabe incite à l’optimisme ? Si vous avez encore des doutes, pourquoi ne pas interroger votre mère ou votre grand-mère ?

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/21/article.php?sid=67259&cid=8

Aucun commentaire: