lundi 8 janvier 2007

Al-Bana, la providence des fumeurs

Une étrange mode ostentatoire et dangereuse se réinstalle chez nous. Aujourd'hui, et spécialement pendant ce Ramadhan, on ne va pas aux prières collectives pour communier mais pour écouter un discours précis. Les Algériens se remettent à se refiler les bonnes adresses de prêches dont vous devinez qu'ils ne sont pas innocents. Il ne faut pas s'étonner alors que des files de voitures se forment aux abords de certaines mosquées, y compris à l'heure des prières à pauses (Tarawih).D'autres lieux de culte, disons plus modérés, restent à moitié vides ou à moitié pleins selon les degrés de la foi. Tout ceci fait partie, évidemment, de la réoccupation par les islamistes des espaces laissés en déshérence par laxisme ou par tactique politique. Il est vrai que les Algériens, par les temps qui courent, sont de la bonne pâte malléable et docile. Aussi influençables qu'ils soient cependant, les Algériens ne sont pas une exception dans cette reddition de masse devant les nouveaux inquisiteurs. Presque tous les pays se laissent emporter par ce tsunami intégriste sans esquisser la moindre opposition, voire avec un suave abandon. D'autres tentent de réagir mais le ver est déjà dans le fruit et les remèdes proposés ressemblent souvent à des cautères sur jambes de bois. Ainsi en est-il du Maroc qui s'entête à ne pas vouloir ressembler à l'Algérie alors qu'il en affiche tous les stigmates. C'est le piège dans lequel sont tombés de nombreux journalistes et intellectuels marocains, au plus fort de la violence terroriste chez nous. Durant toutes ces dernières années, et pour cause de Sahara occidental, les Marocains n'ont pas cessé de crier au monde : "Non ! Le Maroc ne sera jamais comme l'Algérie". Avec cette mauvaise foi communicative qui nous est commune, les Marocains ont tenté vainement de se persuader, et de convaincre le monde, qu'ils n'étaient pas du tout comme nous. Un exercice qui tenait à la foi de l'exorcisme naïf et du désir de revanche sur le rival de l'est. Depuis les explosions de Casablanca, ils ont dû déchanter mais il semble que la veine de "l'exception" marocaine tente encore quelques-uns. C'est le cas du très estimable universitaire Saïd Al-Kahl, connu pour ses contributions à la réfutation des thèses de l'Islam politique. Il publie depuis quelques jours sur le magazine Middle East Transparencyune série d'articles avec ce titre évoquant un vœu pieux : "Pour que le Maroc ne devienne pas une seconde Algérie". En attendant la parution complète de ces articles, arrêtons- nous à celui paru cette semaine et qui est consacré à l'école marocaine. Saïd Al-Kahl cite à titre d'exemple les définitions de l'apostasie telles qu'elles figurent dans les cours d'éducation islamique en deuxième année secondaire. Il estime que ces leçons préparent psychologiquement et moralement l'élève à entrer en guerre contre les membres de sa société. Il se sent ainsi habilité à exécuter sur eux la sentence de mort que le manuel lui présente comme un châtiment légal. Le manuel scolaire dit : " La Charia punit de mort l'apostasie. Il n'y a pas de doute que la peine de mort est la plus susceptible de dissuader le crime. Celui qui se détourne de l'Islam est l'artisan de sa propre perte. S'il est sommé de se repentir et qu'il n'obtempère pas, il coupe ainsi tous liens avec les musulmans. Il mérite alors, et c'est le cas, que soit exécuté à son encontre le jugement de Dieu et qu'il meure apostat." "L'école, note de ce fait Said Al-Kahl, prépare donc l'élève à faire siennes les croyances basées sur l'exclusion et l'anathème (Takfir). Il adhère alors à la culture de la haine et aux fetwas de meurtre et de destruction que lancent les théologiens du terrorisme et les émirs sanguinaires. Et ceux qui travaillent avec des élèves, en particulier dans le moyen et le secondaire, connaissent très bien les tendances dominantes et les aptitudes à accepter et à exécuter les sentences contre l'apostasie". Pour Said Al-Kahl, le principal vecteur de propagation de ces idées est le corps enseignant, et plus précisément les enseignants qui appartiennent aux divers groupes fondamentalistes. Ils font tous croire aux élèves que la société est en perdition et la majorité d'entre eux taxent cette société d'ignorance et d'impiété. Les professeurs d'éducation islamique ne se distinguent plus de ceux qui enseignent les autres matières, dont les matières scientifiques et techniques. Ils sont tous devenus des théologiens qui professent dans un domaine qu'ils ne connaissent pas. Ils éditent des "fetwas" proscrivant l'apprentissage des langues étrangères ainsi que l'enseignement d'un certain nombre de matières (la philosophie, les sciences sociales, les sciences naturelles, la musique, la danse, etc.) et ceux qui les enseignent sont traités d'impies. Puis le cercle des interdits et des anathèmes s'élargit pour englober ceux où celles qui n'ont pas obéi aux injonctions de se conformer au "vêtement légal". Ce qui est déplorable, ajoute l'intellectuel marocain, c'est que toutes ces pratiques se font au vu et au su des autorités de l'éducation. L'école est devenue, grâce à cette complicité avérée, un centre de formation des cadres et de recrutement des disciples pour le compte des groupes fondamentalistes. Ces enseignants se sentent plus engagés par le contenu des manuels scolaires avec leurs défauts. Ils font plus en distribuant des opuscules et des livrets propageant la superstition et l'exclusion et incitant à se rebeller contre la société et contre le gouvernement. Il faut s'attendre au pire dans les quelques années à venir, prévient Said Al-Kahl, lorsque les idées extrémistes s'infiltreront dans les rangs des élèves du primaire ainsi que dans ceux de l'armée et de la police. Car les nouveaux conscrits dans la police et l'armée ont été élèves et certains d'entre eux ont été influencés par les idées et la culture des extrémistes." Que voilà un tableau saisissant mais familier des méfaits de l'intégrisme au sein de l'école marocaine. Avec ce que vous venez de décrire, l'Algérie, vous y êtes déjà cher ami, du plus bas tapis de prière jusqu'au plus haut minaret hérissé de hauts-parleurs. Je vous concède, toutefois, qu'à la différence de l'Algérie, vous êtes plus nombreux à vous opposer à l'intégrisme. Vos médias, lourds ou légers, ne se sentent pas obligés d'aller aux "Tarawihs" comme on va à Canossa. Le reste est une question de temps, sans vouloir vous démoraliser. Sachez toutefois, M. Said Al-Kahl, qu'il existe encore des raisons d'espérer dans ce vaste monde dit arabo-islamique. Wajiha Al-Howeidar, l'écrivaine saoudienne, tient toujours tête aux autorités de son pays qui l'ont libérée mais lui ont retiré son passeport. Jeudi dernier, elle a été empêchée de traverser le fameux pont qui mène à Bahreïn où elle réside avec sa famille. Habituellement, ce pont sert surtout aux notables saoudiens désireux de pratiquer le culte de Bacchus dans les hôtels de l'émirat où le whisky coule à flots, loin des regards envieux. Une autre bonne nouvelle, cette fois-ci pour les fumeurs : le théologien Djamel Al-Bana remet en cause l'interdiction de fumer pendant le jeûne du Ramadhan. Il affirme qu'il n'y a aucun Verset ou Hadith qui peut servir de base à cette interdiction. Le frère cadet de Hassan Al-Bana observe que l'usage du tabac est postérieur d'au moins mille ans à la Révélation. "L'interdiction est donc une affaire d'herméneutique (Ijtihad) et peut être, par conséquent, sujette à l'erreur", affirme-t- il dans un long exposé savant sur la question. Djamel Al-Bana est sans doute la bête noire des théologiens de cour mais il va peut-être s'illustrer encore comme la providence des fumeurs.

Ahmed Alli " Le soir d'Algérie "http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/10/02/article.php?sid=43957&cid=8

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