lundi 8 janvier 2007

Restez couvert, Monsieur le Ministre !

Farouk Hosni est depuis près de vingt ans l'inamovible ministre de la Culture de l'Egypte. Quoique servant de paravent bon chic bon genre à un régime autoritaire et répressif, Farouk Hosni est (était) un ami des arts et des lettres respecté. C'est un peu grâce à lui que les créateurs égyptiens les plus hardis ont pu s'exprimer, aussi bien en littérature qu'au cinéma. Homme de culture reconnu aussi bien dans son pays qu'à l'étranger, Farouk Hosni est sans doute le seul ministre de Moubarak à avoir échappé au désastre collectif.Pourtant, en septembre 2005, il a failli être emporté par les retombées de l'incendie d'un théâtre à Beni-Souif. Le théâtre de la ville avait accidentellement brûlé, lors d'une représentation. Une quarantaine de personnes, parmi lesquelles des comédiens et des critiques, avaient trouvé la mort dans l'incendie. Après le drame qui avait soulevé un grand émoi dans le pays, la responsabilité de Farouk Hosni avait été mise en cause. Des intellectuels progressistes comme l'écrivain Djamal Ghitani avaient dénoncé sa gestion et demandé qu'il soit démis de ses fonctions. Il avait alors préféré démissionner plutôt que de continuer à subir des attaques injustifiées à cause d'un accident imprévisible. Moubarak avait cependant refusé de se séparer de sa caution intellectuelle et Farouk Hosni avait été maintenu à son poste. Cette fois-ci les choses risquent de tourner autrement. Farouk Hosni s'est attaqué la semaine dernière à un morceau de tissu érigé en totem, le hidjab. Dans une déclaration au quotidien Al-Masri Al-Youmdu jeudi 16 novembre, Farouk Hosni a osé ce qu’aucun ministre du Machrek ou du Maghreb n'a pu seulement imaginer. Il s'est attaqué au sacro-saint hidjab affirmant qu'il représentait "un retour en arrière, une régression". "On ne doit pas cacher une chevelure de femme belle comme une rose, a-t-il dit avant de noter que "la religion, aujourd'hui, est réduite aux signes extérieurs alors que la relation de foi entre Dieu et sa créature n'a rien à voir avec l'habit". "La pudeur de la femme est une question de conviction interne, elle ne réside pas dans son apparence extérieure, a ajouté Farouk Hosni. Il faut que l'Egypte redevienne belle comme elle l'était et qu'elle cesse d'imiter les Arabes qui considéraient, à une certaine époque, l'Egypte comme une partie de l'Europe". Et d'ajouter : "Nous avons vécu avec nos mères qui nous ont élevés et éduqués tout en allant à l'université ou au travail sans hidjab. Pourquoi revenons-nous aujourd'hui en arrière? Des crimes se commettent aujourd'hui au nom du hidjab et du niqab. Le monde va de l'avant et nous ne progresserons pas tant que nous continuerons à penser de façon rétrograde et à aller écouter des fetwas de cheikhs à "trois millimes". Nous avons même perdu ces voix mélodieuses qui appelaient à la prière dans les mosquées. Nous entendons aujourd'hui des voix qui sont parmi les plus horribles qui soient". Farouk Hosni a, d'autre part, rappelé que lors de sa visite récente au Qatar et à Bahreïn, il a pu noter que les Etats arabes faisaient des progrès en matière d'organisation, de propreté. "Même les femmes commencent à découvrir leurs visages, alors que nous revenons en arrière et que nous les dissimulons. Un Etat comme Singapour commence à rivaliser avec la Chine et avec l'Inde. Cet Etat n'a pourtant que cent ans d'existence. Pendant ce temps, nous restons sur place bien que nous ayons une civilisation qui remonte à cinq mille ans". Farouk Hosni a, enfin, enfoncé le clou en affirmant que le ministère de la Culture et ses représentants devaient être le rempart principal contre la propagation de ces idées. Immédiatement, les "trompettes de Jéricho" de l'establishment islamiste ont résonné sous les murs du ministère de la Culture. La meute, emmenée par la chaîne qatarie Al-Jazira s'est déchaînée contre Farouk Hosni. La télévision satellitaire a interrogé les "bons" clients de la rue égyptienne, huit hommes et une femme en hidjab, l'égalité parfaite. Tous ont chanté la vertu irremplaçable du hidjab. Dans toute la ville du Caire, les caméras de la chaîne n'ont pas trouvé un seul "échantillon" populaire pour soutenir Farouk Hosni. Des voix se sont fait entendre au Parlement et chez les Frères musulmans pour dénoncer cette atteinte intolérable au dogme proclamé. L'un des porte-voix de la mouvance islamiste a déclaré que le ministre de la Culture devait démissionner puisqu'il s'oppose au voile que portent la majorité des Egyptiennes. Jusqu'ici, Farouk Hosni n'a pas exprimé son intention de démissionner mais s'est dit prêt à se soumettre à un vote de confiance du Parlement. Devant la virulence des réactions, il a cependant tempéré ses propos en précisant qu'il respectait les femmes voilées. Il a donné pour preuve le fait que de nombreuses femmes en hidjab étaient employées dans son ministère et étaient traitées sur un pied d'égalité avec les autres. Celui qui risque d'être d'un moment à l'autre, un ex-ministre de la Culture a fait un nouveau pas en arrière. Il n'a fait qu'exprimer son opinion personnelle et il n'a pas fait de commentaire sur le caractère religieux ou non du hidjab. Cette fois-ci Farouk Hosni n'affronte pas une mobilisation d'intellectuels indignés par l'incendie meurtrier d'un théâtre. Il a affaire à une oligarchie qui resserre sa mainmise sur la société et n'entend pas rouvrir des portes scellées à jamais. Toutefois, les partisans de Farouk Hosni persistent et signent. Les propos de Hosni sur le voile "sont une preuve de courage", affirme l'écrivaine Iqbal Baraka, farouche opposante au hidjab. "Il a le droit d'exprimer son opinion et nul n'a le droit de l'attaquer pour cette raison, dit-elle. Le hidjab est un retour à l'obscurantisme et un signe d'arriération intellectuelle", a-t-elle ajouté. De son côté, l'écrivain Youssef Al-Qa'id exprime la même opinion et se dit en plein accord avec les propose du ministre égyptien de la Culture. "Le hidjab est une graine plantée par le défunt président Anouar Sadate dans les années soixante-dix du siècle dernier, selon Al-Qa'id. Le danger n'est pas dans le bout de tissu qu'est le hidjab mais dans le voile mental que s'imposent certaines femmes aujourd'hui. Le hidjab est sur le point de diviser la société en deux de sorte que la femme qui ne le porte pas est considérée comme chrétienne jusqu'à preuve du contraire. Et Youssef Al-Qa'id de citer en exemple le cas de sa propre fille qui ne porte pas le voile et qui est souvent en butte à des questions sur sa religion. "Les canons de l'Islam sont au nombre de cinq et le hidjab n'y figure pas. Il a été imposé aux épouses du Prophète et aux croyantes afin que les mécréants ne les reconnaissent pas", souligne encore l'écrivain. Même ton chez Oussama Anour Okacha : "L'Egypte vivait depuis la conquête musulmane un Islam modéré et tolérant jusqu'à ce qu'à son invasion par les mouvances "djihadistes" et leurs tentatives de "wahhabiser" la culture égyptienne et d'en effacer les repères." Pour sa part, le penseur Djamal Al- Bana se dit étonné par l'agitation créée autour des déclarations de farouk Hosni. Il critique vertement ceux qui défendent le hidjab les accusant de vouloir "emprisonner l'Islam dans le hidjab et de confiner la religion dans un mètre carré de tissu". C'est sans doute à cause de ce mètre carré de tissu que l'Egypte risque de perdre un bon ministre de la Culture. S'il réussit à s'en sortir, Farouk Hosni devra réapprendre les règles de longévité dans un gouvernement arabe d'aujourd'hui. Pour durer, un ministre doit sortir couvert, c'est-à-dire arborer la calotte du bon pratiquant et porter le bâillon invisible qui va avec.A. H.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/11/20/article.php?sid=45991&cid=8

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