lundi 8 janvier 2007

La pantalonnade de Farouk Hosni

Farouk Hosni ne s'est pas rétracté et ne s'est pas excusé pour ses propos sur le voile. Il n'a pas, non plus, confirmé et répété ses propos. La hardiesse a ses limites, celles que bornent des théologiens et des dirigeants politiques qui affectionnent la prise en étau des libertés. Le ministre égyptien de la Culture n'a pas obtempéré aux injonctions des intégristes du Parlement en reniant ses déclarations.
Il s'est néanmoins excusé auprès de celles qui portent le hidjab et à qui il affirme vouer le plus profond respect. Samedi dernier, lors d'une réunion informelle avec des députés, Farouk Hosni s'est à nouveau excusé auprès des "moutahadjibate" et des "mouhadjabate" (1). Il a affirmé n'avoir aucune intention agressive envers ces territoires de défense passive. "Mes propos ont été mal interprétés, dit-il, et mon intention n'était pas de m'attaquer aux prescriptions religieuses". Des "précisions" qui s'adressaient sans doute aux Frères musulmans dont les représentants avaient boycotté la réunion. Ministre d'un pays où la marche arrière est une manœuvre de routine, Farouk Hosni est également revenu sur sa critique des "cheikhs à trois millièmes". Il ne visait que les charlatans et les marchands qui font fetwas de tout. Ses attaques n'étaient pas destinées aux "cheikhs" agréés. Ce qui est, bien sûr, le cas de 90% des "cheikhs à trois millièmes". Quant à démissionner, c'est hors de question. Farouk Hosni s'est dit "éreinté" par ses fonctions de ministre de la Culture mais il ne quittera pas l'attelage. Autrement dit : il ne lâchera pas le portefeuille. Ceci, en prélude à la séance de questions orales que le ministre devait subir hier au Parlement. Est-ce à dire que Farouk Hosni s'est livré à cette pantalonnade dans le seul but de s'attirer les sympathies des intellectuels et artistes égyptiens, très critiques à l'égard de sa gestion ? Si tel était son objectif, il aura amplement réussi au vu des réactions de ces milieux qui se sont mobilisés pour la défense de Farouk Hosni. C'est le toujours jeune Djamal Al-Bana (2) qui a pris la tête de cette contre-offensive. Dans un premier temps, il a brandi des arguments religieux pour répondre aux attaques de la coalition des intégristes et des opportunistes. Il a, ensuite, transposé le débat sur le plan politique avec une série d'articles dans lesquels il interpelle les parlementaires égyptiens. Dans le quotidien Al-Misri-alyoum ( L'Egyptien aujourd'hui), Djamal Al-Bana invite les députés à s'intéresser au scandale de la torture en Egypte, tel qu'il a été révélé récemment par ce quotidien. Il cite des exemples de tortures les plus sauvages pratiquées dans les locaux de la police égyptienne. "Voilà la véritable atteinte à la loi de Dieu et à la dignité du peuple d'Egypte, leur dit-il. Que faites-vous, élus du peuple, de ce peuple qui vous a confiés l'honneur de le représenter, de le défendre et de protéger sa dignité ? Qui dira sa colère pour la dignité du peuple offensé ? Qui criera à la face du Très Haut sa colère devant ce crime ignoble et cette agression contre la dignité commise par des gens qui ont pour tâche de la défendre et de combattre le crime ?" Toujours à l'adresse des députés, Djamal Al-Bana les exhorte à retrousser les manches et à débarrasser les rues du Caire de toutes les ordures qui les encombrent. "Ce sont ces immondices qui sont le véritable hidjab de l'Egypte et c'est sans doute pour cela que les députés du parti au pouvoir et des Frères musulmans ne protestent jamais." Et Djamal Al-Bana d'ajouter : "La femme qui croit que l'Islam c'est le hidjab et l'homme qui pense que la barbe c'est l'Islam portent tous deux atteinte à l'Islam. Ils font montre d'une très grande naïveté. Le port de la barbe était de mise à une époque ancienne ; la barbe de Karl Marx et de Darwin est la même que celle que l'on voit actuellement sur les chaînes satellitaires. Tous les hommes et toutes les femmes de l'univers recouvraient leurs têtes pour les protéger de la poussière, du vent ou de la pluie. C'est une question de mode vestimentaire et de climat et non pas une question de religion et de foi. Il n'y a pas dans le Coran un verset en rapport avec le vêtement en dehors de celui qui dit : "Qu'elles rabattent leurs voiles." Et c'est le verset qui fait référence au costume que portait la femme arabe dans la Djahilia. C'est-à-dire que ce n'est pas l'Islam qui l'a amené et qui l'a ordonné. Il était déjà là". De son côté, l'écrivain et scénariste Wahid Hamed rappelle que "lorsque le vicaire général des Frères musulmans avait dit "toz à l'Egypte et à ses habitants", personne n'a cillé. Que ce soit dans les rangs des frères ou à l'intérieur du Parlement qui a provoqué une tempête à cause des paroles d'un ministre qui est, par ailleurs, libre de dire ce qu'il veut. L'Egypte, ajoute-t-il, est aujourd'hui otage d'un scorpion, le parti national au pouvoir et d'une vipère, le mouvement des Frères musulmans. Toujours dans le même quotidien, notre confrère Ahmed Taha Nakr commence par cette anecdote : "Il y a une quarantaine d'années, il y avait dans notre village un voleur sympathique appelé Tarboucha. Il se considérait comme un homme de principes parce qu'il ne volait pas dans son propre village mais dans les contrées environnantes. Il opérait durant toute la nuit, au point qu'à l'appel de la prière de l'aube, il était le premier à entrer dans la mosquée. Et lorsque les villageois se moquaient de son attitude contradictoire, il leur répétait sa sempiternelle fetwa qui se résumait à ceci: accomplis l'obligation de la prière et fais ensuite ce que tu veux.". "Je me suis rappelé cette histoire en observant la religiosité ostentatoire que nous vivons et la "farce du hidjab" qui se joue dans notre honorable Parlement". "En fait, tous ces comportements sont une conséquence de l'offensive intégriste wahhabite sur l'Egypte", dit Ahmed Taha Nakr qui estime que l'affaire Hosni sert simplement d'écran de fumée à cette offensive. Pour lui, le ministre de la Culture a géré de façon catastrophique le patrimoine archéologique et culturel de l'Egypte. "Vient ensuite la "mère des catastrophes" lorsque le ministre de la Culture est revenu à son bureau non pas en hidjab mais avec un niqab. Elle sera de fait un tribunal de l'inquisition pour inspecter les esprits et les consciences. Elle constituera la première pierre angulaire dans la fondation de l'Etat islamique. Il ne restera plus alors qu'à constituer des groupes de "volontaires" qui bastonneront les jeunes filles pour les obliger à porter le niqab. C'est ainsi que le ministre qui n'aime pas le hidjab a adopté le niqab de son plein gré. Triste et sombre épilogue pour un ministre qui prétendait être un défenseur de la liberté". Alors, Farouk Hosni est-il le courageux ministre unanimement salué ou le prédateur que décrit notre confrère? A vous de juger ! A. H.

(1) Petite halte lexique : une "moutahadjiba", forme active, c'est quelqu'un qui croit que l'idée de porter le hidjab a germé dans sa tête et sans influences extérieures. Une "mouhadjaba", forme passive, croit, par contre, que le hidjab lui a été imposé pour son bien et que la soumission à Dieu passe par l'obéissance à l'homme.

(2) Djamal Al-Bana est le frère cadet de Hassan Al- Bana, fondateur du mouvement des Frères musulmans qui campe actuellement dans les allées du pouvoir en Egypte et ailleurs. C’est l’écrivain islamiste Fahmi Howeidi qui a dénoncé les faits dans un article publié par Al-Misri- Al-youm. Al-Ahram dont il est le chroniqueur attitré avait refusé de publier cet article. Cette dénonciation de la torture ne signifie pas forcément qu'il n'y a pas d'islamistes tortionnaires dans la police.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie "http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/12/04/article.php?sid=46607&cid=8

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