lundi 8 janvier 2007

Eviter le péché en donnant le sein

Revoilà Abdessabour Chahine, représentant de Dieu autoproclamé sur la terre d'Egypte, en guerre contre la raison et tirant à vue sur la moindre de ses manifestations. Universitaire de son état, Abdessabour Chahine a décidé d'éradiquer tout esprit critique ou semblant d'esprit critique des facultés égyptiennes. Il n'hésite pas à déférer devant la justice pour "atteinte à la religion" tout homme qui se hasarde à réfléchir, à haute voix, sur le contenu des textes sacrés.
En d'autres temps, la justice du pays aurait eu d'autres chats à fouetter mais, hasard ou opportunisme, les plaintes de Chahine sont toujours traitées avec célérité (1). L'infatigable redresseur de torts, causés à une société ronronnante par l'usage de la raison, vient de prendre pour cible l'un de ses collègues, Hassan Hanafi, professeur de philosophie. Ce dernier est, en effet, sous le coup d'une action en justice pour hérésie devant les tribunaux du Caire. Abdessabour Chahine reproche à Hassan Hanafi d'avoir relevé des contradictions entre les saints noms de Dieu et, surtout, d'avoir livré ses réflexions au grand public. Chahine considère que les conclusions du professeur portent atteinte à Dieu et à l'Islam. Le fait d'en informer l'opinion équivaut pour Hassan Hanafi à proclamer son hérésie. Il est donc sommé par le justicier Chahine de se renier et de se repentir sous peine des pires châtiments prévus par la Charia. Quant aux réflexions de Hassan Hanafi, elles portent, selon notre confrère Achraf Abdelkader, sur quelques contradictions manifestes entre les attributs divins, comme celles existant entre la bienveillance et la sévérité. En réalité, ce qui suscite le courroux de Abdessabour Chahine et de ses amis, c'est l'exploitation des propos de Hassan Hanafi par la chaîne adventiste Al-Hayat. Le rusé et érudit père Zaccharia, copte égyptien, n'est pas un inquisiteur mais un redoutable bretteur. Tous les théologiens de l'Islam le détestent et il le leur rend bien puisque son objectif est de convertir le maximum de musulmans au christianisme. Ses meilleurs alliés sont dans la place et son arme principale est la stupidité des Chahine et consorts. Lorsqu'il appelle ses téléspectateurs arabes à lire les Evangiles sur Internet, par crainte des exactions qu'ils risquent dans leurs pays, il sait que les Abdessabour Chahine sont légion et qu'ils confortent son discours. Le "procureur de Dieu" au pays des pharaons n'en est pas à sa première affaire. Il a ainsi réussi, il y a quelques années, à faire un procès retentissant à l'écrivain Nacer Hamed Abou Zeid. Motif : l'universitaire recommandait de lire le Coran avec la raison. Bien sûr, le réquisitoire du procureur Chahine fut suivi et validé par une condamnation : la rupture de son mariage avec sa femme Ibtihal. Bien entendu, cette dernière refusa la sentence et le couple vit actuellement exilé en Hollande, sans espoir de retour (2). Commentant la dernière initiative du grand inquisiteur égyptien, Achraf Abdelkader affirme que ses compatriotes doivent faire preuve de courage en religion. "Nous devons reconnaître, dit-il, qu'il y a de nombreuses contradictions, non seulement dans les saints attributs de Dieu mais aussi dans la Sunna et les Hadiths. Il y a eu dans ce domaine de nombreux textes falsifiés et d'autres inventés de toutes pièces, ajoute notre confrère. Je prends l'exemple du Hadith qui dit : "Celui qui change de religion, tuez le !". Ce Hadith est certainement faux puisqu'il contredit plusieurs versets du Coran. Malgré ça, les trabendistes de la religion s'y réfèrent constamment. Si ce Hadith est authentique, comment expliquer alors ces versets : "Vous avez votre religion et moi la mienne" ; "Il n'y a pas de contrainte en religion". Achraf Abdelkader qui dénonce la profusion de "fetwas", basées sur des Hadiths faibles ou apocryphes, en appelle à une révision déchirante des textes religieux, "pour en finir avec tous les drames provoqués par les divergences d'interprétation". C'est la même dénonciation que l'on peut retrouver sous la plume du billettiste attitré d' Al-Akhbar, Ahmed Rajab, lorsqu'il écrivait : "Le monde autour de nous se consacre à la science et à la technologie tandis que nous nous attachons aux fetwas religieuses utiles. La fetwa qui interdit d'appeler son épouse "ya mama" (maman) afin qu'elle ne devienne pas illicite pour lui comme si elle était sa mère. Ou bien la fetwa qui veut que l'épouse donne le sein aux employés (mâles) de la maison de façon à ce qu'elle devienne illicite pour eux. C'est ainsi que de nombreux dévots éclairés ont offert leurs services (comme employés de maison) à Nancy, Haïfa et Alyssa (3). Et annonce la nouvelle à ceux qui vivent dans la patience !" Toujours au chapitre des fetwas atypiques ou cycliques, citons la dernière en date qui nous vient, comme il se doit, d'Arabie saoudite. Un haut dignitaire religieux a édité un décret prohibant l'apparition de compagnons du prophète, interprétés par des acteurs sur la scène ou à l'écran. Cette fetwa tardive vise le feuilleton syrien "Khaled Ibn Al Walid" que toutes les télévisions arabes se sont arraché puisqu'il nous le montre en train de gagner des batailles. Du coup, le cheikh Karadhaoui qui avait salué l'arrivée du feuilleton au début du Ramadhan, se rebiffe au 25ème jour. Il désavoue l'œuvre pour des raisons qui tiennent plus de l'opportunisme politique que du jugement esthétique si tant qu'il ait vu l'œuvre. Ceci dit, "Khaled Ibn Al Walid" est un feuilleton chorba, avec l'ingrédient repoussoir de ce plat, le navet. C'est parce qu'il met en scène un personnage de la trempe de Khaled Ibn Al Walid que les critiques arabes ne l'ont pas incendié. Pourtant, il y a bien des raisons d'envoyer ce feuilleton là où finissent les navets périmés. L'écrivain syrien exilé, Hakem Al-Baba, a son opinion là-dessus : il ne s'arrête pas au fait que l'acteur principal ne sache pas monter à cheval ni qu'il traîne une femme par les cheveux avant de la tuer avec force giclées d'hémoglobine. Hakem Al-Baba affirme que le feuilleton mène les guerres de Khaled comme les Arabes ont mené celle de 1967. "Si Khaled s'était battu ainsi contre les Byzantins, c'en était fait des musulmans et de l'Islam", dit-il. Loin de ces querelles sur les feuilletons et le retour des actrices en hidjab, la danseuse égyptienne Dina s'apprêtait la semaine dernière à effectuer une "omra" pour se laver de ses péchés. Au retour, elle observera une pause de quarante jours avant de reprendre ses activités émoustillantes. Interrogé par un de nos moralisateurs sur cette façon de concilier sa profession et sa religion, elle reconnaît que ce n'est pas très orthodoxe. "Comme il y a des voleurs, il y a aussi des danseuses, dit-elle. Comme je ne peux pas être une voleuse, alors je danse." Que Dina se rassure, il y aura toujours beaucoup plus de voleurs que de danseuses. Il faut juste espérer que les inquisiteurs apprennent à tourner le dos aux danseuses comme ils le font pour les voleurs. A. H.
(1) A propos des juges "engagés" ou soumis au port de l'oreillette, je citerais ce "Hadith" dont je ne garantis pas, au demeurant, l'authenticité : "Les juges sont trois : deux qui vont en enfer et un qui va au paradis."

(2) Cette forme de répudiation n'est pas propre à l'Egypte. Tout récemment un couple saoudien, avec deux enfants, a été séparé par un jugement. Les frères de l'épouse ont invoqué le fait que le mari appartenait à une tribu inférieure à la leur.

(3) Il s'agit, pour les lecteurs non initiés, des chanteuses libanaises Nancy Agram, Haïfa Wahbi et Alyssa que la nature, ou la chirurgie plastique selon les mauvaises langues, a généreusement dotées de ce point de vue-là.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/10/23/article.php?sid=44823&cid=8

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