lundi 8 janvier 2007

Le sacrifice comme tenant et aboutissant

Il ne faut pas se leurrer : les mêmes causes produisant les mêmes effets, Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais, est bien parti pour demeurer longtemps encore l'idole des foules arabes. Il n'a pas exterminé tous les Israéliens ni détruit l'entité sioniste comme le stipule son programme mais il résiste.Même si ses tirs de roquettes provoquent des dégâts sans commune mesure avec les destructions occasionnées au Liban par l'agression israélienne, Nasrallah est désormais un héros. C'est que les Arabes fatigués par les reniements, les capitulations en rase campagne et les défaites, habitués à voir des villes, des villages et des régions entières abandonnés à l'ennemi par une retraite honteuse, voient en Nasrallah sinon le libérateur du moins l'artisan de leur revanche. Le simple fait de tenir un village durant des jours et des semaines face à un adversaire, doté d'une supériorité écrasante, a l'éclat d'une victoire historique. Il y a longtemps qu'on avait perdu le goût de ces victoires- là dans les chaumières arabes. Oui ! On en est arrivé à espérer seulement une résistance acharnée, des exploits individuels ou de petits groupes que glorifieront les poètes avant la défaite inéluctable mais honorable. Mieux vaut être vaincu par un ennemi surpuissant que subir l'humiliation d'une retraite désordonnée, suivie de concessions politiques irrémédiables. Les Arabes savent que Hassan Nasrallah n'est pas l'archétype du héros qu'ils attendent mais ils font avec. N'a-t-il pas réussi, lui le chiite pro-iranien, pro- Assad et en l'espace de quelques semaines, à fédérer la «rue arabe» dans toutes ses composantes religieuses ? Et donc, Hassan Nasrallah ne devrait-il pas devenir le prochain Premier ministre du Liban, compte tenu du fait qu'il se présente en vainqueur, selon les normes arabes communément admises ? C'est la question que pose non sans dérision le sociologue jordanien exilé en Amérique, Chaker Naboulci. Dans sa contribution régulière au quotidien koweïtien Al-Siassa et au magazine Elaph, le chef de file des «nouveaux libéraux» expose les arguments en faveur de ce choix. «Certes, dit-il, la Constitution libanaise stipule que le Premier ministre doit être sunnite et non chiite mais celui qui a gagné une guerre doit gouverner, c'est la loi de la guerre. Et la victoire dans ce cas d'espèce, telle que la décrit le Hezbollah aux Libanais, aux Palestiniens et aux Arabes, le permet. Elle autorise Hassan Nasrallah, le héros libanais couronné et sans rival, à outrepasser la Constitution et à créer un précédent historique au Liban. Qui parmi les hommes politiques au Liban a plus de droits que lui à occuper cette fonction ?» Observant que le fait d'avoir provoqué autant de dégâts au Liban l'autorise autant qu'une autre personnalité à revendiquer le poste de Premier ministre, Chaker Naboulci nous refuse le droit à l'amnésie. «Nabih Berri n'est-il pas président du Parlement et deuxième personnage de l'Etat en vertu de la Constitution ? C'est pourtant lui, avec son mouvement Amal qui a tué en 1985 plus de 3000 Palestiniens à Sabra et à Chattila ainsi qu'à Bordj-Al- Baradjnieh et dans les camps du Sud-Liban». L'écrivain cite à l'appui de ses dires le livre de Abdallah Mohamed Al-Gharib Amal et les camps palestiniens. Il souligne que les massacres commis par Amal ont dépassé en cruauté ceux des Israéliens et des forces libanaises (maronites). «Pourquoi Hassan Nasrallah, qui a détruit intégralement le Liban, n'aurait-il pas le droit d'être Premier ministre en dépit du fait qu'il ne soit pas sunnite ? Et puis, lorsque le Hezbollah était un parti en devenir, n'a-t-il pas proclamé qu'il refusait l'humiliation de cohabiter avec des chrétiens ? (Journal Al-Nahar du 21/09/1989). Il n'était alors qu'un petit parti et il n'avait pas la puissance qu'il a aujourd'hui. Maintenant qu'il est le plus puissant parti, non seulement du Liban mais de tout le monde arabe et islamique, il peut rejeter la Constitution libanaise. Etant petit, le Hezbollah promettait de «déchirer les accords de Taëf» (Journal Al- Nahardu 13/10/1989). Qui l'empêche, dès lors qu'il sera sorti vainqueur de la guerre et qu'il aura défait la plus grande puissance militaire de la région, de dire : «Nous déchirerons la Constitution» ? Il a affirmé aussi que les accords de Taëf étaient une capitulation face à la politique maronite et à Israël. Qui l'empêchera de décréter que «la Constitution libanaise est aussi une capitulation devant les maronites, Israël, les laïcs occidentalisés et les agents de l'Amérique et de la France ?». Jouant sur le thème de la «régression féconde», le sociologue jordanien enchaîne : «Si les politiques libanais laïques ont échoué à bâtir un Etat puissant, pourquoi ne pas donner l'occasion aux religieux de le faire. Pourquoi ne pas offrir cette opportunité au Hezbollah qui bénéficie d'un si large appui de toutes les forces politiques et religieuses du monde arabe ?» Dans le sillage de cet aveu d'impuissance face à l'extase collective, l'universitaire tunisienne Raja Benslama s'arrête à cette phrase de Hassan Nasrallah : «Nous somme issus de la matrice du sacrifice». «Cette phrase, dit-elle, en dit long sur la nature de la résistance que dirige cet orateur. C'est une résistance qui ne consent pas de sacrifices pour la défense de la patrie, de son indépendance et de l'intégrité de ses habitants. Mais elle considère le sacrifice comme le tenant et l'aboutissant, il est le point de départ et d'arrivée. C'est du sacrifice pour le sacrifice. La résistance défend la patrie au nom du sacrifice, elle ne se sacrifie pas au nom de la patrie. Et c'est là le problème avec cette résistance : elle est née «de la matrice» du sacrifice, elle est née de la matrice de la mort et elle y retournera puisqu'elle est incapable de s'en détacher. C'est un attachement maladif qui tend à devenir une culture. Le sacrifice et non pas la vie, voilà le fondement idéologique de cette résistance armée. Le devoir d'aller au martyre est l'essence au détriment du droit à la vie.» Commentant l'attitude des élites intellectuelles arabes littéralement subjuguées par l'effet Nasrallah, Raja Benslama note encore : «Mais lorsque les élites culturelles de toutes tendances politiques s'impliquent dans la défense de ce parti et le considèrent comme un mouvement de résistance libanais. Lorsque ces élites manifestent pour le Liban en arborant des portraits de Hassan Nasrallah et d'autres leaders du même acabit, cela signifie que nos intellectuels ne sont pas immunisés contre les prêcheurs et contre les prêches destructeurs. Cela veut dire qu'ils ne sont pas sortis de l'aire de conscience tribale basée sur le soutien aux natifs de la matrice, c'est-à-dire le soutien au frère qu'il soit «agresseur ou agressé» selon la logique primaire : le Hezbollah est l'ennemi d'Israël et l'ennemi de l'ennemi est un ami. Plus prosaïquement, nos élites ne sont pas encore sorties de la logique de l'éclat et de la provocation infantiles : le Hezbollah défie, ceci est suffisant et peu importent la finalité et le prix du défi (…) Lorsque la folie s'empare de deux belligérants, il faut qu'une tierce partie soit là pour rappeler qu'il existe une alternative précieuse au-dessus des combattants. Et cette alternative précieuse c'est le droit et la légitimité morale. Or nos élites ne jouent pas ce rôle de tiers, elles entrent au contraire dans la spirale de la guerre en soutenant une des parties. Elles prennent fait et cause pour la tuerie et pour la logique de haine qui l'entretient », conclut l'universitaire tunisienne. Qu'ajouter de plus sinon prier pour que le ciel nous préserve des hallucinations collectives.A. H.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie "http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/08/07/article.php?sid=41769&cid=8

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