lundi 8 janvier 2007

Croyances et superstitions libanaises

Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce royaume: l'Arabie saoudite qui vient de produire son premier long métrage de fiction ne possède aucune salle de cinéma (1). Conséquence de ceci: la "première" du film Comment ça va?, a eu lieu à Dubaï, l'Emirat voisin, jeudi dernier. Le film qui se veut être un regard critique sur la société saoudienne, est produit par la société Rotana.
Cette entreprise de production audiovisuelle a sous sa coupe les plus grands noms de la chanson arabe dont elle diffuse les clips sur son réseau TV. Rotana appartient au prince milliardaire saoudien Walid Ibn Tallal qui symbolise le Wahhabisme à visage humain. Il incarne pour l'Occident et pour nombre de ses concitoyens la volonté d'ouverture de la monarchie saoudienne. Le film Comment ça va? raconte l'histoire d'un jeune chômeur saoudien qui essaie de s'en sortir en créant une salle de théâtre d'essai dans un des quartiers de Ryadh. Il affronte, de ce fait, l'opposition acharnée d'une autorité religieuse influente qui veut empêcher la réalisation du projet. Le principal argument utilisé contre le jeune homme est celui de propager la dépravation des mœurs. Le correspondant du magazine Elaph à Dubaï, note que le film Comment ça va? a été réalisé pour dire que "rien ne va". C'est une pierre jetée dans le jardin saoudien par le "Prince faiseur de tempêtes", comme le surnomment les médias du Golfe. Ceci dit, le film ne casse pas trop de cloisons. S'il pose le problème de la conduite d'une voiture automobile par les femmes, c'est en termes supplétifs. La femme au volant devient une nécessité au cas où le chef de famille (le mari?) serait indisponible. Cependant, l'intérêt de cette projection hors normes est de ramener au premier plan un Emirat comme celui de Dubaï qui constitue une véritable source d'oxygène pour la jeunesse saoudienne. La majorité des spectateurs de la "première" de ce film est venue d'ailleurs que d'Arabie saoudite. Dans la file d'attente aux caisses, on a pu remarquer des saoudiennes, avec leur "Abaya" noire mais le visage découvert. L'une d'elles a exprimé de voir les mêmes gestes se reproduire un jour devant un cinéma à Ryadh. Récemment, le ministre saoudien de la Culture et de l'Information, Iyad Madani, a éludé la question de l'ouverture de salles de cinéma dans le royaume."Le problème est, jusqu'ici, entre les mains de la société saoudienne", a-t-il dit. Ce qui renvoie aux calendes grecques la création éventuelle de salles de cinéma dans les villes du royaume. Pour l'heure, ils sont cinquante sept mille Saoudiens à passer leurs week-ends dans l'Emirat pour y voir des films ou pour d'autres distractions, selon notre confrère et ils y dépensent quelque 22 millions de dollars par séjour. Sans parler des milliers d'autres "touristes" qui se rendent quotidiennement à Bahreïn par le fameux "Pont de l'unité". En attendant, le rigorisme et l'intransigeance wahhabites se propagent comme une traînée de poudre et ils drainent avec eux la superstition et la croyance en l'existence de forces invisibles. Cette maladie s'est propagée jusqu'au Liban, réputé être la place forte de la rationalité et du réalisme, selon le quotidien Al-Hayat de Londres. Cet état d'esprit explique le succès remporté à la télévision par le voyant Michel Hayek. Ce dernier avait prédit un incident entre les éléments allemands de la force de paix et des soldats israéliens au Sud Liban. Cet incident a eu lieu effectivement et, du coup, la cote de Michel Hayek est montée en flèche. Les Libanais tentent, depuis, d'expliquer le moindre évènement à la lumière des prédications du voyant extra lucide. Ce phénomène favorisé par la télévision n'est pas le seul témoignage de la nouvelle attraction des phénomènes occultes sur la société libanaise, constate Al-Hayat. La vogue de la voyance et des consultations astrologiques est telle que les Libanais se plaignent ouvertement de la hausse de tarifs. Cette tendance a commencé, en fait, avec l'agression israélienne contre le Liban, l'été dernier. A ce moment-là, s'est propagée la rumeur selon laquelle les combattants du "Hezbollah" possédaient des coiffes magiques. Dès qu'ils les mettaient sur leurs têtes, ils ne ressentaient plus ni fatigue ni surmenage. De plus, le combattant qui commettait une erreur dans l'orientation du tir d'une fusée voyait soudain une main invisible corriger le tir et envoyer la fusée dans la bonne direction. Ces croyances absurdes sont également dénoncées par notre confrère Saïd Al-Hamd du quotidien de Bahreïn Al- Ayam. Il se souvient d'une époque où des jeunes des Emirats étaient endoctrinés dans des régions désertiques par des théologiens mêlant adroitement religion et sornettes. Ils envoyaient ces jeunes à la mort en leur racontant des histoires sur les "moudjahidine" afghans qui pouvaient détruire des chars par la seule puissance de leur regard ou par la prière. Notre confrère s'insurge donc cette semaine contre la course aux prédictions et aux explications des rêves qui s'est emparée des télévisions satellitaires arabes. Celles-ci utilisent pour se dédouaner aux yeux de l'opinion des théologiens et des prédicateurs connus. Ils assurent ainsi à la chaîne une couverture religieuse commode et surtout des bénéfices substantiels. Ces émissions sont submergées d'appels téléphoniques qui représentent autant de sources d'argent. Des pratiques comme l'exorcisme des démons et du mauvais œil ainsi que l'explication des rêves sont devenues une des caractéristiques de nos sociétés, déplore Saad Al-Hamd. Une génération entière est sous l'emprise de ces idées, au point que des universitaires ont été contaminés. L'explication des rêves et la dissertation sur les phénomènes invisibles sont devenues le principal sujet de conversation. Ce qui fait empirer les choses, c'est que des professeurs de nos universités sont devenus les principaux vecteurs de ces croyances aux miracles et aux mondes invisibles. De plus, note encore le journaliste bahreïni, des organisations religieuses n'hésitent pas à recourir à des pratiques frauduleuses. L'une d'elles a publié récemment dans la presse koweitienne des placards annonçant la guérison miraculeuse (2) de "Nacer le Srilankais" qui était atteint d'un cancer. Le placard publicitaire de cette association religieuse proclame que le malade a été contacté par l'un de ses prédicateurs qui lui a fait don de textes religieux. Le Sri Lankais a vaincu le cancer et a retrouvé force et santé après avoir lu les documents contenus dans son paquet-cadeau. A l'époque de l'"Infitah" en Egypte, les journaux locaux faisaient régulièrement état de l'invention d'un remède contre le cancer par un chercheur ou un savant égyptien. Aujourd'hui, nous avons surpassé les Egyptiens puisque nous serions détenteurs du remède radical contre le cancer. C'est le quotidien Echourouq qui nous annonce en exclusivité la nouvelle par le biais de l'information que voici: une équipe de la chaîne saoudienne "Iqr'a" est dans nos murs depuis peu. Cette équipe doit réaliser un reportage sur une chercheuse algérienne qui guérit le cancer avec une décoction de plantes. La chaîne qui s'est octroyé le premier mot de la révélation, "Lis!", a déjà consacré un sujet à la question mais compte revenir plus longuement sur le sujet, précise le quotidien préféré des Algériens. Il y a quelques jours à peine, nous avons convoqué des sommités médicales internationales pour un séminaire sur le cancer, justement. Pourquoi chercher un remède que nous possédons déjà? Vous avez dit charlatans…?A.H

(1) Nous sommes de bons élèves puisque nos cinémas disparaissent les uns après les autres.
(2) La chaîne "Al-Haqiqa" publie régulièrement des témoignages de ces miraculés.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/11/13/article.php?sid=45670&cid=8

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