mardi 13 mai 2008

Dans un pays où il y a Madga Roumi

Ceux qui accusaient le Hezbollah libanais de vouloir constituer un Etat dans l’Etat ont vu leurs prévisions se vérifier. Pour avoir voulu enquêter sur un réseau de télécommunications parallèle mis en place par l’armée chiite de Nasrallah, le gouvernement libanais est confronté à un putsch. Les milices de Nasrallah ont occupé l’aéroport de Beyrouth et les principaux quartiers de la capitale pour montrer leur force.Le temps où les combattants de l’autre milice chiite, Amal, étrillaient le petit rival du Hezbollah est bien fini. Le mouvement Amal, dirigé par le chef du Parlement Nabih Berri, est désormais le petit vassal d’une force armée ouvertement soutenue par l’Iran. Jadis, le Liban était un Etat multiconfessionnel régi par des règles acceptées et respectées par tous. Les voisins arabes s’accommodaient de l’existence d’un Liban pluraliste, démocratique et florissant. Ce qui n’était pas le cas des Etats arabes environnants ni celui d’Israël. Un tel pays arrangeait beaucoup les affaires des dirigeants arabes, même s’il était un mauvais exemple et une tentation pour leurs peuples. C’est au Liban que se réglaient les petits et grands comptes entre frères, que se vidaient leurs querelles intestines. Le Baath irakien étripait son rival syrien et vice-versa mais sans jamais trop de débordements. Puis les grands frères arabes et les petits frères palestiniens ont mis fin à tout ça. Le champ clos des joutes arabes a ouvert ses portes au tout-venant et à tous les périls. La guerre civile, l’intervention puis l’occupation syrienne ont fait le reste : l’Iran a progressivement installé ses pions au Liban et renforcé sa présence. Les accords de Taëf de 1989 sont progressivement vidés de leur contenu et les pays arabes se taisent de peur d’irriter Damas.


L’Iran, qui fut le principal allié d’Israël dans la région et son pourvoyeur d’armes, ne fait pas dans le sentiment. La destruction d’Israël est un paravent idéal pour ses projets impérialistes et le Hezbollah en est l’instrument idéal. A l’été 2006, le Hezbollah lance quelques pétards sur Israël qui riposte en détruisant la moitié du Liban. Après quelques semaines d’une partie de cache-cache meurtrière pour les non-combattants, le Hezbollah parade dans les rues de Beyrouth. Cette «victoire» à la Pyrrhus de Nasrallah le rend de plus en plus audacieux. Fort de son nouveau baptême du feu qui l’a auréolé du titre de «résistant», le Hezbollah est de plus en plus exigeant. Le mouvement qui a installé le régime des ayatollahs au cœur de Beyrouth accuse le gouvernement légal de collusion avec Israël et avec les Américains. Ce n’est pas par hasard que la presse de Damas a salué hier l’intervention du Hezbollah qui a «rétabli la situation» au Liban. Tout se passe comme si les dirigeants arabes avaient fait le choix de sacrifier le Liban, tel qu’il existe encore, au profit d’une autocratie religieuse exclusivement musulmane. On pourra alors s’y entretuer sans que les gouvernements français ou américains soient tentés de débarquer pour évacuer des chrétiens qui ne seront plus là. En attendant, le Liban vit et je pourrais dire qu’il chante. Vendredi dernier, alors que les combats de rue faisaient rage à Beyrouth, Magda Roumi enregistrait aux studios de la MBC (la chaîne saoudienne). En dépit des conseils de prudence qui leur avaient été prodigués, le producteur et l’animateur de l’émission «Al-Arrab» (Le Parrain) ont tenu leur pari et Magda Roumi a joué le jeu. Le public aussi était là, venu sans doute des zones non touchées par le combat. Selon la correspondante du magazine Elaph qui était présente, il n’y avait pas un seul confrère dans le studio d’enregistrement. L’un d’eux avait même tenté de la dissuader de s’y rendre en raison des combats. Magda Roumi a parlé, bien sûr, de la situation actuelle et des malheurs de son pays, de Beyrouth, «Maîtresse du monde». «Nous sommes des peuples dopés par la mort.» Et de crier d’une voix dominée par la douleur : «Laissez un peu de place au rêve !» Et elle répète : «Nous sommes un peuple qui ruse avec la vie pour pouvoir exister. Nous sommes un champ d’expériences et un peuple qui dessine les traits de la mort. Même l’oiseau a peur. Nous n’entendons plus le chant de l’oiseau au Liban.» Mais il reste celui de Magda qui sent qu’elle doit s’exprimer, dire ce qu’elle a sur le cœur. «Si elle se taisait dans des moments pareils, ce serait comme si elle avait abdiqué toute dignité.» On la sent au bord des larmes mais elle les refoule avec sa maîtrise coutumière. Le public est aussi gagné par l’émotion. Lorsque l’animateur lui demande quelle est la solution, elle répond avec calme : «S’ils sont incapables de trouver un accord, qu’ils renoncent au confessionnalisme et qu’ils séparent la religion de l’Etat. Qu’ils laïcisent l’Etat et nous épargnent les divisions, que le pouvoir revienne à celui qui peut diriger et non pas à n’importe qui sous prétexte d’appartenance à telle ou telle confession !» Magda Roumi a refusé de chanter en studio. Elle est trop émue et elle craint que sa voix angélique ne la trahisse. Le plus bel hommage lui est parvenu de ce téléspectateur, par SMS : «Comment peuvent- ils tirer des balles dans un pays où il y a Magda Roumi ?» Quelques heures auparavant, des hommes en cagoule avaient fait irruption dans les studios de la chaîne Al- Moustakbal, situés dans le même immeuble, et les avaient fermés. Al-Moustakbal étant une chaîne appartenant aux Hariri, chefs de file des antisyriens, on peut deviner l’identité des assaillants. Et s’ils ont épargné la MBC, ce n’est pas par amour de la liberté d’expression mais parce que derrière la MBC il y a le royaume d’Arabie saoudite. Apparemment, la Syrie et le Hezbollah ne sont pas encore prêts à déclencher une crise avec le royaume wahhabite.


Même matrice idéologique mais studios et chaînes différents. Al-Nas, la chaîne «qui vous emmène au paradis» (c’est son credo), est en crise. Ses trois prédicateurs principaux menacent de claquer la porte si leur confrère égyptien Amr Khaled entre à Al-Nas. La direction de la chaîne religieuse la plus suivie en Egypte semble tenir à la venue de Amr Khaled. Elle a déjà fait une concession aux cheikhs en interdisant l’apparition de femmes en hidjab à l’écran, sous prétexte que le visage de la femme est une «partie honteuse» à la télé. Aujourd’hui, ses prédicateurs vedettes ne veulent pas d’un concurrent et qui plus est imberbe. Et puisque nous parlons encore de wahhabisme, vous avez sans doute été interpellés, tout comme moi, par ce communiqué des «ulémas» algériens, sommant le ministre des Affaires religieuses de lâcher le contrôle des mosquées. Je suis un peu étonné par cette injonction faite à un ministre qui ne contrôle rien de renoncer à un contrôle sur les mosquées qu’il exerce par intermittence. A moins qu’il ne s’agisse encore de l’argent de la «Zakat», le différend d’ordre religieux étant à écarter dans ces sphères-là. Vous avez, enfin, lu dans la presse le résumé de cette lettre adressée au président de la République par un journaliste sportif très connu, Hafidh Derradji en l’occurrence. Il paraît que la direction de la télévision l’a accusé d’être un opposant à Bouteflika. Ce que l’intéressé dément avec la plus grande vigueur. Je suppose que Hafidh Derradji s’inquiète pour son avenir et je lui donne raison. Il faut, en effet, être d’une rare témérité pour s’opposer à Bouteflika au jour d’aujourd’hui. A moins d’avoir des informations sérieuses sur l’avenir du troisième mandat. Et là encore, il ne faut pas s’y risquer : souvenez-vous du scrutin présidentiel de 2004 !


Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/05/12/article.php?sid=68173&cid=8

La liberté d'expression en hauts talons

«J’ai atteint l’âge de onze ans et ma voix est devenue ma honte. Ainsi ont parlé les femmes de ma famille : la voix fait partie de l’honneur de la femme. Plus cette voix s’élève et plus le respect pour la femme diminue. Sa voix ne doit être qu’un murmure. Ce qui veut dire que ma voix est un péché. Elles ont dit aussi que mes regards sont un péché, que mes rires sont un péché.Elles ont dit que l’honneur de la société est entre les cuisses de ses filles, que l’honneur des hommes s’efface lorsque je souris, que l’honneur de tous les hommes de la famille est perdu au premier regard d’admiration que j’échange avec un homme. Elles ont dit que la pudeur des vierges doit être exemplaire. C’étaient des femmes qui m’ont raconté comment je devais avoir honte des attributs de la nature. Des femmes qui m’ont appris comment mes yeux devaient être rivés au sol, ne serait-ce que par ruse. «Mes cheveux aussi sont un péché. Mon institutrice a juré un jour que le visage de la femme était fait pour réjouir uniquement son époux ; que la fonction de la femme est achevée lorsqu’elle livre son corps à un homme. J’aurais voulu l’interroger : «Et si je ne me marie pas ? Que ferai-je de mon visage, cet élément de séduction que je possède ? J’ai grandi, et l’imam de la mosquée m’a cassé les oreilles tous les vendredis, perturbant mes révisions avec ses envolées extrémistes. Il affirmait, sous mille et un serments hebdomadaires, que le corps de la femme est une malédiction dont il fallait bannir la présence. «Tout en moi est donc péché. Pourquoi ais-je donc été créée ? Est-ce pour ça qu’ils ont choisi pour moi le noir ? Pour que je proclame au monde le deuil d’être née femme ? Et comment me suis-je résignée, moi, à la timidité, à la honte, au lieu de m’enorgueillir des merveilles de la création ? Les merveilles de la féminité. Question plus importante : quand est-ce que la femme a commencé à avoir honte de son existence ? «Tout ce que je sais, en ce qui me concerne, c’est qu’ils ont introduit des leçons sur le cycle menstruel dans les manuels religieux. J’ai appris ma leçon : il est écrit que je dois être une impure («nadjasse ») durant plusieurs jours dans le mois. J’ai cherché la signification du mot impure dans les dictionnaires arabes et toutes les définitions aboutissaient à celle-ci : sale ! C’est alors que j’ai éprouvé de la honte. Comment puis-je ne pas avoir honte, moi la souillon ? Je ne suis pas un être sain, ni propre. «Puis, j’ai parcouru le monde et j’ai vu. J’ai vu des statues des dieux antiques dans leur nudité. J’ai vu des corps de femmes sculptés ou gravés dans les rues et sur les routes, sur les parois des grottes, à l’intérieur des palais et des citadelles, avec une ferveur quasi mystique. Tous ont rivalisé de talent pour sculpter mon corps qui renferme le secret des merveilles de la création, le symbole de la fertilité et de la fécondité. Le corps devant lequel les anciens et les idolâtres n’ont pu dissimuler leur extase et qu’ils ont sanctifié et adoré. Je me suis imaginé quel aurait été le sort de ces sculptures et de ces gravures si elles avaient été laissées dans notre région. J’ai pensé qu’elles auraient été détruites ou recouvertes de voiles. Mais j’ai imaginé aussi qu’elles auraient pu inspirer le respect de la société pour les corps de ses femmes, au lieu de la répulsion. Comment les anciens ont glorifié mon corps et comment les miens l’ont offensé. «Je suis revenue à ma société. Là où les hommes sont fiers de montrer des pans de leur corps. Là où les femmes sont fières d’exhiber les surfaces de tissus utilisés. Contre toute logique, celle qui veut que ce soit les hommes qui devraient avoir honte de leur corps. Car le corps de la femme est plus beau. C’est la beauté qui devrait être généralisée dans la rue, et non pas l’inverse. Je suis revenue là où les tissus sont les premiers facteurs de distinction entre les êtres et de violation de toutes les chartes et de tous les droits humains. Quelques mètres de coton suffisent à juger si celles qui s’en couvrent sont dépravées ou vertueuses. «Coton, laine et soie : tels sont les critères de la morale ici, tant que toutes les choses se déroulent à l’intérieur des murs et que rien n’apparaît sur l’asphalte. La première gifle morale que j’ai reçue de la société, c’est lorsque j’étudiais dans un de ces établissements secondaires où les élèves et les enseignantes étaient rigoristes jusqu’à l’extrémisme. La façon dont nous portions l’habit traditionnel suffisait à nous classer. C’est ainsi qu’il fut décrété que toutes les élèves connaîtraient la béatitude au paradis à l’exception de ma camarade et de moi. Nous irions rôtir en enfer et nous serions dévorées par les hyènes. «Un jour, une de mes condisciples me demanda de téléphoner à son amoureux pour fixer leur prochain rendez- vous, son propre téléphone étant en panne. «Comment peux-tu me demander ça, toi l’élève modèle voilée et qui ne montre ni ses mains ni ses pieds ? Elle me répondit : «Qu’est-ce que ceci a à voir avec cela ? Toi, tu es une mécréante, parce que tu ne respectes pas le port du voile et que tu laisses des parties de ton corps livrées sans honte au regard des étrangers». Tels sont les critères de la morale ici, tant que tout se déroule à l’intérieur et que rien ne transparaît sur l’asphalte, tant que le corps est entièrement recouvert. Il reste que c’est le même corps dans les murs et hors les murs. La différence réside dans les lois qui sont en vigueur en de ça et au-delà des murs».


Ce texte dont je vous ai proposé de larges extraits est de l’écrivaine saoudienne Nadine Albdaïr. Cette jeune femme refuse de se soumettre à l’ordre établi et elle l’exprime chaque jeudi dans le quotidien saoudien Al-Watan. Ses prises de position sont un pied-de-nez au fondamentalisme saoudien. On peut s’étonner que de tels écrits soient publiés dans la presse du royaume qui ne laisse pas beaucoup d’espaces de liberté, surtout aux femmes. Certains peuvent même en conclure qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Néanmoins, Nadine Albdaïr dérange et interpelle sa propre société. Récemment, Nadine a pris la défense de la danse orientale, ou «danse du ventre» dans un dialogue imaginaire avec un adversaire de cet art. Elle affirme pratiquer elle-même la danse orientale pour se mettre en forme avant d’écrire. Alors qu’un journaliste américain lui demandait pourquoi elle portait des talons hauts alors qu’elle n’en avait pas besoin, elle a répondu : «Je le fais parce qu’ils claquent sur le pavé. Une femme doit se faire entendre lorsqu’elle marche. Pour moi, c’est aussi une forme de contestation des interdits masculins». L’écrivaine saoudienne a, par ailleurs, vertement tancé les libéraux saoudiens qui réclament la démocratie tout en la refusant dans leurs propres familles. Bien entendu, tous les sites intégristes l’abreuvent d’injures et de qualificatifs infâmants. L’un d’eux a même décidé de la porter sur la liste des sybarites et des libertins du siècle, aux côtés de Nizar Qabbani et de… Mohamed Arkoun. Une sacrée référence en ce qui me concerne et qui m’a donné l’envie de vous la faire connaître. Avec de tels exemples, je ne comprends pas pourquoi nos écrivains et journalistes s’obstinent à imiter l’Arabie saoudite d’il y a trente ans. Sommes-nous condamnés à toujours nous repaître des produits abandonnés par les autres ? Même notre fondamentalisme ressemble étrangement à ces déchets que les riches viennent enfouir dans le sol des pauvres.

Ahmed Alli Le soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/05/05/article.php?sid=67872&cid=8

La science, ce soldat inconnu

Ouf ! Il était temps que le mois d’avril s’en aille, avec ses sautes d’humeur climatiques, ses vents de sable et ses coups de froid sur l’espérance. Avril, c’est aussi le mois des couleuvres, de plus en plus difficiles à avaler. On en a eu de belles, cette année, avec la mort par épuisement de la campagne venimeuse sur l’évangélisation de masse en Kabylie. On en est revenu à certaines réalités occultées à la veille pour cause d’anniversaire du 20 Avril. Pour cette 28e commémoration, d’aucuns se sont souvenus que la Kabylie est une région livrée à elle-même dans un pays mal gouverné.C’est le paradoxe de la peur du gendarme qui change de camp et qui s’empare des chefs de la nation. «Ces gens-là contestent nos méthodes. Eh bien laissons- les se débrouiller tout seuls. Laissons-les s’entredéchirer dans leurs réserves indiennes !» C’est la tentation de la solution imaginée par le «Makhzen» marocain pour se débarrasser du problème des provinces frondeuses : les livrer à elles-mêmes, en faire des «Aradhi Essiba» (territoires abandonnés). C’est ainsi que le Sahara Occidental est devenu «terra nullus» pour justifier la conquête espagnole. La comparaison ne va pas si loin mais elle mérite tout de même qu’on y réfléchisse. Le 20 Avril, les couleuvres son restées dans leurs repaires, le fond de l’air était encore trop frais. Et puis, la journée précédente du 19 avril avait été particulièrement éreintante. Il y en avait partout et sur tous les supports : 19 avril, «Youm-al- Ilm», journée de la science. Il n’y a que nous pour aimer la science à ce point, jusqu’à lui consacrer une journée par an. On la célèbre comme le souvenir d’un martyr, du cher disparu. Pourquoi ne pas la baptiser «Journée de la science martyre »? Encore mieux : «Journée du soldat inconnu» puisque la science nous est aussi étrangère que peut l’être un militaire tué par le terrorisme repentant. «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme», disait Rabelais, repris depuis par les fondamentalistes pour justifier leur opposition aux progrès scientifiques. Dieu merci ! Nous n’avons ni l’un ni l’autre et nous pouvons nous en passer puisque nous avons le 19 avril.


Vaille que vaille, ce «Youmal- Ilm» devenu, de glissement en glissement, celui de la «science théologique», a aussi ses brevets d’invention. On y réinvente l’histoire et on y expérimente de nouvelles «vérités historiques» à enseigner à nos écoliers. Dans les prochains manuels d’histoire, on enseignera que les «Ulémas» (de «Ilm», la science) ont planifié et déclenché la guerre de Libération. On n’ose pas, pour le moment, à cause de ces anciens combattants qui s’entêtent à survivre mais patience ! Il suffit, en attendant, de lancer un mot d’ordre comme «Ben- Badis, le père de l’indépendance » et de le laisser pérégriner à travers les mosquées écoles et les écoles mosquées. C’est finalement ça la réécriture de l’histoire imaginée, il y a quelques années, par le système et transformée par lui en évènement mondain puis en pièce d’archives. «Au mois d’avril, ne te découvre pas d’un film»: c’est le proverbe remis en vogue par une section locale de l’association des «Ulémas» dans une ville de l’ouest du pays. Cette dernière proteste contre le refus d’un fonctionnaire d’accepter la photographie d’une femme en «djilbab» pour l’établissement d’une pièce d’identité. Si ces messieurs avaient vraiment été les artisans de l’indépendance, voilà ce qu’auraient été nos «Trois Révolutions»: Hidjab, djilbab, niqab. C’est vrai qu’au final, le résultat est le même mais on a quand même rêvé et le rêve aujourd’hui relève de l’apostasie, on peut ne pas s’en réveiller.


En parlant de «Ulémas» (pluriel de «Alem», savant), vous savez sans doute qu’il existe une «Union internationale des ulémas», censée être le «Vatican» du nouvel Islam fondamentaliste. Son président est le cheikh du Qatar, Youssef Karadhaoui qui est également président du «Conseil européen de l’Iftaa». Comme son nom l’indique, ce conseil édite des fatwas à l’usage des musulmans d’Europe. Ces deux organismes peuvent suggérer un fonctionnement collégial mais, dans la réalité, il n’y a que Karadhaoui qui ait voix au chapitre. C’est ce singulier personnage, apôtre de l’Islam politique et inspirateur des groupes islamistes dont il s’est détourné depuis, que le président Bouteflika a rencontré la semaine dernière. Personnellement, j’ai trouvé la couleuvre un peu grosse, à cause du retentissement donné à la rencontre des deux amis. En regardant les images de la rencontre Bouteflika-Karadhaoui au Qatar, le plus important porteavion américain dans le Golfe, le rappel est utile, je me suis souvenu de l’histoire de Norton. Ce personnage se targuait d’être célèbre, de connaître et de tutoyer tous les grands de ce monde. Avec un ami, incrédule, il avait fait le pari d’apparaître au balcon du palais pontifical, aux côtés du Pape, le jour de la célébration de la messe de Pâques. Au jour dit, l’ami sceptique attend sur la place Saint- Pierre, au milieu de la foule et il voit apparaître Norton en compagnie du Pape en habit d’apparat. Il tombe à la renverse lorsqu’un quidam le tire par la manche et lui demande : «Dites, Monsieur, qui c’est le personnage en blanc à côté de Norton ?» Devant ces images muettes, et par goût de la dérision, j’ai été tenté, en effet, de poser cette question : mais qui sont ces deux vieux qui trottinent devant cette belle jeune femme en hidjab ? Comme le commentaire maison ne mentionnait que les deux présidents, Bouteflika et Karadhaoui, j’en ai déduit que cette personne devait être l’épouse algérienne de Karadhaoui. Je me rappelai l’avoir vaguement entrevue lors de l’hospitalisation du cheikh qatari en Algérie. Après le zapping, la première question que je me suis posée est celleci : de quoi ont-ils parlé ? Ontils évoqué la dernière fatwa de Karadhaoui sur la consommation d’alcool et ses répercussions sur les ventes de bières ?

Revenant à des choses plus sérieuses, j’ai revu en pensée le film de l’audience et je me suis arrêté sur l’image de cette épouse du cheikh. Voilà une dame qui s’est spécialement apprêtée pour l’événement et arborait le sourire propice, sans avoir droit au moindre gros plan. Pas le moindre petit commentaire, la plus brève mention, une quelconque allusion. Elle était là, plantée dans le décor, aussi invisible que les figurants. Diantre ! On aurait pu au moins nous montrer un geste d’intérêt de Bouteflika à son égard. On aurait pu l’interviewer comme on le fait habituellement aux personnes qui ont eu l’honneur d’être reçues par le président et qui en sont encore tout éberluées. Non, rien de tout cela : contrairement à la femme de César qui était au-dessus de tout soupçon mais tenait son rang, la femme de Karadhaoui, elle, ne doit pas en sortir. Même en hidjab, elle doit rester à sa place, c'est-à-dire dans l’ombre de son mari, et de préférence du côté le plus obscur de l’ombre. Ni potiche, ni figurante intelligente mais tout simplement une femme arabe et musulmane qui ne doit parler que si on l’interroge. Je sais : il y a sans doute des images plus chaleureuses qui ont été supprimées au montage mais qui a décidé des coupures ? Pourquoi avoir réduit cette digne épouse à un anonymat aussi humiliant qu’insidieux ? Il y a sans doute des réponses toutes prêtes, du genre : «Karadhaoui est très jaloux et il ne tolère pas qu’on montre sa vie privée.» Franchement, je préfère la théorie d’un vieux mari jaloux à celle d’un complot du silence contre la femme. C’est pourtant la seconde hypothèse qui me semble la plus évidente.

Ahmed Alli Le soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/28/article.php?sid=67574&cid=8

lundi 21 avril 2008

Une fetwa peut en cacher une autre

Un lecteur respectueux des règles de la politesse, ce qui est rare, me reproche de ne voir que le côté obscur des choses chez mes supposés compatriotes et frères extrautérins. Je lui ai conseillé de feuilleter les pages de ses journaux favoris et de me trouver des faits qui suscitent, un tant soit peu, la satisfaction ou l’espoir. Réponse immédiate et triomphaliste de mon correspondant : pourquoi ne pas parler de la dernière fetwa de Karadhoui autorisant la consommation des boissons alcoolisées.Effectivement, de telles initiatives peuvent inciter à l’optimisme, voire à l’euphorie s’agissant de promesses d’ivresse. Chose promise, chose due, je dois rappeler d’abord que les fetwas de Karadhaoui sont souvent éphémères. Elles sont immédiatement démenties par l’intéressé lui-même, dans une de ses séances de mise en condition sur Al-Jazira. Une «contrefetwa » vient parfois annuler et remplacer la fetwa sujette à contestation. Dans le cas de Karadhaoui, il faut se méfier davantage : une fetwa peut en cacher une autre. Ne vous étonnez donc pas si le théologien en chef du Qatar et de l’Internationale islamiste nous sert, dans la foulée, une fetwa susceptible de provoquer la gueule de bois. Enfin, comme tous les théologiens tournant autour du pot (de vin), Karadhaoui enrobe sa fetwa de multiples «considérants». Ce qui la rend aussi peu lisible qu’une résolution du FLN, au bon temps du parti unique. Néanmoins, on peut déduire de cette fetwa que le cheikh, par ailleurs mari comblé d’une de nos concitoyennes, nous autorise à boire sous certaines conditions. Il faut que la boisson ait été fermentée, et donc alcoolisée, naturellement et le degré d’alcool dudit breuvage ne doit pas dépasser les cinq degrés, ou volumes d’alcool. Ce qui réduit sérieusement l’éventail du choix et restreint l’accès aux sources de l’ivresse. Là encore, c’est une question de flacons et elle est importante quoi qu’en dise l’adage. Or, à ma connaissance, il n’y a que des boissons alcoolisées comme la bière qui peuvent figurer sur l’échelle de Karadhaoui. De là à penser que les fabricants de bière pourraient tirer de substantiels avantages de cette fetwa, il n’y a qu’un pas que vous pouvez franchir, mais sans moi.


Sans trop s’interroger sur les tenants et les aboutissants de cette fetwa, notre confrère Nidal Naissa, journaliste syrien d’origine afghane, estime que la fetwa de Karadhaoui mérite qu’on s’y arrête. Il explique que le cheikh qatari s’attaque à un sujet, l’alcool, considéré comme le pire des maux par les musulmans. «Ils disent (les musulmans) qu’il égare l’esprit et le sens de la pudeur. Après son interdiction et en son absence, la raison arabe et musulmane s’en est allée aussi et, grâce à Dieu, sans espoir de retour. Les théologiens qui ont légiféré sur l’alcool n’ont épargné personne. Ils ont stigmatisé le buveur, le vendeur, le transporteur, etc. En dépit de cela, de nombreux musulmans ont continué à boire de l’alcool sans tenir compte des interdictions, des menaces et des promesses de séjour au purgatoire. Aujourd’hui, les opérations de contrebande de l’alcool sont une activité florissante dans plus d’un pays musulman fondamentaliste. C’est un commerce évalué à plusieurs centaines de milliards de dollars et ni l’imam Malek ni Karadhaoui et les théologiens n’y peuvent rien. Tous les textes théologiques les plus virulents n’ont pas empêché de nombreux musulmans de boire pour fuir une réalité oppressante et immuable. De plus, cette activité est source de prospérité pour de nombreux pays occidentaux comme la France qui s’enrichit et enrichit ses citoyens non musulmans grâce à ses vins réputés. Pendant ce temps, des pays qui interdisent la consommation et la vente d’alcool et les punissent par la flagellation souffrent de malnutrition. La pénurie de médicaments, l’ignorance et l’analphabétisme, le développement de la superstition sont le lot quotidien ». «Quel magnifique spectacle ce serait de voir, après cette fetwa, un barbu avec sa «zebiba» (tache sur le front qui serait occasionnée par de fréquentes prosternations), sa «dichdacha» et son chapelet, consommant de l’alcool à cinq volumes autorisé et donnant libre cours à sa verve créatrice », conclut Nidal Naissa en guise de souhait.



Ayant la nationalité syrienne et vivant à Damas, notre confrère est l’un des rares journalistes arabes à incriminer l’impuissance des autorités syriennes dans l’attaque informatique qui a eu lieu lors de l’ouverture du sommet arabe. Personnellement, le seul enseignement que je tire de cet événement, c’est que Karadhaoui a pratiquement le droit de tout dire et d’innover (Ibdaâ) sur tout, sans encourir les foudres de ses pairs. Cela fait quand même une semaine que la fetwa a été lancée et il n’y a pas eu une seule accusation d’apostasie ni une sentence de mort contre Karadhaoui. Des réactions, il y en a eu certes mais elles n’ont pas atteint la violence des attaques lancées contre Djamal Al-Bana. Ce dernier n’a fait pourtant que cautionner les étreintes fugitives et les baisers chastes entre jeunes de sexe opposé. Avec Karadhaoui, et sa bière à cinq degrés, on peut imaginer jusqu’où peut aller un homme sous la forte emprise de l’alcool. Karadhaoui sait sans doute beaucoup de choses sur les hommes mais il doit ignorer cette loi universelle : «Quand le vin est tiré, il faut le boire.»



Pour en finir avec Karadhaoui et consorts, et revenir à une réalité plus brutale ce qui est naturel, j’ai découvert sur le magazine Middle East Transparency une nouvelle écrivaine saoudienne contestatrice nommée Nadine Al- Badir. Cette femme nous livre cette semaine un pamphlet d’une rare audace sur la polygamie en pays musulman. Elle observe d’abord que dans les pays comme la Tunisie où la polygamie est interdite, le divorce est en chute libre. Tandis qu’en Arabie saoudite, avec la prolifération des mariages légaux, les divorces connaissent une hausse vertigineuse. Nadine Al-Badr raconte que dans son enfance, elle embêtait toujours sa tante avec la même question : «Pourquoi as-tu laissé ton mari prendre une deuxième femme ?» Et, au fil des ans, la réponse de la tante était toujours la même : «Que puis-je y faire ?» Et Nadine de revenir à la charge : «Pourquoi ne peux-tu rien faire ? Réponse : «C’est le pouvoir de la providence.» - «Mais la providence est juste, elle ne veut pas faire pleurer les êtres humains. Elle ne veut pas que le cœur des femmes soit déchiré.» - «C’est ainsi que Dieu l’a voulu. Nous sommes en bas et ils sont en haut. Nous sommes des femmes et ce sont des hommes. L’important, c’est ce que nous aurons dans l’Audelà. » Plus tard, l’écrivaine s’est adressée à sa mère pour lui demander pourquoi elle permettait à son mari d’avoir ouvertement des relations extra-conjugales. Réponse plus nuancée de la maman : «Chaque chose en son temps.» «Pourquoi ne voit-on pas dans nos rues un homme relativement jeune accompagné d’une épouse plus âgée que lui ? Pourquoi est-ce le privilège des hommes de désirer et d’épouser des femmes de l’âge de leurs petites-filles, dès qu’ils sentent le poids des ans ? Pourquoi accorde-t-on leurs droits politiques aux femmes si c’est pour leur contester le droit de revendiquer un meilleur statut pour elles et pour leurs semblables ?» Pensez-vous, ami lecteur, que l’actualité du monde arabe incite à l’optimisme ? Si vous avez encore des doutes, pourquoi ne pas interroger votre mère ou votre grand-mère ?

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/21/article.php?sid=67259&cid=8

jeudi 17 avril 2008

CE QU'ILS CROIENT ET CE QU'ILS VOIENT

Ce que croient les Occidentaux à propos des Arabes et des musulmans, ou des deux à la fois, se résume le plus souvent à un chapelet de préjugés basés sur la méconnaissance de l’autre ou la mauvaise appréciation de ses faits et gestes. Ce sont ces préjugés qui fondent les jugements arabes sur l’Occident et occultent tout le reste, c'est-à-dire ce que nous montrons, nos attitudes et nos déclarations.C’est cette partie immergée de l’iceberg arabe, ces photographies instantanées d’eux-mêmes que les concernés s’obstinent à brûler. Peu nous chaud que cet entêtement suicidaire contribue à renforcer les préjugés d’en face. Les Arabes ont décidé une bonne fois pour toutes qu’avec ces gens-là il n’y a qu’une seule attitude à avoir : la douleur de la femme séduite et abandonnée ou, au mieux, la dignité affichée de l’époux bafoué.


Si j’étais un Occidental normal, aussi normal qu’un Algérien qui rêve de traverser la Méditerranée sur une chambre à air d’Airbus, que me disent les Arabes ces jours-ci ? Pour peu que j’aie la curiosité et le temps d’aller aux sources, voici ce que j’aurais vu ou entendu : En zappant, comme on dit, sur une chaîne satellitaire, j’ai aperçu des enfants palestiniens jouer aux adultes sur un chapiteau dressé à l’occasion de la journée de soutien aux orphelins. En tendant l’oreille, j’ai appris ainsi que ces enfants rêvent de créer des milliers d’orphelinats chez l’occupant pour égaliser les chances à la loterie du malheur. J’ai changé de chaîne lorsque les enfants adultes ont entonné des hymnes invoquant Dieu contre ceux d’en face, comme dans les prêches incendiaires des imams cathodiques. Choqué de découvrir tant de violence chez des enfants, j’ai abandonné la télé pour prospecter un autre terrain pédagogique. Toujours chez les Arabes, bien sûr. Avec le peu d’objectivité que me permettent encore mes préjugés, j’ai pu constater qu’au milieu de la confusion et du tohu-bohu arabes, perçaient encore quelques éclairs de lucidité. Des intellectuels et des journalistes arabes continuent de ramer à contre-courant et de croire qu’ils se reproduiront tout comme les saumons.

C’est ainsi que j’ai été attiré par le titre d’un article intitulé «Un autre complot occidental contre la famille musulmane pour nous empêcher de frapper nos enfants». L’article a été publié par le magazine Elaph et son auteur est Dalal El-Bizri, une écrivaine libanaise vivant au Caire. C’est l’histoire très banale publiée par un quotidien cairote qui raconte ce fait divers : un Egyptien incommodé par les cris et les bruits provenant de chez le voisin sonne à sa porte. Ce dernier explique que les cris sont de sa fille de 9 ans qu’il était en train de corriger et promet de faire moins de bruit. Mais le tapage reprend et le voisin, excédé, appelle la police. Cinq heures plus tard, la police arrive et découvre une petite fille de neuf ans enchaînée par les mains au plafond. La petite invoque la protection de son oncle maternel qui est aussitôt ramené. Tout ce beau monde se retrouve au poste de police où le père explique qu’il bat sa fille ainsi parce qu’il veut faire son éducation. Vous savez ce que c’est que d’élever une fille, dit-il à l’officier qui ne demandait apparemment qu’à être convaincu. Aussi le sermon de l’officier ne s’adresse-t- il pas au père violent mais à l’oncle affectueux que sa nièce a appelé au secours. Le policier demande à l’oncle de ne pas s’en prendre à son beau-frère et il renvoie tout le monde. Il décide même de remettre la petite fille entre les mains de son père, comme si rien ne s’était passé. Dalal El-Bizri rapproche ce fait divers du débat qui a eu lieu récemment au Parlement sur les enfants battus. Tout est parti d’une initiative du Conseil national égyptien de la mère et de l’enfant qui a présenté un projet de loi pour protéger les enfants contre la violence parentale. L’article 7 de ce projet prévoyait de considérer les châtiments corporels infligés aux enfants comme un délit punissable, comme tel, de six mois de prison. Cet article a eu un résultat inattendu, celui de voir se liguer contre lui les députés de la majorité et ceux des Frères musulmans. On s’attendait au moins à ce que le débat fasse vibrer la fibre maternelle chez les deux députées femmes de la commission, constate l’auteur, amis les «cœurs tendres» n’ont pas réagi. C’est ainsi que l’article 7 a été vidé entièrement de son contenu à l’issue d’une campagne des Frères musulmans qui a sollicité notamment les cheikhs d’Al-Azhar. Nombre d’entre eux ont mis en cause pêle-mêle la mondialisation, la conférence mondiale sur la population ainsi que la volonté de l’Occident de nous imposer ses normes en matière d’éducation des enfants. C’est ainsi qu’après avoir détruit leurs propres enfants et leur société, les Occidentaux s’attaquent maintenant à saper les fondements de la famille musulmane.

Dalal El-Bizri note que l’hostilité primaire envers l’Occident a été érigée en forteresse inexpugnable pour protéger nos plus grandes faiblesses et nos plus graves défauts. De plus, ajoute-t-elle, ceux qui ont vidé l’article 7 de son contenu pénal sont habituellement des adversaires irréconciliables : des députés Frères musulmans et des élus du Parti national au pouvoir. Ajoutez-leur les indépendants. On voit donc que la rivalité politique ne nuit pas aux amitiés nouées autour de la violence contre les enfants. Ni les adversaires politiques, ni les femmes, ni les indépendants n’échappent à ce background culturel qui détermine leurs actes, souligne encore Dalal El-Bizri. En tant qu’Occidentale qui n’a jamais reçu des coups de baguette sur la plante des pieds, j’ai été choquée par le sort de la petite fille enchaînée. Mais un reste d’objectivité me force à constater qu’il reste encore de l’espoir pour tous s’il y a encore des gens pour dénoncer, à défaut de servir de repères ou de… cibles. Ce qui m’a décidée à persévérer dans ma quête. En avançant encore encombres, j’ai lu sur un site internet que le régime syrien a tué plus d’Arabes que les Israéliens en soixante ans de guerres. Que le principal témoin, devenu principal suspect, du meurtre de Rafik Hariri, s’est soudainement volatilisé comme l’imam Moussa Sadr. J’ai pu noter aussi que les auteurs de fetwas sont de plus en précis dans leurs arrêts de mort. Un téléprêcheur égyptien a franchi un nouveau palier dans ce domaine en se portant volontaire pour l’exécution de la sentence suprême. Le cheikh Tarek Al-Djoundi, parlant de Djamal Al-Bana, a dit : «Si Djamal Al-Bana était membre d’Al-Azhar, je l’aurais égorgé de mes mains.» Cette déclaration n’a pas été faite sur une chaîne satellite quelconque mais sur la très officielle deuxième chaîne de télévision publique. Cela s’est passé sur le plateau de l’émission «Al- Beit Beitek» qui pourrait se traduire par «faites comme chez vous». Pour proférer de telles horreurs, le cheikh Tarek Al- Djoundi devait effectivement se sentir chez lui et au milieu d’une famille aimante et soumise. Comment voulez-vous qu’un Occidental normal, aussi normal qu’un Algérien qui rêve alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, se retrouve dans toute cette boucherie ?


Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/14/article.php?sid=66954&cid=8

mercredi 9 avril 2008

UN SAUVEUR MULTISTANDARD

Comme le prescrit la loi de proximité, je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’événement qu’a constitué la conversion au christianisme du journaliste arabo-italien Magdi Allam, éditorialiste du Corriere della sera. D’abord, parce que la campagne sur l’évangélisation en Kabylie s’essouffle, au profit de la troisième voie du salut. Ensuite, parce que la conversion d’un musulman au christianisme ne s’est pas faite dans l’atmosphère habituelle de clandestinité, voire de conjuration.Paradoxe : pendant que des «Néron» en herbe pourchassaient les apostats kabyles, Rome célébrait avec faste l’entrée d’un musulman dans son Eglise. A chacun sa vision du dialogue des religions : le pape Benoît XVI en personne a procédé au baptême en l’église Saint- Pierre de Rome. L’événement a même été retransmis en direct par plusieurs chaînes satellitaires, dont la saoudienne Al- Arabia qui s’offrait ainsi un habit de tolérance gênant aux entournures mais portant beau. Certes, la personnalité du converti a beaucoup joué : éditorialiste et vice-président d’un quotidien prestigieux, ses prises de position étaient très suivies. Adversaire résolu de l’Islam politique, il se manifestait comme un observateur lucide et critique de la communauté dont il était issu. Ses prises de position lui ont valu l’inimitié des chefs de file de la mouvance islamiste comme Tarik Ramadan.


L’homme qui propose une dangereuse ivresse dans un flacon doré a même étrenné, pour Magdi Allam, un nouvel anathème. On ne décrète plus que X ou Y est apostat, terme d’exclusion lourd de menaces, pour ne pas choquer l’opinion occidentale mais on le suggère. Pour ce qui est du journaliste originaire d’Egypte, Tarik Ramadan s’est simplement contenté de proclamer partout que Magdi Allam n’était pas musulman mais chrétien. Il pourra toujours ergoter en invoquant la dose d’omniscience que la providence lui aurait prodiguée. Magdi Allam vient de confirmer ce que Tarik Ramadan savait déjà par intuition, c’est un cœur de chrétien qui battait dans cette poitrine de musulman. Magdi Allam avoue d’ailleurs qu’il avait été tenté de se convertir au christianisme dès son arrivée en Italie, pour mieux s’intégrer dans sa société. Ce qu’il ne comprend pas, ce sont les réactions de haine et de violence qu’il a suscitées autour de lui alors que «des milliers de convertis à l’Islam vivent sereinement leur nouvelle foi».


C’est la même préoccupation qui revient sous la plume de notre confrère égyptien Saad Khalil qui s’attache au message véhiculé par cette conversion publique et ostentatoire. Dans le magazine Elaph, Saad Khalil estime qu’en baptisant personnellement Magdi Allam, le pape a interpellé le monde musulman. Il s’est adressé à ses chefs politico- religieux, avant la conférence sur le dialogue islamo-chrétien, pour leur dire : «Nous agirons avec vous par la réciprocité. Vous n’avez pas à islamiser nos enfants alors que vous nous interdisez de christianiser les vôtres. Tout comme vous encouragez les chrétiens à embrasser l’Islam, nous encouragerons les musulmans à se convertir au christianisme. Et si vous interprétez la conversion de Magdi Allam comme une prise de position de l’Eglise, nous sommes en droit d’interpréter la conversion des chrétiens à l’Islam comme votre prise de position. Nous tiendrons donc compte de vos sentiments pour peu que vous teniez compte des nôtres.» Saad Khalil minimise, en attendant, les réactions hostiles à la conversion de Magdi Allam et observe que les habituels ténors de l’anathème ne se sont pas encore manifestés. Il estime que cette absence d’agitation reflète le souci des dirigeants arabes et musulmans de donner une meilleure image de l’Islam, surtout depuis le sommet de la conférence islamique à Dakar. Toutefois, et à en croire la réaction de ce lecteur à l’article de Saad Khalil, la conversion de Magdi Allam n’est pas une perte pour l’Islam. C’est simplement un ennemi intérieur de l’Islam, une taupe en quelque sorte, qui s’est démasqué et a rejoint son camp naturel. C’est à peu de choses près l’opinion qui s’exprimerait dans nombre de pays arabes si un sondage était réalisé dans cette optique. Cette vision qu’exprime de façon plus subtile la figure de proue de l’Internationale islamiste, Tarik Ramadan, s’explique par le climat de forteresse assiégée que les dirigeants arabes ont instauré dans nos pays. Le poète palestinien Adonis résume très bien cet état d’esprit lorsqu’il parle de la traditionnelle tolérance des musulmans à l’égard des non-musulmans. Cette tolérance existe, dit-il, lorsque le musulman se sent en position de force et en présence d’une personne dont il sait qu’elle lui est inférieure, du point de vue religieux. C’est le cas lorsqu’il est confronté à un «Dhimi», c'est-à-dire un citoyen de second ordre. Enlevez ce sentiment de supériorité et la tolérance disparaît. Ce qui est valable pour les individus vaut aussi pour les Etats, et a fortiori pour les dirigeants de ces Etats. Il faut que le sentiment de confiance soit sérieusement atteint pour envoyer en première ligne des hérauts de moins en moins convaincants pour annoncer que le Sauveur va enfin agir. En l’espace de quelques mois, nous avons vu, et entendu, le sceptre du salut de l’homme et du pays passer des mains immatérielles de la providence à celle d’un homme.



On nous annonce pour le prochain quinquennat un homme providentiel pour tous les secteurs de la vie nationale, un sauveur multistandard en quelque sorte. La culture, le Mouloudia d'Alger, le sport, l'UGTA, et tous les chefs-d'œuvre en péril seront sauvés, et nos âmes bien sûr avec la Grande Mosquée. Pour vous montrer à quel point on en a besoin, je vous cite quelques extraits de l’article publié par l’écrivain koweïtien Khalil Ali Haïder, dans le quotidien des Emirats Al-Itihad. Dans cet article intitulé «Le dérapage algérien», l’auteur ne s’appuie pas sur un rapport de la CIA ou de la DST, et donc contestable. Il cite simplement un universitaire algérien, Salah Belhadj, qui lui fournit la trame de son article. L’écrivain s’arrête d’abord sur l’affirmation de ce dernier selon laquelle la société algérienne est une société modernisante et non une société moderne. C'est-à-dire qu’elle s’attache aux apparences de la modernité, à ses instruments techniques mais elle n’assimile pas les éléments culturels de la modernité. Elle n’évolue pas en profondeur car elle reste fondamentalement conservatrice. Sur le plan politique, le gouvernement se nourrit d’une culture religieuse conservatrice. Comme dans presque tous les pays arabes, ce gouvernement s’attache à respecter et à maintenir les repères fixés par les islamistes dans tous les domaines. Il tient aussi à ne jamais apparaître comme ayant moins de zèle religieux que les islamistes. Ce qui fait dire à Khalil Ali Haïder qu’en Algérie, les islamistes ont sans doute perdu une bataille mais ils ont gagné la guerre.A. H.
Ahmed Halli Le Soir d'Algériehttp://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/07/article.php?sid=66627&cid=8

mardi 1 avril 2008

Un visa vaut-il une messe ?

Finalement, les efforts conjugués de Bechar Al- Assad et de son mufti ont eu raison des réticences de certains chefs d’Etat arabes. Avec la foi ardente et le patriotisme exalté qu’on leur connaît, des présidents et souverains arabes ont fait le voyage de Damas. Ils échapperont ainsi aux foudres de Damas et au châtiment de la providence promis par le théologien en chef de la Syrie et de ses provinces.
Les Algériens ont encore eu droit à leur blessure d’orgueil traditionnelle : les observateurs ont noté l’absence des «grosses pointures» comme l’Egypte et l’Arabie saoudite à ce sommet. Ce qui relègue, de fait, l’Algérie au rang de petite ou moyenne pointure. Heureusement qu’ici, en Algérie, il y a des hommes, et des femmes, qui savent apprécier la valeur de leur pays et, surtout, les qualités hors normes de son président. Il ne faut pas compter sur les médias arabes pour chanter nos louanges et celles de nos chefs. Ces médias n’ont d’yeux que pour ce trublion de Kadhafi, catalogué tantôt comme le «sel» des sommets, tantôt comme la cerise sur le gâteau arabe. Comme à son habitude, le guide libyen a convié ses pairs à un exercice d’autoflagellation auquel les Iraniens ne sont pas restés insensibles. Il ne faut pas trop énerver l’Iran avec l’histoire de l’occupation de deux ou trois îlots arabes. Après tout, ce sont des musulmans comme nous et les chiites constituent 80% de la population de la région du Golfe, sans préciser si ce fameux golfe était arabe ou persique. Sur sa lancée, le frère Maâmar a annoncé une guerre contre les Arabes en 2008. A l’issue de cette guerre, l’ennemi américano-sioniste occupera encore d’autres territoires arabes. «Ainsi, a-t-il dit, les Arabes pourront revendiquer un retour aux frontières de 2008 comme préalable à un règlement de la crise du Proche- Orient.» Comme d’habitude, Kadhafi a été très chaleureusement applaudi à la fin de son discours, signe que l’assistance n’avait pas écouté un traître mot de sa diatribe. Réaliste d’ailleurs, il avait lui-même conseillé aux chefs de délégations de mettre des écouteurs, ce qui est normal dans une salle où tout le monde ne parle pas la même langue. Kadhafi consommé, il ne restait plus grand-chose à tirer de ce sommet que les Syriens ont organisé comme un coup de force. Et ils ont averti du reste : «Si ce sommet échoue, ce sera le résultat d’un complot américano- sioniste.» C’était reléguer au chapitre des amnésies collectives les multiples échecs des innombrables sommets et conférences de la «sainte ligue».



Dans son style habituel, le chroniqueur égyptien Sammy Buhairi ironise dans le quotidien koweïtien Al-Siassa sur ces accusations de complot lancées contre les USA «Supposons, ditil, que les Américains cessent de comploter contre les Arabes. Ce qui est plausible puisque je compte intervenir personnellement (1) auprès du président Bush pour le lui demander. J’ai, en effet, voté Bush pour le deuxième mandat et il est mon collègue au sein du parti républicain dont je suis membre. Ceci fait, et Bush ayant mis fin aux complots anti- arabes, que feront les Arabes ? Cesserontils de s’épier les uns les autres et de comploter les uns contre les autres ? Laisseront-ils leurs marchandises respectives circuler librement dans leurs pays ? Instaureront-ils une monnaie unique ? Et quand le complot américano-sioniste et occidental aura pris fin, les tueries interarabes et les liquidations physiques cesseront-elles pour autant ?» En conclusion, Sammy Buhairi suggère de reprendre le communiqué final du sommet de Riyad et de remplacer juste les dates et le lieu de réunion pour aboutir au même résultat. Il faudrait y ajouter sans doute un paragraphe concernant le documentaire du député d’extrême droite hollandais qui circule sur internet. Ainsi, en plus du complot imputé à la coalition occidentale autour d’Israël, on pourra dénoncer les caricatures et les documentaires qui font vaciller la foi des Arabes et les fait douter de leurs convictions profondes.


Ces réactions quasi-épidermiques font réagir notre confrère égyptien Achraf Abdelkader, un musulman pieux qui défend sa religion avec les armes de la raison. Reprenant à son compte la thèse du Tunisien Mohamed Talbi selon laquelle les musulmans doivent choisir entre l’islam et la Charia, il exhorte les Arabes et les musulmans à changer. «Comment voulezvous, dit-il, que le monde respecte notre religion s’il voit sur internet des hommes cagoulés récitant des versets du Coran et tailladant la gorge d’un être humain. Je dis : un être humain ? qu’il soit musulman ou non et ce dans un monde qui a aboli la peine de mort depuis longtemps. Et si ce monde nous accuse de sauvagerie et de cruauté, devons-nous ressentir ça comme une agression ? Si le port du hidjab et d’une longue barbe doivent nous porter préjudice en tant que diaspora arabe en Europe, pourquoi ne pas se les interdire ? Surtout, s’ils sont considérés comme une provocation contre eux et chez eux». (2) Pour parachever l’œuvre arabe, enfin, il faudra aussi fustiger la dangereuse invasion religieuse que subissent l’Algérie et le Maroc. Des médias arabes se sont déjà mobilisés contre cette «invasion» qui leur permet de soutenir indirectement la répression des libertés politiques, syndicales et religieuses.

La revue saoudienne Al-Madjala avance même des statistiques tirées d’on ne sait où : 20 % des Marocains seront chrétiens en 2020, affirme le périodique saoudien édité à Londres. Il faut donc décréter la mobilisation générale et nos journaux s’y emploient activement, quitte à piétiner les règles essentielles de la profession. Dans leur acharnement à rivaliser pour la conquête des lecteurs, certains quotidiens côtoient l’absurde quand ils ne s’y abandonnent pas. Des conversations téléphoniques et une rencontre avec des «repentis » (3) et cela suffit à déclencher des opérations scoop du style : «Notre reporter a pénétré ou infiltré le sanctuaire chrétien.» Il est question, bien entendu, d’argent et surtout de visas promis aux nouveaux convertis et aux prosélytes. S’agissant de conversions au protestantisme adventiste, il aurait été plus judicieux de faire miroiter la Green- Card aux futurs convertis. Et puis, amis lecteurs, s’il y avait des visas à la clé, combien seraient-ils selon vous à résister à l’attrait de la messe ? J’ai relevé aussi cette information relayée massivement par emails : c’est une dame algérienne qui veut divorcer avec son mari parce qu’elle a découvert qu’il s’était converti au judaïsme. Comment l’a-t-elle démasqué ? Tout simplement parce qu’il lui demandait de lui préparer chaque samedi un plat de couscous avec du lait caillé, ce qui serait une tradition juive. Je vous le dis tout net : depuis cette affaire, j’ai renoncé au «masfouf» et je ne demande plus de lait caillé à mon épicier.
A. H.
(1) Sammy Buhairi, qui écrit dans plusieurs médias arabes, est un architecte égyptien exilé aux Etats-Unis et ayant acquis la citoyenneté américaine. Il est l’un des rares Arabes américains à avouer qu’il a voté pour Bush, sans se renier pour autant.
(2) Le drame, c’est que la barbe et le foulard sont vus comme les poutres maîtresses de l’Islam nouveau tel qu’on l’enseigne aux communautés arabes en Europe, avec la bénédiction et, souvent, le soutien des gouvernements locaux. Une mosquée Ibn-Albaz, le «salafiste » en plein cœur de Paris, ça vous situe immédiatement le cadre et les limites de ce soutien.
(3) Il s’agit ici, bien sûr, de musulmans qui sont revenus à l’Islam après avoir séjourné, sans visa, dans le monde chrétien. Comme tous les repentis, ils adorent se confier aux journalistes.
On ne sait jamais.


Ahmed Alli Le soir d'Algérie"
Un visa vaut-il une messe ?
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/31/article.php?sid=66317&cid=8

lundi 24 mars 2008

Fetwa pour un sommet incertain

Il n’y a vraiment rien qui puisse inciter un chef d’Etat arabe, soucieux de sa réputation, à participer à un sommet de la Ligue arabe à Damas. D’abord, la condition sine qua non pour la tenue de ces assises, à savoir l’élection d’un président libanais, n’est toujours pas remplie. Ce qui prouve que les Syriens tergiversent ou qu’ils ont du mal à se faire entendre de leurs alliés au Liban. Secundo : ceci expliquant cela, le régime syrien n’est toujours pas arrivé à convaincre les Arabes que les assassins du dirigeant du Hezbollah, Imad Moghnieh, à Damas sont venus de l’extérieur.Tertio : la répression contre les opposants et contre la population kurde s’intensifie, ce qui n’encourage pas les Arabes à emprunter le chemin de Damas. Penser que les dirigeants syriens ont sans doute renoncé à la tenue de ce sommet, c’est faire fi de leurs ambitions et de celles de leurs amis iraniens et libanais. Or, les Baathistes ont toujours mis quelques barbes de côté pour les années de disette. Et les militants de ce parti, jadis laïque et révolutionnaire, ont miraculeusement retrouvé la foi. Chargés autrefois de surveiller les mosquées, ils connaissent au mètre près la hauteur de leurs minarets. Instruits par l’expérience et par l’étude des sciences opportunistes, ils savent le poids des mots combinant le fracas des décibels et le vertige des hauteurs.



Ingénieux comme tous les tyrans soucieux de durer, les Syriens ont eu recours à l’arme de la fetwa, plus efficace encore que celle du pétrole utilisée avec un succès mitigé en 1973. La semaine dernière, ils ont envoyé en première ligne leur mufti en chef, le «Douktour» Ahmed Badreddine Hassoune, en l’occurrence. Le mufti syrien a décrété que la participation au Sommet de Damas est un «devoir strict» (fardh ayn) pour tout chef d’Etat arabe. En conséquence, ce «devoir strict» ne saurait s’accommoder d’ excuses, comme les problèmes de santé, qu’invoquent les rois et présidents arabes pour se faire représenter. Sauf s’ils sont atteints de maladies graves qui restreignent leurs déplacements et limitent leurs mandats électoraux, les présidents et les rois sont sommés d’y aller. Les absents auront donc tous les torts et seront considérés comme étant en état de péché, indique le mufti dans une déclaration publiée la semaine dernière par le quotidien qatari Al-Arab. Ahmed Badreddine Hassoune connaît l’immense piété des dirigeants arabes qui ne se sont emparés du sceptre que pour servir l’islam et, accessoirement, leurs peuples. En théologien discipliné et soucieux de satisfaire ses chefs, il a délivré cette fetwa sachant qu’il n’est ni le premier ni le dernier à se plier aux désirs du prince. Peut-être table-t-il sur un sursaut de piété de dirigeants soucieux de ne pas être en excédent de bagages au moment du vol ultime. Nos confrères du magazine Middle East Transparency qui ont rebondi ces déclarations rappellent que des théologiens ottomans ont déjà montré le chemin. Pour éviter la «fitna» ou la discorde dans l’empire, ils ont autorisé le «calife» Sélim 1er à massacrer tous ses frères et tous ses neveux, héritiers potentiels du trône. C’est fort justement en référence à cette époque bénie des fetwas immédiatement exécutables que des Arabes, d’ici et d’ailleurs, ont salué comme une délivrance l’arrivée au pouvoir des islamistes en Turquie. Cependant, le rétablissement du califat à Istanbul n’avance pas assez vite à leur goût. Il semblerait même que le «Frère» Erdogan veuille prendre son temps et même renverser l’ordre des priorités attendues par l’Internationale islamiste. Certes, Erdogan a inauguré son règne par la proclamation du hidjab comme symbole et emblème de l’islam politique. Ce qui a donné lieu à des manifestations de joie et de liesse populaires à Gaza et à Beyrouth mais, depuis, les barbes affichent leur désenchantement. Non content d’intervenir militairement au nord de l’Irak, le faux frère s’attaque au Livre Saint. Il prétend en extirper les versets qui ne cadrent pas avec les exigences de l’époque. Du coup, des voix timides se sont élevées dans le monde arabe pour approuver l’initiative. Notre confrère égyptien Achraf Abdelkader a même salué en lui un «réformateur », hors pair, dans ses contributions au magazine Elaph. Mais dans les «minbars» islamistes, on fulmine. Le chef de file des «Ottomans», le Tunisien Rachid Ghannouchi accuse Erdogan de vouloir abroger des versets du Coran pour plaire à l’Occident. Ce qui n’est pas tout à fait invraisemblable connaissant l’esprit tactique du chef de file de l’islamisme turc. Ghannouchi a donc lancé une fetwa contre Erdogan désigné comme apostat et, comme tel, en posture de condamné à mort en sursis d’exécution, jusqu’à ce qu’une âme bien née en décide autrement. Tout ceci n’a pas soulevé autant de vagues que les caricatures danoises ou les émeutes du pain en Egypte. On sait pertinemment que le «Frère» Erdogan, qui viole sans arrêt les frontières arabes, n’est pas un précurseur en matière de chevauchement ou de franchissement de lignes rouges. Des versets ont été abolis du vivant du Prophète et après sa disparition, sans que l’on crie aujourd’hui au scandale. Et lorsque le Soudanais Hassan Tourabi a annoncé avoir abrogé les verstes concernant le témoignage et l’héritage des femmes, il n’y a pas eu d’émeutes à déplorer.




Mais imaginez qu’une femme tienne le même discours et proclame que des versets se rapportant aux femmes doivent être abolis sous prétexte de conformité avec l’évolution des mœurs ? Vous l’avez imaginé, Al-Jazeera l’a fait : le 6 mars dernier a actionné son artilleur favori, le Syrien Fayçal Alkassem. L’animateur qui fait ressembler le plateau de son émission «A contre-courant» à une cellule capitonnée pour asile d’aliénés, a réédité sa performance favorite. Sa méthode est simple : il invite des personnalités qui ne pensent pas comme lui ou tiennent des propos non conformes à l’orthodoxie puis il donne libre cours à son indignation patriotique ou religieuse. Il s’est ainsi confectionné, sans coup férir, l’image d’un preux défenseur du bien-pensé arabe face aux laïcs et aux libéraux «sionisants» et «américanisants ». C’est dans le cadre de ces desseins que Fayçal Al- Kassem a fait appel à plusieurs reprises à la psychologue syrienne Wafa Soltane, installée aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Ses propos sur l’Islam et sur l’intolérance des musulmans ont déjà défrayé la chronique et soulevé contre sa personne tous les excités de la télé et du Web. Le 6 mars dernier, Wafa Soltane est à nouveau invitée à s’exprimer, en direct des Etats-Unis, sur le plateau de Fayçal Al- Kassem qu’elle a déjà malmené dans ses écrits. Pas rancunier du tout, le chevalier des causes troubles lui oppose un théologien de troisième rang dont elle ne fait qu’une bouchée. Comme à son habitude, et comme Erdogan et Tourabi, Wafa Soltane se prononce pour l’abrogation des versets du Coran qui amoindrissent la femme. Mais contrairement aux autres, elle le fait avec son langage et ses outrances. Normalement, la polémique aurait eu fin sur le plateau mais c’était ignorer la duplicité de Fayçal Al-Kassem et de la chaîne Al-Jazeera. Cette dernière décide de ne pas rediffuser l’émission, contrairement à la tradition, et présente des excuses à son public pour les propos outrageants de Wafa Soltane. C’est ainsi que la réprobation qui avait épargné Tourabi et Erdogan s’est déversée sur Wafa Soltane, simplement parce que c’est une femme. Et une femme, même au mois de mars, doit savoir tenir sa place et, surtout, sa langue. Pour l’avoir ignoré, Wafa Sultane rejoint au pilori arabe le caricaturiste danois, hier anonyme aujourd’hui best-seller mondial.

Ahmed Halli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/24/article.php?sid=66080&cid=8

dimanche 16 mars 2008

Ouf ! Ca n'arrive pas chez nous

Les Algériens semblent apathiques, indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux. On les dirait même désespérés au point de s’accrocher à un illusoire miracle venant d’un homme providentiel… A condition de lui donner ce que la providence ne peut pas lui garantir : un blanc seing pour commencer là où il aurait dû finir. En attendant le signal de la ruée et des marches triomphales vers le sacre, ces Algériens au fatalisme rayonnant semblaient surnager dans une douce torpeur.Les étals de leurs magasins n’ont jamais proposé autant de variétés de «Kinder» qu’à l’heure des caricatures danoises. Il est vrai que ces braves Danois qui nous offensent nous proposent aussi de l’insuline, pour compenser. Nos compatriotes sont prêts à avaler le poison pourvu que l’antidote soit à portée de main. Je disais donc que les Algériens semblaient se désintéresser de tout ce qui se passe autour d’eux. Oubliés les habitants de Gaza à qui nous promettions notre soutien guerrier jusqu’à la disparition du dernier d’entre eux ! Une vidéo montrant sous plusieurs angles le lynchage d’une jeune fille par une jeunesse frustrée a failli nous aiguillonner. Précédé d’une folle rumeur situant la scène quelque part du côté des nos man’s land urbains, le document nous a réveillés en sursaut, juste le temps de changer de côté. «Ouf !», la tuerie se passait en Irak, ce pays expulsé mani militari de la civilisation. «Ouf !», avons-nous répété en chœur le cri de soulagement du quotidien Al-Watan. Personne n’ignore que chez nous, on ne lapide pas les jeunes filles comme le font ces sauvages Irakiens. En Algérie, on crible une jeune fille de balles quand elle refuse de porter le hidjab. C’est rapide, net et expéditif. On les égorge proprement quand elles ont commis la maladresse de tomber enceintes au maquis. Nous affectionnons particulièrement la méthode qui consiste à les arroser d’essence et à les enflammer, selon qu’elles exposent leurs charmes ou qu’elles les offrent au tout venant. Nous penserons à recourir aux exécutions par jets de pierres, comme les Irakiens, quand le prix de l’essence aura augmenté de façon inversement proportionnelle à celui de la vie des femmes.


Nous aurions pu nous rendormir avec la conscience du devoir accompli et l’âme sereine si ce trublion de Djamal Al-Bana n’était pas encore venu faire des siennes. Le penseur égyptien a jeté le pavé, rescapé du lynchage irakien, dans la mare où pataugent nos fantasmes. Selon sa dernière fetwa, les jeunes hommes et jeunes filles célibataires ont le droit de s’embrasser. Il suggère même que des parcs adéquats soient créés dans les villes pour faciliter les choses. La fetwa du cheikh ne fait, en réalité, que conforter une réalité, à savoir que les pulsions juvéniles s’accommodent mal des carcans moraux et légaux. La fetwa relayée par le quotidien arabophone Ennahar aljadid a fait réagir de nombreux lecteurs sur le site électronique du journal. Toutes les réactions sont évidemment hostiles à la fetwa et ça se comprend : il ne se passe jamais rien de trouble ou d’érotique dans nos jardins et nos parcs. Tout ce beau monde qui traite Al-Bana de vieillard sénile, ce que n’est pas assurément Karadhaoui, croit dur comme fer, ou autre, en la pureté des sentiers dérobés. Les jeunes gens qui se rencontrent dans les allées isolées le font pour échanger les dernières cassettes de prêches et les CD de Amr Khaled. Les attouchements illicites, les baisers furtifs et les étreintes fugitives n’existent pas chez nous. C’est peut-être bon pour les bords du Nil mais la nouvelle doctrine, qui a besoin au passage de plusieurs mandats pour s’imposer ici, nous prémunit contre ces tentations dangereuses auxquelles s’abandonnent les peuples décadents. C’est la nouvelle doctrine, insidieux dosage de wahhabisme rigoriste et de malékisme superstitieux, qui rythme nos réponses aux défis contemporains. Dans la patrie du fondamentalisme wahhabite, les illuminés d’hier sont les modérés d’aujourd’hui. Crise de conscience ou repli tactique, des extrémistes mettent, si l’on peut dire, de l’eau dans leur vin et se désolidarisent des groupes qui prônent la violence. C’est le cas de deux écrivains saoudiens Abdallah Ben Bedjad et Youssef Abakhil, victimes d’un de ces retours de boomerang, comme l’Histoire en concocte souvent. Les deux compères ont, en effet, publié dans le quotidien Al-Riadh au mois de janvier dernier deux articles affirmant que les juifs et les chrétiens ne doivent pas être considérés comme des apostats ou des ennemis de Dieu. Comme la machinerie met du temps à se mettre en branle, ce n’est que la semaine dernière que la réponse de l’oligarchie religieuse est tombée. Par l’entremise du cheikh Abderrahmane Al-Barak, une fetwa décrète que les deux écrivains sont des apostats et qu’ils méritent la mort en tant que tels. La fetwa somme les deux hommes de se repentir et de renier leurs écrits sinon «ils seront déclarés apostats et condamnés à mort. Ils n’auront pas droit à la toilette mortuaire ni au linceul ni à la prière rituelle et leurs proches ne recevront pas de condoléances». En attendant l’exécution de la sentence, Youssef Abakhil doit être séparé de son épouse, désormais mariée à un apostat et donc vivant dans le péché. Ce qui rappelle la même fetwa, éditée par un tribunal contre le penseur égyptien Nasser Hamed Abou Zeïd, contraint à l’exil. Ce dernier a résumé la complexité de la situation en affirmant qu’il allait intenter une action en justice. «Seulement, a-t-il dit, je ne sais pas auprès de qui me plaindre ni contre qui.» Quant à Ben Bedjad qui rappelle ses liens passés avec des partisans de Ben Laden, il persiste et signe et accuse l’auteur de la fetwa d’encourager le terrorisme. Que ceux qui craignent des revirements similaires des partisans de la violence chez nous se rassurent. De tels miracles n’arrivent qu’en territoires consacrés.


L’hebdomadaire égyptien Rose-al-Youssef revient d’ailleurs cette semaine sur le développement des usines à fetwas via les télévisions satellitaires. Évoquant le cas de la chaîne Al-Nas, la revue rappelle qu’à ses débuts il y a deux ans, la station avait opté pour la modération. Progressivement, elle a évolué vers l’extrémisme en se faisant le porte-voix des courants intégristes, notamment celui des Frères musulmans égyptiens. Rose-Al-Youssef s’appuie sur une thèse de magister, «Les fetwas des nouveaux médias et leur impact sur le public», soutenue par une ancienne téléspeakerine de Al- Nas, Dou’a Mohamed Ibrahim Medjahed. Cette dernière a été recrutée par Al-Nas parce qu’elle remplissait une condition majeure : elle portait le hidjab. A ses débuts, elle a présenté une émission de variétés très convenable, au sens où les chanteuses au buste généreux étaient prohibées. Soudainement, et avec l’arrivée du cheikh Mohamed Hassan à la direction de la chaîne, les variétés ont été supprimées et l’extrémisme religieux a commencé à s’imposer. Puis, ce fut le tour du prédicateur Abou Ishaq Al-Howeini de donner l’ultime tour de vis. Sa première fetwa a visé les téléspeakerines, en hidjab, dont l’apparition à l’écran a été considérée comme illicite (haram). C’est ainsi qu’une dizaine d’entre elles s’est retrouvée au chômage. Sachez, enfin, que le monde arabe fait preuve d’ouverture en direction de ses minorités religieuses. Quelques jours après la mort, aux mains de ses ravisseurs, du chef de l’Eglise chaldéenne à Mossoul (Irak), le Qatar a inauguré sa première église à Doha. Le représentant du pape à la cérémonie a salué l’événement et annoncé que des discussions étaient en cours avec l’Arabie saoudite pour faciliter la pratique de leur culte aux chrétiens du royaume. Vous avez dit : «Ouf !» ?

Ahmed Alli Le Soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/17/article.php?sid=65821&cid=8

samedi 15 mars 2008

Pitié pour les pauvres riches !

Finalement, les fabuleuses richesses de l’Orient que détiendraient des princes arabes, possédant haras, fauconneries et élevages de… tourterelles, ne seraient que… fables. En réalité, le monde jauge beaucoup plus les Arabes sur leurs frasques et leurs dépenses somptuaires que pour leur fortune réelle. L’imagerie occidentale les représente jouant au casino ou s’adonnant à des jeux très chers et très illégitimes mais elle en oublie la réalité des comptes en banque.Le dernier classement des milliardaires du monde, établi par le magazine Forbes est édifiant à ce sujet. Le premier milliardaire arabe (en dollars bien sûr) n’est que 19e au classement mondial de la catégorie. Il s’agit, vous l’aurez deviné, d’un Saoudien, le prince Walid Ibn Talal en l’occurrence, propriétaire de journaux et de télévisions, à ses heures perdues. La fortune du prince saoudien est évaluée à 21 milliards de dollars. C’est beaucoup pour un Palestinien de Gaza et même pour un dirigeant du Hamas fortuné, comme tout leader islamiste se doit de l’être. Mais ce pactole ne représente qu’un tiers du matelas de dollars (62 milliards) sur lequel trône l’Américain Warren Buffet, premier milliardaire au palmarès 2008. Ce dernier a supplanté le roi de la puce informatique, Bill Gates, relégué pour la première fois à la troisième place. Le Koweïtien Nasser Al- Kharafi occupe la 46e place mondiale avec ses 14 milliards de dollars. Il est talonné par l’Egyptien Naguib Sawiris, vous savez, celui de la puce Djezzy qui nous fait des prix à l’occasion, et qui pèse 12,7 milliards de dollars.


Je me suis laissé dire, en passant, que l’Algérie ne devrait pas être étrangère au chiffre qui vient après la virgule. L’Algérie a toujours pris en pitié les pauvres riches, ceux qui construisent pour «lawlidate » (terme pudique pour désigner une progéniture nombreuse et avide). C’est d’ailleurs surprenant : il n’y a aucun Algérien parmi les 1 125 milliardaires répertoriés par Forbes. Il y a comme une blessure d’amour-propre quelque part si tous ceux qui nous grugent et nous volent n’arrivent pas à accéder au gotha mondial. C’est désespérant si tous les efforts que nous déployons depuis 1962 pour nous doter d’une classe riche et portant beau n’aboutissent pas. Est-ce pour cela que nous avons négligé l’éducation, le logement et d’autres besoins accessoires pour aboutir à ce triste résultat ? N’est-il pas navrant d’avoir à assumer nos piètres performances économiques, culturelles et sportives et de subir cette honte en plus : échouer dans la seule discipline où nous sommes particulièrement doués. Atteindre de si hauts niveaux de réussite en matière d’accumulation de richesses, au détriment de la collectivité, et ne pas être, pour une année au moins, le dernier milliardaire. Je veux bien échouer en coupe du monde, en coupe d’Afrique et même en interquartiers mais pas dans notre sport d’élite. Je refuse, par orgueil national et par patriotisme, que nos milliardaires fassent grise mine devant la crème des richesses, acquises à la sueur de tous les fronts. Et qu’on ne vienne pas me raconter que le club des 1 125 n’est pas un club de voleurs ! Je suis sûr qu’en cherchant bien, on en débusquera au moins quelques centaines qui peuvent correspondre aux normes nationales en la matière. Que diable ! Il n’y a pas que des Sawiris et des Ibn Talal dans cette armada huppée, on doit bien y débusquer une bande de coupe-jarrets ou un groupe de chenapans. Ce qu’il nous faut, c’est un sursaut national. Nous devons aborder désormais cette compétition avec sérieux, faire preuve d’abnégation et consentir les sacrifices nécessaires. Il est peutêtre nécessaire d’envisager la création d’un fonds de solidarité pour nos milliardaires qui ont trop de pudeur pour réclamer de l’aide. Grâce à cette contribution, versée par des voies occultes, dans les banques internationales idoines, nos représentants seront en mesure de concourir. Comme le note, toutefois, Digital-Elaph (la version papier du journal électronique Elaph), les milliardaires arabes seraient plutôt à plaindre puisque la plupart d’entre eux ont perdu des points en 2008. Les grands richards arabes ont reculé de plusieurs places au classement en raison des pertes subies dans la crise des subprimes. Les Arabes investissent surtout dans la pierre et les remous qui ont frappé l’immobilier américain ont eu des répercussions négatives sur leurs revenus. C’est ainsi que le prince Al-Walid a laissé des plumes, passant du 13e au 19e rang à cause de ses participations à la City Bank, frappée de plein fouet par la crise de l’immobilier. La même mésaventure est arrivée à un autre milliardaire saoudien actionnaire, lui, de la HSBC. Ajoutez à cela les pertes subies dans leurs propres pays par ces investisseurs à cause de la dépréciation du dollar, monnaie unique des transactions. Selon le magazine qui cite des experts arabes de la finance, les fortunes qui ont progressé sont celles des Asiatiques qui ont su faire des placements plus judicieux, notamment dans les secteurs industriels dopés par le renchérissement des prix du pétrole. Il ne faut pas grand-chose de nos jours, d’ailleurs, pour fabriquer un milliardaire en dollars. J’ai eu la surprise en parcourant la liste reprise par Elaph, le magazine électronique édité à Londres, de trouver le nom du téléprédicateur égyptien Amr Khaled. Ce dernier, selon le classement de Forbes dispose d’un capital appréciable avoisinant les 2 milliards de dollars. Amr Khaled n’a pas bâti sa richesse avec la sueur des musulmans mais avec leurs larmes. Il possède, en effet, le rare talent de faire pleurer les musulmans, et surtout les musulmanes, rien qu’en racontant le meurtre d’Abel par Caïn.


Pour titiller les glandes lacrymales des croyants naïfs, vous ne trouverez pas mieux que Amr Khaled. Plus les trépas qu’il décrit sont proches de nous, plus impétueux sont les flots de larmes. Evalués en dollars, les pleurs musulmans sont donc cotés à la bourse des prédicateurs même s’ils n’émeuvent pas outre mesure celui qui les déclenche. Ce milliardaire distingué par Forbes a même eu l’outrecuidance de proposer une journée de jeûne pour Gaza à ses compatriotes. Ce qui l’a dispensé de mettre la main à la poche pour aider ces Palestiniens qui ont décidément bon dos et servent d’alibi à toutes les causes troubles et à tous les excès. Il serait bon qu’un jour les mortellement patriotes que sont Amr Khaled et quelques footballeurs, en mal de célébrité, s’entourent de ceintures explosives et nous fassent apprécier leur foi et leurs engagements détonants. Ils pourraient se faire aider par les enfants des dirigeants du Hamas qui n’ont pas encore défrayé la chronique kamikaze. Et puisque ces messieurs ambitionnent de nous ramener aux temps héroïques de l’Islam, pourquoi ne pas prendre la tête de leurs troupes et charger l’ennemi. Ils le font si bien dans les prêches et les discours aux croyants qu’ils nous donnent envie de les voir à l’œuvre. Mais tant que je n’aurai pas vu un dirigeant du Hamas envoyer son fils à la mort, comme il le fait pour les enfants des autres, je reste sceptique. Et mon scepticisme se nourrit aussi bien du classement mondial des milliardaires que des appels désespérés de la kasma d’Assi-Youssef à un troisième mandat.A. H.


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La trinité islamiste

La hausse des prix des denrées de première nécessité est si alarmante qu’elle a éveillé l’attention des religieux saoudiens qui lévitaient jusqu’ici au-dessus de ces contingences. Conscients que les gouvernements n’y pouvaient rien, les imams du vendredi en Arabie saoudite ont levé les bras au ciel. Celui de La Mecque a même fait jouer la rime en implorant « Dieu le Tout Puissant de faire baisser les prix pour les musulmans».Dans son sermon, l’imam indigné a dénoncé les gens qui spéculent sur les prix des marchandises de base. Excellente initiative, d’autant plus qu’ils devaient être assez nombreux à l’écouter, les spéculateurs. Excellente initiative, dirions-nous, mais pourquoi faire preuve encore de sectarisme et invoquer la Providence pour une communauté bien précise ? Pourquoi Dieu devrait-il intervenir uniquement au seul bénéfice des musulmans alors qu’il y a des pauvres et des nécessiteux chez les autres croyants ? Pourquoi ne pas en profiter pour ramener d’autres brebis égarées vers le troupeau ? Ce serait si enrichissant et si galvanisant de pester et de jurer tous ensemble, monothéistes, polythéistes et autres réunis, contre le prix de l’huile et du lait. Cela suffirait sans doute à clore le vieux débat sur les portes de l’idjtihad qui s’entrouvrent juste pour y voir midi. Entre ceux qui persistent à penser que ces portes sont fermées à double tour et ceux qui les voient ouvertes à moitié ou béantes, la communication passe mal. C’est pour ça que le conflit perdure et oppose les gardiens des serrures à ceux qui essaient de trouver les bonnes clés. Lorsque Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale, fait mine de passer en force, avec l’aide d’une escouade pensante, il fait peur. Il effraie ceux d’en face qui ont peur de la clé miraculeuse et soupçonnent l’un ou l’autre des participants de la détenir. Alors, ils envoient l’un des leurs en avant-garde, délicat euphémisme pour désigner en fait ceux qui poussent les troupes à battre plus vite en retraite. L’association des ulémas, qui prétend détenir la science infuse, s’insurge contre l’idée d’enfoncer des portes ouvertes.


C’est du moins ainsi qu’elle voit le projet de notre ami Zaoui. Pour elle, les portes de l’idjtihad ont été de nouveau ouvertes au XIXe siècle par des penseurs réformistes, comme Afghani et Abdou. Et d’ajouter dans un élan d’enthousiasme que les gardiens contemporains des portes ouvertes se nomment Ghazali, Al-Bouti ou encore Karadhaoui. Trois noms que j’associerai volontiers à l’ouverture de la boîte de Pandore plutôt qu’à celle des fameuses portes de l’interprétation. Tant qu’à faire et diabolisation pour diabolisation, il aurait sans doute fallu convier des personnages, disons plus décriés comme l’est Mohamed Arkoun, l’Algérien. Ce dernier est paradoxalement aussi éreinté et contesté dans son propre pays qu’il est reçu et apprécié dans les pays arabes. Arkoun illustre, à sa manière, le lourd handicap de vouloir étudier l’Islam, en étant né dans un pays où on consomme la religion sans prendre la peine de l’étudier. Je pense aussi à l’Egyptien Djamal Al-Bana qui défend la coexistence des religions monothéistes en ces temps d’intolérance et de persécutions. Il revient, d’ailleurs, sur ce sujet cette semaine dans un article intitulé «Les religions ne s’effacent pas mutuellement mais elles se complètent mutuellement». Le frère cadet de Hassan Al- Bana suggère de remettre à plat toutes les idées reçues, à commencer par la conviction de chacun que sa religion est la meilleure. Cette conviction tient plus de la nature humaine que de la religion elle-même puisqu’elle est reçue en héritage et que personne n’étudie sa religion avant de l’adopter, note-t-il. Djamal Al-Bana en appelle à revisiter l’histoire en général, et celle des guerres de religion, en particulier qui ont été les plus dures. Il en tire la conclusion qu’aucune des trois religions monothéistes n’échappe encore à la tentation de se substituer aux autres. Et ceci est encore plus vrai pour l’Islam de nos jours.



Sur ce volet de l’Histoire, j’ai relevé sur le site de Middle East Transparency, cette contribution du journaliste yéménite Ahmed Al-Hobishi qui revient sur la haine des Frères musulmans pour Djamal Abdel Nasser. Cette haine tenace qui poursuit le leader arabe jusque dans la tombe s’est vérifiée une fois encore en janvier dernier sur Al-Djazira. Jusqu’alors, la lucarne des Frères musulmans exploitait les anniversaires ordinaires de Nasser pour lancer ses attaques contre lui. Cette fois-ci, elle a mis à profit jusqu’à l’anniversaire de sa naissance puisque la chaîne qatarie a célébré à sa manière le 90e anniversaire de l’ancien président de l’Egypte, relève notre confrère. S’aidant de témoignages contemporains et de documents historiques, Ahmed Al- Hobishi réfute les thèses du mouvement islamiste concernant ses rapports avec la Révolution de juillet 52. L’élément de crise dans cette relation fut la revendication des Frères musulmans exigeant que les lois et les décisions futures du Conseil de la révolution soient d’abord entérinées par le bureau exécutif du mouvement. Djamal Abdel Nasser répondit que la Révolution n’accepterait aucune tutelle, que ce soit celle de la mosquée ou de l’Eglise. Puis, il accepta de recevoir Mamoun Al-Hodheibi, le commandeur des «Frères» à condition de discuter uniquement de la coopération entre la Révolution et le mouvement hors de toute tutelle. A la grande surprise de Nasser, Al- Hodheibi lui présenta d’autres revendications excluant les précédentes. Le mouvement attendait des Officiers libres les mesures suivantes : imposer aux femmes le port du hidjab, fermer les salles de cinéma et de théâtre, proscrire les chansons et la musique, généraliser l’usage des chants religieux, interdire le travail des femmes et, enfin, débarrasser Le Caire et toute l’Egypte des statues anciennes et modernes. Nasser répliqua qu’il ne permettrait jamais que l’Egypte retourne encore une fois à un état primitif. Et il inscrivit cette réponse sur la feuille de route qui lui avait été présentée et il interpella Al-Hodheibi en ces termes : «Pourquoi avez-vous fait serment d’allégeance au roi Farouk en qualité de «commandeur des croyants» ? Pourquoi ne lui avez-vous pas présenté de telles exigences alors que vous en aviez toutes les possibilités ? Et pourquoi répétiez-vous tout le temps avant la Révolution : «Le pouvoir appartient à son détenteur (le Roi)». Par la suite, les «Frères» agirent comme s’ils avaient renoncé à leurs autres revendications n’en maintenant qu’une seule : celle du hidjab. A l’appui de cette exigence maintenue, ils présentèrent à Nasser des croquis représentant des modèles de hidjab tels que les ont conçus les islamistes. Leur sainte trinité en quelque sorte. Le premier qualifié de «détestable» représente une femme recouverte de la tête aux pieds mais avec le visage et les mains visibles. Le second, dit «peut mieux faire», montre une femme avec les chaussures voyantes et les mains visibles. Le troisième, enfin, étiqueté «idéal», montre une femme recouverte entièrement de noir. S’adressant à l’un de ses interlocuteurs, le leader égyptien lui demanda : « Bon ! Pourquoi tes filles vont-elles tête nue et pourquoi n’arborent-elles pas un des hidjabs que vous voulez imposer aux Egyptiennes par décret ?» Cela dit, Nasser fit beaucoup d’autres concessions à l’islamisme. Il introduisit l’éducation islamique dans les écoles et l’imposa comme matière d’examen, précise notre confrère yéménite. Sans compter les mosquées qui passèrent de 11 000 à 21 000 en l’espace de 18 ans. Finalement, chacun a sa boîte de Pandore.A. H.

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/03/03/article.php?sid=65279&cid=8