lundi 8 janvier 2007

Dieu, z'indiania et l'kbaylia

Voici l'histoire qui m'a été envoyée par une lectrice et dont j'ai juste supprimé le préambule d'usage sans rien changer d'autre : "Je voulais vous raconter une anecdote qui m'est arrivée en 1991, j'étais dans un bus desservant la ligne Golf-Audin, deux jeunes discutaient.L'un deux disait que toutes les inventions des Occidentaux étaient dans le Coran et qu'ils les avaient volées aux musulmans et il rajoute que la seule langue que Dieu ait créée était l'arabe, alors l'autre rétorque timidement : "Oui, mais même les autres langues c'est des langues de Dieu", alors l'autre réfléchit un moment puis dit : "D'accord toutes les langues sont la création de Dieu sauf z’indiania et l'kbaylia, je suppose que vous avez compris qu'il s'agissait de la langue des Indiens d'Amérique et du kabyle. Je crois qu'il n'y a rien à rajouter sauf que je les ai suivis et qu'ils sont entrés à la fac centrale." Ainsi donc, au regard de ce jeune inconscient, les Indiens d'Amérique et les Kabyles auraient été oubliés par la divine providence au pied de la tour de Babel. Ces choses-là ça ne s'invente pas et je tiens cette anecdote pour ce qu'elle est, c'est-à-dire authentique. Les raisons de la croire vous interpellent à chaque arrêt de bus, à tous les coins de rue et dans les allées des marchés. L'anecdote que raconte cette lectrice date de quinze ans. C'était en 1991, au moment où le FIS tenait le haut du pavé, et c'est le cas de le dire. Ce genre de théories nostalgiques et revanchardes avaient déjà droit de cité. Elles voyageaient de concert avec des idées toutes faites et prêtes à exécution (au sens plein du terme). Depuis, la pensée "salafiste" dite scientifique a reordonné et restructuré les discours et les actes. En 1991, des militants islamistes bornés et dociles, portant des catafalques à bout de bras, s'offraient des sprints résolus vers les cimetières. Ils obéissaient ainsi, de façon caricaturale, à un hadith qui ordonne d'enterrer les morts avec une extrême célérité (1). Aujourd'hui, les nouveaux maîtres à penser droit ont imposé une autre procédure : courir en portant une civière mortuaire est un manque de goût, ont-ils dit. Cela ne peut vous valoir que les moqueries des laïcs et la réprobation divine. Désormais, vos défunts ne doivent plus encombrer trop longtemps les espaces étroits de vos logements ou/et de vos cours. Ne veillez plus vos morts comme le faisaient vos pères mécréants. Ils n'ont pas besoin d'un dernier regard de leurs proches expatriés. Si votre mère meurt pendant la nuit ou au lever du jour, mettez la en terre dans la journée. Et cette prescription est valable aussi pour les défunts du sexe mâle : "Hâtez-vous d'enterrer" vos proches, mais en raccourcissant leur séjour parmi vous. Du coup, les éternels dindons de la farce vous expliquent qu'ils ne suivent pas une mode nouvelle, mais obéissent au principe de précaution : la chaleur accélère la décomposition. Et si vous leur dites que la procédure expéditive est aussi de règle au cours de l'hiver, ils vous renvoient au fameux hadith. On tourne donc en rond, mais de façon plus intelligente ; l'essentiel étant de ne pas faire tourner le cercueil en même temps, et le défunt avec. Le "salafisme" nouveau n'hésite pas aussi à avancer des arguments économiques : aux heures de grande misère, les femmes doivent verser la "dot" de l'austérité. Les tenues occidentales sont trop chères et l'ensemble hidjab et vêtement ample couvrant de la tête aux pieds offre un excellent paravent (hidjab au sens étymologique). Sans compter que ce "cache-misère" vous hisse, mesdames, au rang de femmes bienheureuses et libérées de contingences de la fitna. Quant aux hommes, la barbe poussant à titre libre et gracieux, plus besoin d'engager des frais supplémentaires pour vous habiller aux normes. Il suffit d'un coup de ciseaux, au bon endroit : prenez vos pantalons flanelle ou autres acquis du temps de votre djahilia, et retaillez les juste en haut de la cheville. Vous aurez sûrement bousillé de beaux accoutrements, mais, en retour, vous aurez gagné le droit de vous réclamer du "salafisme", même si vous n'avez pas la moindre idée de ce que c'est. Quoi qu'il en soit, vous pourrez arborer le nisf saq (mi-jambe) avec fierté lors des défilés de mode du vendredi. Vous ne vous sentirez plus exclus ou intrus, foi de couturier repenti. En tout cas, l'expérience a été concluante pour l'imam de mon village qui a réussi à faire retailler la plupart des garderobes de ses ouailles contrites, dont quelques cousins opportunistes. Il y a encore de ces situations auxquelles on n'échappe pas, comme celle qu'a dû affronter ce confrère des Emirats et qu'il relate dans le quotidien Al-Itihad. S'étant rendu au marché pour y acheter un pantalon et après en avoir essayé un, il a demandé au marchand de le retailler bas, c'est-à-dire au-dessous de la cheville. Or, le fils du commerçant, préposé à l'opération, refuse de couper le tissu au niveau demandé. Prétextant le refus de commettre un péché, il propose de retailler au-dessus de la cheville. C'est ça ou rien, dit-il en dépit des exhortations paternelles. Aux dernières nouvelles, la polémique continue. Entre croyance aveugle et superstition, les sociétés arabes s'en remettent aujourd'hui à des théologiens "salafistes" qui orientent et dirigent leurs actions. Sur le site qu'il vient de créer (2), l'ancien exclu d'Al-Azhar, Ahmed Sobhi Mansour, revient sur les mondes invisibles et le surnaturel. Il s'oppose à la croyance selon laquelle le Prophète Mohamed avait la prescience du monde invisible. Il rappelle opportunément que l'imam Mohamed Abdou a nié vers la fin du XIXe siècle l'idée reçue selon laquelle le Prophète avait la connaissance du monde invisible. Il a énoncé cette négation dans son exégèse de la Sourate de "La Vache", telle que reprise dans son corpus Al-Manar. "Partant de là, affirme Ahmed Sobhi Mansour, tous les hadiths affirmant le contraire sont donc sujets à suspicion et ne doivent pas être pris en considération". L'ancien mufti d'Al-Azhar, rappelle cependant que le mouvement de "l'Idjtihad" lancé par Mohamed Abdou a été récupéré et avorté par son élève Rachid Redha qui lui a substitué la pensée "salafiste". "C'est ainsi, dit-il, que la connaissance par le Prophète du monde invisible que réfute Mohamed Abdou est admise par son élève et cette contradiction figure dans la même édition." "Avec la révolution de juillet 1952, note encore Ahmed Sobhi Mansour, le Cheikh Shaltout, nommé à la tête de l'université Al-Azhar par Nasser, a ramené un peu de raison dans la maison Al- Azhar. Le Cheikh Shaltout a abordé lui aussi la question des diables et des démons avec une vision rationnelle et progressiste, certes, mais avec moins de clarté que Mohamed Abdou, plus d'un demi-siècle auparavant (observez le progrès en marche arrière)". Le Cheikh Shaltout affirmait, en effet, que "la relation des démons et des diables avec l'homme n'allait pas plus loin que la tentation ou l'incitation au mal. Tout le reste n'est qu'illusions". Cent ans après Abdou et cinquante ans après Shaltout, on peut mesurer quotidiennement la distance parcourue à reculons. Aujourd'hui, les démons ne se contentent pas de susurrer aux oreilles des mortels. Ils subornent leurs épouses et leur font même des enfants. Attention à ces diablotins, ils habitent peut-être votre quartier !A. H.
(1) Hadith opportunément oublié à la mort du Prophète lui-même.
(2) http://www.ahlalquran.com/arabic/main.php

Ahmed Alli " Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/10/30/article.php?sid=45020&cid=8

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