Comme l'année dernière, les Saoudiens se sont mis encore le doigt dans l'œil, j'entends l'œil qui devait observer le croissant lunaire annonçant le début du Ramadhan. A l'instar de tous les habitants du royaume et des provinces annexes, le cheikh Obeïkane a jeûné le samedi 23 octobre. Pouvait-il faire autrement en sa qualité de membre du gotha théologique, chargé de veiller à l'intégrité du dogme wahhabite ? Chez les wahhabites, on ne marque sa différence que lorsqu'on a affaire à des peuplades prêtes à tout gober, comme celle d'Afrique du Nord.Le cheikh Obeïkane s'est néanmoins rebiffé, après mûre réflexion et concertations avec qui de droit. C'est en plein milieu du Ramadhan qu'il annonce avoir été surpris par l'annonce de l'apparition du croissant de lune dans la nuit du 23 octobre. Or, toutes les études antérieures et postérieures ont montré que la vision était impossible ce jour-là, reconnaît-il dans le quotidien saoudien Al-Watan. En se ralliant, assez tardivement du reste, au point de vue des scientifiques, le cheikh Obeïkane se démarque des autorités religieuses en place. Ce sont pourtant ces dernières qui ont édité, il y a près d'un quart de siècle, une "fetwa" autorisant le recours aux observations astronomiques. Pour mieux appuyer ses dires, Obeïkane affirme que cette thèse a même obtenu, en son temps, l'accord du cheikh Ibn Al-Baz qui persistait encore à soutenir que la terre était un disque plat. Dans le même temps, le constat du cheikh est une critique indirecte de l'attitude du gouvernement, coupable d'avoir pris des vessies pour des lanternes et d'avoir validé des visions. Comme la théorie du bon roi et des mauvais vizirs a plus que jamais cours là-bas, il y est allé de sa requête au souverain infaillible (1) à qui il a demandé de faire désormais confiance aux scientifiques au détriment des "ulémas". Il rappelle toutes les initiatives prises dans ce sens aussi bien en Arabie saoudite qu'au niveau de la Conférence islamique. A l'appui de sa réfutation de la vision à l'œil nu, le cheikh Obeïkane cite de nombreux exemples de témoins dont la mauvaise vue a été démontrée par la suite. Il y a quelques années, raconte- t-il, un "témoin inamovible" a été pris sur le fait par un juge récemment nommé dans la région. Le juge a demandé, en effet, au "témoin", assez âgé, de dire ce qu'il voyait dans le ciel, au moment où le croissant de lune était à son apogée. Le "témoin visuel" n'a rien vu puisque c'était un malvoyant. Il a été alors prié de ne plus annoncer ses visions sous peine d'un châtiment exemplaire. Le cheikh raconte aussi l'histoire de quatre "témoins" qui ont vu le croissant de lune mais à l'envers. C'est-à-dire qu'il irradiait vers le haut comme si la lumière venait du satellite de la terre et non de l'astre solaire. Qu'ils aient commencé le Ramadhan un samedi ou un dimanche, les frères musulmans (2) sont aussi connus pour partager un égal appétit pour les douceurs et le farniente. Pour se rassurer et se raccommoder avec le ciel, ils sont aussi grands consommateurs de "fetwas". Ils veulent tout savoir sur tout et les médias se mobilisent plus que jamais à cet effet. L'hebdomadaire féminin Laha ( Pour elle) a sollicité les services de la "douktoura" égyptienne Souad Salah. Cette dernière est la doyenne de l'Institut d'études islamiques à Al-Azhar et elle est cataloguée comme la "mufti" attitrée des femmes. Sans y entrer véritablement, les questions posées tournent généralement autour de la chambre à coucher. Pour ce Ramadhan, Souad Salah déconseille aux femmes d'aller sur les chats pendant la journée du jeûne (3). Explication: elles pourraient engager des discussions enflammées avec un homme et donc provoquer en elles des réactions physiologiques susceptibles de les mettre en état de rupture (du jeûne). Sur la chaîne privée égyptienne "Dream", où elle officie également, Souad Salah a failli perdre son sang froid vendredi dernier, à cause du "niqab". Un téléspectateur qui devait sentir derrière lui les trois quarts des mâles égyptiens, a défendu avec une rare violence le droit d'imposer le "niqab" aux femmes (4). Souad Salah a soutenu que le "niqab" est antérieur à l'Islam et qu'il n'en était pas une des obligations. Il serait même proscrit sur la base de certains "Hadiths" authentiques. La théologienne a déploré que des pressions soient exercées sur les "moutahadjibate" (et non pas "mouhadjabate") pour qu'elles ressemblent aux "chauves souris de la nuit", selon l'expression de notre consœur d' Al-Akhbar (5), Hosn Chah. Dans cet ordre d'idées, elle a dit ne pas comprendre que des femmes portent le "niqab" et s'enferment en même temps chez elles, s'imposant ainsi un double cloître. En revanche, Mohamed Sadek Diab écrit dans le quotidien londonien Al-Charq Al-Awsat qu'il a été choqué par le "caractère osé" des propos de Heba Qotb, enseignante à l'université du Caire, sur "Al- Arabia.net". Il affirme que cette spécialiste de théologie et de sexologie (!!!) aborde des problèmes, comme le moment le plus indiqué après la rupture du jeûne, qui font monter le rouge au front de nos sociétés conservatrices. C'est pour vous dire qu'en matière de "fetwas", les femmes sont décidément bien loties, outre les avantages dont la nature les a dotées. Une distinction dont elles se passeraient volontiers à en croire la dernière (last but not least, hélas !) "fetwa" du cheikh Karadhaoui. Le chef spirituel des Frères musulmans a affirmé tout récemment qu'un mari trompé avait le droit de tuer l'homme surpris dans les bras de sa femme. "Mais, a-t-il ajouté, l'Islam ne connaît pas les crimes d'honneur (passionnels)". Ce qui a fait bondir le toujours vert Djamal Al-Bana, outré par cette attitude qui consiste à n'avoir que le Coran et la Sunna à la bouche et à les oublier dès qu'il faut s'y référer sérieusement. Al-Bana donne alors à Karadhaoui une véritable leçon de jurisprudence islamique en matière d'adultère. A la clé, il rapporte ce récit qui m'a tellement enchanté que j'ai voulu vous le faire partager : "Un jour que Omar Ibn Al-Khattab était en train de déjeuner, un homme est accouru, une épée ensanglantée à la main et poursuivi par un groupe d'hommes menaçants. Alors que l'homme s'était assis à côté de Omar, ses poursuivants ont déclaré à ce dernier : "O Emir des croyants, cet homme a tué notre ami." Omar se tourne vers le fuyard et l'interroge : "Que dis-tu? " Et l'homme inspiré a, alors, cette incroyable réponse : "O Emir des croyants, oui j'ai donné un coup d'épée sur les cuisses de ma femme et s'il y avait quelqu'un au milieu, je l'ai sans doute tué." Il n'y a pas à dire: ces gens-là avaient de la répartie et l'esprit d'à propos. Pourquoi donc, leurs émules d'aujourd'hui ont si peu de cervelle ?
(1) "Le roi vénérable, pieux et juste Abdallah Ibn Abdelaziz, que Dieu le préserve!". C'est le cheikh Obeïkane qui parle, vous l'aurez compris.
(2) Mécréant, peut-être, mais musulman quand même, c'est ce que disait, je crois, le regretté Djamel Eddine Bencheikh.
(3) J'espère que nos imams zélés n'en profiteront pas pour recommander l'interdiction des "cybers" aux femmes avant la prière du Maghreb.
(4) Là aussi, le vocabulaire a évolué : on ne dit plus "mounaqabat" pour celles qui portent le "niqab" mais "moutanaqibat". Juste pour dire qu'il ne leur est pas imposé mais qu'elles le mettent volontairement. Les femmes, chez nous, sont libres de s'habiller comme elles veulent, à condition de ne rien montrer.
(5) Il s'agit bien du journal cairote Al-Akhbar. Ailleurs, on ne se hasarde plus à de telles hardiesses.
Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/10/16/article.php?sid=44556&cid=8
lundi 8 janvier 2007
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