C'est à en pleurer de désespoir: Naguib Mahfouz est mort et Koléa n'est pas tombée. Naïvement, j'ai pensé que la vague d'émotion était si forte dans le monde arabe que tous les acteurs habituels des nécrologies de circonstance étaient frappés de mutisme.Non ! Rien à l'est, rien à l'ouest ! Naguib Mahfouz est mort, le prix Nobel de littérature n'écrira plus et tout le monde s'en f… Les télévisions satellitaires arabes, les journaux arabes avaient autre chose à faire. Et l'on découvre avec consternation que le plus grand auteur arabe contemporain est un illustre méconnu. Deux générations, au moins, d'Arabes sont passées à côté de ses œuvres sans les étudier, sans les lire, au moins. Ce qui fait dire au sociologue jordanien Chaker Nabulci que Naguib Mahfouz a vécu, a écrit dans une période de Djahilia (ignorance) arabe. Notre confrère Abderrahmane Errached relève, toutefois, dans Echarq-Al-Awsat, que Naguib Mahfouz a eu la chance de vivre cette époque : "Il a commencé sa romance avec la littérature en 1936, alors que les libertés étaient à leur apogée. Il la termine aujourd'hui où la liberté de créer est emprisonnée dans une cage malgré l'extension des progrès techniques. Des romans sont édités sous des pseudonymes ou condensés par la censure. De nombreux auteurs ont préféré conserver leurs manuscrits chez eux de peur des représailles. Au marché de la littérature, les écrivains vivent dans la peur, non seulement celle des gouvernants mais la peur d'une société de plus en plus fanatisée. Mahfouz a eu la chance d'arriver dans ces années où la littérature, le dessin, la peinture, la gravure, la parole et l'interprétation avaient un espace d'expression. Avant que l'extrémisme politique, religieux et social, officiel et populaire, intellectuel et analphabète où la toile d'araignée, comme il l'appelait, ne le fasse disparaître." Pendant ces temps, des oies blanches labellisées aux nouvelles normes religieuses sanglotaient à l'évocation du martyre d'un musulman à la bataille de "Badr". Et on s'aperçoit avec effarement que Omar Khaled, qui transforme les écrans en fleuves de larmes et Karadhaoui, l'ange de l'Apocalypse, sont plus connus et plus adulés que Naguib Mahfouz. De quoi avaler sans les mastiquer tout un recueil de Hadiths rapportés par Abou Horeira. Au fait, il n'y avait pas que des amis aux obsèques du grand écrivain, il y avait aussi des fossoyeurs et ils se sont empressés de remblayer des quatre mains, pour en finir vite. Sans doute, la palme de l'amnésie, librement consentie, revient-elle à la télévision égyptienne. Il y a du talent de ce côté-là, un talent fou pour exploiter les opportunités, retourner les situations. Ainsi, aux obsèques officielles de Mahfouz, ce commentateur zélé n'a pas laissé passer l'occasion. Il a rappelé que c'était Hosni Moubarak qui avait pris la décision d'organiser des funérailles officielles avec transport de la dépouille mortelle sur un affût de canon. Alors là, mes amis, nos brosseurs peuvent remballer leurs outils : dès le moment où le nom du président égyptien a été prononcé, il n'y en a eu que pour lui. Moubarak, ami des arts et des lettres, Moubarak grand lecteur de grands romans, Moubarak ceci, Moubarak cela. Une vraie opération de prestidigitation : bien enterrer Mahfouz pour mieux encenser Moubarak. L'écrivain est mort, vive le président ! C'est la conclusion désappointée de notre confrère Hakem Al-Baba, chroniqueur au quotidien londonien Al-Quds. C'est à en sangloter de rage : au bout du compte, les médias arabes n'auront même pas eu l'excuse de la mort de Mahfouz pour justifier la chape de silence entourant la mort d'un confrère soudanais. Il est vrai que Mohamed Tah n'a pas l'envergure de l'écrivain appelé à truster les lauriers. Il était simplement rédacteur en chef de l'hebdomadaire Al-Wifaq qui avait défrayé la chronique en mai 2005. L'hebdomadaire, en quête de sujets à sensation, avait repris des extraits d'un livre publié sur Internet et traitant de la vie privée du Prophète. Des partis et des associations islamistes avaient protesté et avaient demandé que Mohamed Tah soit poursuivi pour apostasie et injures au Prophète. Par la suite, Mohamed Tah avait reconnu avoir fait une erreur en reprenant des textes sans avoir vérifié leur authenticité. En fait, il semble bien que ce soit les évènements du Darfour qui sont à l'origine de l'assassinat de Mohamed Tah. Son journal avait osé critiquer le comportement de groupes islamistes dans la région, ce qui lui avait valu des menaces. Dans la soirée du mardi 5 septembre, le journaliste a été enlevé à son domicile à Khartoum. Il a été retrouvé, le lendemain, égorgé. C'est une première au Soudan où le Darfour est considéré comme une chasse gardée et où la dénonciation des massacres est assimilée à de la haute trahison. Ailleurs, on s'émeut de l'emprisonnement d'un journaliste arabe en Espagne tout en sachant qu'il a de fortes chances de sortir de prison en vie et même en bonne santé. Ce qui n'est pas évident partout, au Soudan pas plus qu'ailleurs dans nos contrées de liberté surveillée. Cette liberté surveillée, c'est celle dont semblait jouir jusqu'ici l'animatrice vedette de la chaîne Rotana, Hala Sarhane. Liberté toute relative mais Hala Sarhane a le doigté nécessaire pour arrondir les angles et mettre les intolérants de son côté en dépit de la hardiesse apparente de son émission "Le cinéma et les gens". Hala Sarhane sait, en effet, flatter les sentiments religieux de ses téléspectateurs sans toutefois verser dans la pudibonderie. Pourtant, un simple spot de soixante secondes a suffi pour déchaîner les passions contre elle. Ce spot annonce une série d'émissions prochaines sur les "Belles de nuit" (Banat Al-Laïl) en Egypte. Avant même la diffusion de cette série, des associations égyptiennes annoncent une pétition pour qu'elle soit interdite. Motif : elle serait de nature à encourager la prostitution chez les chastes jeunes filles de l'Egypte. Hala Sarhane se défend et contre-attaque dans le magazine Elaph. Elle réfute les accusations de ceux qu'elle appelle les "Oiseaux de nuit", les obscurantistes. "Ceux qui ont jugé l'émission et l'accusent de porter atteinte à la religion et à la morale sont eux-mêmes dénués de morale, dit-elle. Comment peut-on condamner une œuvre avant même de l'avoir vue. En réalité, ces gens-là veulent, par mon intermédiaire, intimider les créateurs épris de liberté et toutes les plumes libres. Notre société est-elle si faible au point de craindre une émission sur les "Belles de nui"?, s'interroge Hala Sarhane avant de noter qu'il existe en Egypte des courants qui veulent des journalistes et des médias formatés. Des gens qui procèdent par allusions de crainte de blesser les sentiments artificiels de ceux qui jouent à l'autruche. Ceux qui ne veulent pas reconnaître que la société a toutes les qualités et tous les défauts. Ils ne veulent pas admettre que l'évocation de sujets brûlants peut être un remède". Hala Sarhane précise, enfin, que cette nouvelle émission est programmée pour la période d'après le Ramadhan. En attendant, ajoute-t-elle, c'est au public de décider de son maintien ou de son retrait. En attendant le verdict populaire, Hala Sarhane peut méditer sur l'anecdote du chauve qui se bat pour posséder un peigne. Elle a été citée par l'écrivain iranien Amir Tahiri à propos de l'entêtement du président Ahmadinejad à posséder l'énergie atomique. "Le chauve, disait-il, n'a pas besoin de peigne mais il se bat pour en avoir un, juste pour montrer qu'il peut faire ce qu'il veut". A. H.
Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/09/11/article.php?sid=42917&cid=8
lundi 8 janvier 2007
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