lundi 8 janvier 2007

"Nichan" et les voleurs de joies

S'il y a une blague à laquelle il faut décerner le titre de blague de l'année 2006 c'est bien celle-ci : des cohortes de défunts se présentent en bon ordre aux portes du paradis. La "Voix" d'en haut interroge l'ange préposé à l'ouverture des portes: "Qui sont ces gens-là ?" "C'est Jésus qui veut faire entrer son peuple au paradis", répond l'ange. "Laisse-les entrer!", commande la "Voix" d'en haut. Arrive ensuite une autre procession.La même question résonne, suivie de la réponse : "C'est Moïse et son peuple." Les portes s'ouvrent devant la deuxième procession. Juste après la fermeture des portes, une immense clameur surgit de loin. Des milliards d'individus avancent, dans un désordre et une cohue indescriptibles, en criant des slogans religieux. On se croirait au rituel de la lapidation du diable. Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ? demande la "Voix" d'en haut. L'ange derrière son judas crie à pleine voix pour être entendu : "Ce sont les musulmans, le peuple de Mohamed qui veulent entrer au paradis à la suite de leur Prophète." Alors la voix d'en haut ordonne à l'ange : "Fais entrer Mohamed et referme les portes !" Il y a comme ça des petites histoires humoristiques sur la religion qui ont circulé, tout au long de l'année 2006, jusqu'aux abords des mosquées sans déclencher, pour autant, un tsunami de vertu outragée. Vous connaissez sans doute déjà celle qui mérite le second prix, mais je vous la raconte, pour ceux et celles qui n'ont plus d'oreille. "La chanteuse Cheikha Remiti monte au ciel et se dirige vers l'entrés du paradis, escortée par un chérubin aux anges devant cette distinction. En chemin, ils passent devant l'enfer où rôtissent des chanteurs et des artistes qui ont connu la gloire sur terre. Ces damnés sont scandalisés par le "régime de faveur" consenti à la diva du raï. Ils protestent : "Elle ne mérite pas plus le paradis que nous, sa place est en enfer." Hautaine et méprisante, la chanteuse jette à peine un coup d'œil aux pensionnaires de la géhenne et franchit, imperturbable, les portes du paradis. Le temps passe et, un jour, nos artistes à la jalousie incandescente voient venir vers eux Cheikha Remiti. "Dieu soit loué, s'écrie leur leader qui a amassé une fortune sur terre en faisant commerce de fausses notes et de chants dits patriotiques. Ils t'ont enfin démasquée et ils te renvoient parmi nous, là où tu aurais dû être depuis le début." La chanteuse dévisage avec mépris le chanteur à la voix de crécelle et réplique : "Je sais que tu brûles d'impatience de me voir à tes côtés mais je suis désolée de te décevoir. Je ne suis venue en enfer que pour faire chauffer mon tambourin." En troisième position, je classerais celle-ci, que je garantis, comme authentiquement algérienne, mais que nos voisins nous ont piquée, comme tout le reste d'ailleurs. "Un imam autoproclamé et à moitié analphabète se présente aux portes du paradis. Il s'aperçoit que les candidats au nirvana doivent subir un test de culture générale pour être admis parmi les bienheureux. Arrivé à proximité de "l'examinateur", il peut entendre distinctement les questions posées aux deux défunts qui sont devant lui ainsi que leurs réponses. "Qui a ouvert un passage dans la mer avec sa canne ? interroge l'ange. "C'est Sidna Moussa (Moïse), bien sûr, répond le premier. Le second est interrogé à la suite : "Qui a marché sur l'eau ?" et il répond du tac au tac : "Sidna Aïssa, voyons !" Notre imam se dit que les portes du paradis ne sont pas, décidément, si hermétiques que ça. Il avance à son tour et il écoute la question : "Qui parlait aux animaux ?" Et il répond, triomphant : "Trop facile, c'est Sidna Tarzan, évidemment !" C'est l'histoire que nos voisins marocains se sont appropriée, en remplaçant Tarzan par Mowgli. En publiant cette blague, avec d'autres plus sulfureuses, l'hebdomadaire arabophone Nichan (qui veut dire direct, tout droit) a découvert, à son tour, que les chemins de l'enfer sont pavés de bonnes intentions. Résultat : la revue a été suspendue sine die et tout ce que le Maroc recèle d'indignation contenue a déferlé sur les animateurs du périodique. Au départ, l'intention du journal était pertinente et louable : il s'agissait de montrer que le peuple musulman marocain savait rire de lui-même, de ses faux apôtres et de ses dirigeants déconsidérés. Malheureusement, le florilège contenait quelques "nouktas" assez croustillantes qui ont provoqué la mobilisation générale contre Nichan. L'hebdo croyait faire plaisir à ses lecteurs et les égayer pour finir l'année en beauté, mais les voleurs de joies étaient à l'affût. On a eu droit aussi à des plaisanteries de mauvais goût, comme celle que nous a offerte Al-Azhar pour clôturer 2006. Je ne parle pas des démonstrations de karaté organisées par les étudiants, Frères musulmans sur le campus. Il y a des phénomènes plus dangereux comme cette thèse de doctorat en théologie qui excommunie les vivants et surtout les morts. Une perspective qu'appréhendait Naguib Mahfouz avant sa mort : être déclaré apostat à titre posthume. Selon le quotidien koweïtien Al-Watan, cette thèse validée, bien sûr, par Al-Azhar, voue aux gémonies des journalistes et des écrivains célèbres. En tête des apostats, post mortem, figure la fondatrice de la revue Rose-al-Youssef, Fatma Al- Youssef. Son fils, le grand écrivain Ihsane Abd el - Qodous, est aussi dans la charrette, pour faire bonne mesure. L'auteur de la thèse, dont le nom n'est pas divulgué, condamne aussi Mahmoud Abbès Al-Akkad qui n'était pourtant pas un laïc intransigeant. Le célèbre journaliste et historien Hassanein Heykal est lui aussi excommunié de son vivant. La thèse excommunicatrice reproche entre autres à la revue Rose-al-Youssef de défendre la civilisation des pharaons, mécréants et idolâtres. Quant à la fondatrice du journal, elle a, en tant que femme, enfreint la Charia en sortant de chez elle pour aller travailler. Le pire dans tout cela, note Al-Watan, c'est que les membres du jury ont approuvé les idées énoncées sur la période pharaonique. Pour eux, l'histoire de l'Egypte a commencé avec l'Islam et tout ce qui lui est antérieur est caduc. On peut imaginer le mal que peut faire l'auteur de cette thèse, après avoir obtenu son doctorat et s'être ouvert les portes de l'enseignement. Revenons, enfin, sur la très mauvaise plaisanterie commise par l'alliance américano-irakienne qui a volé aux Arabes et aux musulmans une fête qu'ils ne sont pas près de récupérer. Je suis encore sous le coup de la stupeur et de l'horreur suscitées par le "spectacle" de l'exécution de Saddam. N'ayant jamais été un chaud sympathisant du dictateur irakien, j'ai été beaucoup plus troublé par la vue de cet homme et le mépris qu'il a affiché vis-à-vis de sa propre mort. Bien sûr, les grands militants de la cause arabe, dont j'observe les navrantes gesticulations, crieront au courage et à l'héroïsme. Pour ma part, je ne peux m'empêcher de penser qu'il a été exécuté, seulement, pour avoir tué 128 personnes alors que ses victimes se comptent par milliers. Bush et ses alliés irakiens se sont épargné les frais d'autres procès, mais ils ont enfoncé encore plus la graine de la colère et de la révolte dans l'humus arabe. Aujourd'hui, en Irak, il y a une guerre ouverte entre un chiisme revanchard et un sunnisme qui tire sa force de l'exaltation mystique de ses adeptes. Cette guerre entre deux intégrismes risque de durer longtemps. Et si l'un des deux camps l'emportait, il déclencherait ce choc frontal des civilisations, le seul rêve à deux que font Bush et Karadhaoui. Vous devinez aisément qui seront les vaincus de la confrontation.A. H.
S'il y a une blague à laquelle il faut décerner le titre de blague de l'année 2006 c'est bien celle-ci : des cohortes de défunts se présentent en bon ordre aux portes du paradis. La "Voix" d'en haut interroge l'ange préposé à l'ouverture des portes: "Qui sont ces gens-là ?" "C'est Jésus qui veut faire entrer son peuple au paradis", répond l'ange. "Laisse-les entrer!", commande la "Voix" d'en haut. Arrive ensuite une autre procession.La même question résonne, suivie de la réponse : "C'est Moïse et son peuple." Les portes s'ouvrent devant la deuxième procession. Juste après la fermeture des portes, une immense clameur surgit de loin. Des milliards d'individus avancent, dans un désordre et une cohue indescriptibles, en criant des slogans religieux. On se croirait au rituel de la lapidation du diable. Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ? demande la "Voix" d'en haut. L'ange derrière son judas crie à pleine voix pour être entendu : "Ce sont les musulmans, le peuple de Mohamed qui veulent entrer au paradis à la suite de leur Prophète." Alors la voix d'en haut ordonne à l'ange : "Fais entrer Mohamed et referme les portes !" Il y a comme ça des petites histoires humoristiques sur la religion qui ont circulé, tout au long de l'année 2006, jusqu'aux abords des mosquées sans déclencher, pour autant, un tsunami de vertu outragée. Vous connaissez sans doute déjà celle qui mérite le second prix, mais je vous la raconte, pour ceux et celles qui n'ont plus d'oreille. "La chanteuse Cheikha Remiti monte au ciel et se dirige vers l'entrés du paradis, escortée par un chérubin aux anges devant cette distinction. En chemin, ils passent devant l'enfer où rôtissent des chanteurs et des artistes qui ont connu la gloire sur terre. Ces damnés sont scandalisés par le "régime de faveur" consenti à la diva du raï. Ils protestent : "Elle ne mérite pas plus le paradis que nous, sa place est en enfer." Hautaine et méprisante, la chanteuse jette à peine un coup d'œil aux pensionnaires de la géhenne et franchit, imperturbable, les portes du paradis. Le temps passe et, un jour, nos artistes à la jalousie incandescente voient venir vers eux Cheikha Remiti. "Dieu soit loué, s'écrie leur leader qui a amassé une fortune sur terre en faisant commerce de fausses notes et de chants dits patriotiques. Ils t'ont enfin démasquée et ils te renvoient parmi nous, là où tu aurais dû être depuis le début." La chanteuse dévisage avec mépris le chanteur à la voix de crécelle et réplique : "Je sais que tu brûles d'impatience de me voir à tes côtés mais je suis désolée de te décevoir. Je ne suis venue en enfer que pour faire chauffer mon tambourin." En troisième position, je classerais celle-ci, que je garantis, comme authentiquement algérienne, mais que nos voisins nous ont piquée, comme tout le reste d'ailleurs. "Un imam autoproclamé et à moitié analphabète se présente aux portes du paradis. Il s'aperçoit que les candidats au nirvana doivent subir un test de culture générale pour être admis parmi les bienheureux. Arrivé à proximité de "l'examinateur", il peut entendre distinctement les questions posées aux deux défunts qui sont devant lui ainsi que leurs réponses. "Qui a ouvert un passage dans la mer avec sa canne ? interroge l'ange. "C'est Sidna Moussa (Moïse), bien sûr, répond le premier. Le second est interrogé à la suite : "Qui a marché sur l'eau ?" et il répond du tac au tac : "Sidna Aïssa, voyons !" Notre imam se dit que les portes du paradis ne sont pas, décidément, si hermétiques que ça. Il avance à son tour et il écoute la question : "Qui parlait aux animaux ?" Et il répond, triomphant : "Trop facile, c'est Sidna Tarzan, évidemment !" C'est l'histoire que nos voisins marocains se sont appropriée, en remplaçant Tarzan par Mowgli. En publiant cette blague, avec d'autres plus sulfureuses, l'hebdomadaire arabophone Nichan (qui veut dire direct, tout droit) a découvert, à son tour, que les chemins de l'enfer sont pavés de bonnes intentions. Résultat : la revue a été suspendue sine die et tout ce que le Maroc recèle d'indignation contenue a déferlé sur les animateurs du périodique. Au départ, l'intention du journal était pertinente et louable : il s'agissait de montrer que le peuple musulman marocain savait rire de lui-même, de ses faux apôtres et de ses dirigeants déconsidérés. Malheureusement, le florilège contenait quelques "nouktas" assez croustillantes qui ont provoqué la mobilisation générale contre Nichan. L'hebdo croyait faire plaisir à ses lecteurs et les égayer pour finir l'année en beauté, mais les voleurs de joies étaient à l'affût. On a eu droit aussi à des plaisanteries de mauvais goût, comme celle que nous a offerte Al-Azhar pour clôturer 2006. Je ne parle pas des démonstrations de karaté organisées par les étudiants, Frères musulmans sur le campus. Il y a des phénomènes plus dangereux comme cette thèse de doctorat en théologie qui excommunie les vivants et surtout les morts. Une perspective qu'appréhendait Naguib Mahfouz avant sa mort : être déclaré apostat à titre posthume. Selon le quotidien koweïtien Al-Watan, cette thèse validée, bien sûr, par Al-Azhar, voue aux gémonies des journalistes et des écrivains célèbres. En tête des apostats, post mortem, figure la fondatrice de la revue Rose-al-Youssef, Fatma Al- Youssef. Son fils, le grand écrivain Ihsane Abd el - Qodous, est aussi dans la charrette, pour faire bonne mesure. L'auteur de la thèse, dont le nom n'est pas divulgué, condamne aussi Mahmoud Abbès Al-Akkad qui n'était pourtant pas un laïc intransigeant. Le célèbre journaliste et historien Hassanein Heykal est lui aussi excommunié de son vivant. La thèse excommunicatrice reproche entre autres à la revue Rose-al-Youssef de défendre la civilisation des pharaons, mécréants et idolâtres. Quant à la fondatrice du journal, elle a, en tant que femme, enfreint la Charia en sortant de chez elle pour aller travailler. Le pire dans tout cela, note Al-Watan, c'est que les membres du jury ont approuvé les idées énoncées sur la période pharaonique. Pour eux, l'histoire de l'Egypte a commencé avec l'Islam et tout ce qui lui est antérieur est caduc. On peut imaginer le mal que peut faire l'auteur de cette thèse, après avoir obtenu son doctorat et s'être ouvert les portes de l'enseignement. Revenons, enfin, sur la très mauvaise plaisanterie commise par l'alliance américano-irakienne qui a volé aux Arabes et aux musulmans une fête qu'ils ne sont pas près de récupérer. Je suis encore sous le coup de la stupeur et de l'horreur suscitées par le "spectacle" de l'exécution de Saddam. N'ayant jamais été un chaud sympathisant du dictateur irakien, j'ai été beaucoup plus troublé par la vue de cet homme et le mépris qu'il a affiché vis-à-vis de sa propre mort. Bien sûr, les grands militants de la cause arabe, dont j'observe les navrantes gesticulations, crieront au courage et à l'héroïsme. Pour ma part, je ne peux m'empêcher de penser qu'il a été exécuté, seulement, pour avoir tué 128 personnes alors que ses victimes se comptent par milliers. Bush et ses alliés irakiens se sont épargné les frais d'autres procès, mais ils ont enfoncé encore plus la graine de la colère et de la révolte dans l'humus arabe. Aujourd'hui, en Irak, il y a une guerre ouverte entre un chiisme revanchard et un sunnisme qui tire sa force de l'exaltation mystique de ses adeptes. Cette guerre entre deux intégrismes risque de durer longtemps. Et si l'un des deux camps l'emportait, il déclencherait ce choc frontal des civilisations, le seul rêve à deux que font Bush et Karadhaoui. Vous devinez aisément qui seront les vaincus de la confrontation.A. H.


Ahmed Alli" Le soir d'Algérie"http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2007/01/08/article.php?sid=47926&cid=8

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