Il paraît que c'est un commerçant de Tunis qui a permis de mettre en échec les projets d'attentat contre plusieurs bâtiments de la capitale. Cet épicier avait remarqué, en effet, que l'un de ses clients s'était brusquement mis à acheter une quantité inhabituelle de pains. Ses achats quotidiens dépassaient, de loin, les besoins d'une famille. En bon citoyen, soucieux de la stabilité de son pays, il avait informé la police de ce comportement intrigant. C'est ainsi qu'un projet terroriste de grande ampleur a été éventé.C'est sans doute à partir de ce détail que la presse locale a tout de suite désigné la piste algérienne. Tout le monde sait que nous sommes de grands mangeurs de pain.
C'est d'une logique irréfutable et je suis tenté de souscrire pleinement à cette hypothèse tant il est vrai que l'intégrisme ignore les frontières qu'il n'a pas tracées lui-même. Seulement, je trouve que nos frères tunisiens sont par trop imprévisibles et partiaux dans ce domaine. Ils donnent l'impression de suivre les mouvements et les sautes d'humeur de leurs dirigeants bien aimés et même adulés. Au début de l'année, journalistes, syndicalistes et semi-officiels clamaient publiquement leur douleur devant l'exécution de Saddam Hussein. Dans une belle unanimité nationale, suivant un axe s'étendant de Londres à Tunis en passant par Al-Qaïda, la dénonciation a été unanime. Islamistes et républicains islamisants ont fustigé à voix haute la cruauté et l'esprit de vengeance des dirigeants chiites irakiens. On était en face de l'entente retrouvée, au détriment du Maghreb des Etats, alliés contre le terrorisme. Il n'était donc pas question de briser cette belle fraternité en accusant injustement les islamistes tunisiens d'avoir fomenté un complot terroriste. D'ailleurs, ni Londres ni Doha n'ont revendiqué ou approuvé ces actes de violence. Le péril ne pouvait venir que d'ailleurs et c'est d'ailleurs qu'il est venu. Il était hors de propos de stigmatiser les gentils islamistes tunisiens alors que la méchanceté et la cruauté ont une adresse: l'Algérie. Les intégristes tunisiens sont des pacifistes convaincus, contrairement à ces enragés d'Algériens qui ne rêvent que de fleuves de sang. On vous expliquera, ensuite et sur un ton docte, que la Tunisie, autant que le Maroc, n'est pas l'Algérie.
Les Tunisiens sont d'ardents patriotes qui appellent la police au moindre pain suspect. Tandis que les Algériens… tous suspects ! Voyez comment ils traitent leurs assassins de retour des maquis ! Observez la façon dont s'opère la réinsertion des terroristes comme si le pays était retourné aux premières années de l'indépendance ! On raconte même que le chef "repenti", Anouar Haddam, reprendrait des activités publiques. A l'occasion, il pourrait être convié à distribuer des bonbons aux orphelins et aux futurs orphelins de la police. On pense même au siège du Commissariat central d'Alger pour abriter de telles cérémonies du pardon. N'importe quoi ! Ils sont décidément incorrigibles ces Tunisiens ! Ils feraient mieux de s'occuper de la santé de leur président, au lieu de spéculer sur l'avenir du nôtre. Comme s'ils ignoraient que, chez nous, les chefs pensent d'abord à se succéder à eux-mêmes. Ensuite, voyez le roi de France, Louis XIV ! Il y a plusieurs façons de rentrer dans l'histoire et, donc, plusieurs manières de l'écrire. Lorsqu'il s'agit de raconter l'histoire dans les manuels scolaires, les pédagogues font parfois fi de la vérité historique, comme en Egypte. La semaine dernière, j'avais évoqué la façon dont Al- Azhar avait validé une thèse de doctorat vouée à l'excommunication rétroactive. L'argument spécieux mais irréfragable du jury était que la thèse s'appuyait sur une vérité essentielle : l'histoire de l'Egypte a commencé avec l'Islam, à l'exclusion de tout ce qui est antérieur. Il y a quelques jours, l'historienne égyptienne Samah Fawzi a confirmé l'existence de ces absurdités, jusque dans les ouvrages scolaires. Dans le manuel d'histoire d'une classe du primaire, Samah Fawzi relève de quelle manière la mosquée est transformée de lieu de culte, sujet de respect et de dévotion, en terrain de mobilisation et de préparatifs guerriers. La mosquée, peut-on lire, “c'est l'école où les musulmans apprennent tout ce qui concerne leur religion et leur vie terrestre… le lieu où se rassemblent les soldats de Dieu avant de lancer une opération grandiose. C'est, enfin, le monument qui marque la distinction entre la société musulmans et les autres”. La guerre de 1973, par exemple, est présentée, par ailleurs, comme un combat entre juifs et musulmans. La leçon d'histoire exclut, de fait, la participation des coptes d'Egypte et occulte leur existence. “Voici les fortifications de la ligne Bar-Lev. Dieu nous a donné la victoire sur les juifs comme il l'a donnée au Prophète (QSSL) sur les juifs à Médine. Il a fait s'écrouler leurs fortifications sur leurs têtes.” La guerre est donc une guerre religieuse et c'est ce que l'enfant doit apprendre dans ce livre, observe Samah Fawzi. Comme il est spécifié en marge de la leçon, l'objectif est d'enseigner “l'honneur de subir le martyre au service de Dieu” et de mettre en garde contre “la traîtrise et la fourberie des juifs”, hier et aujourd'hui. “C'est ainsi, note l'historienne, que la victoire d'Octobre 1973 est présentée comme une victoire des musulmans sur les juifs. Où est le rôle de nos compatriotes coptes ? Pourquoi traitons- nous toutes choses sous l'angle de la religion. La réalité, les institutions et même l'histoire sont désormais considérées avec un regard religieux. Pourquoi le manuel d'histoire occulte-t-il les éléments arabes et chrétiens dans le conflit avec Israël ? Veut-on laisser entendre aux chrétiens arabes que cette patrie n'est pas la leur, que cette histoire n'est pas la leur et que cet avenir ne leur appartient pas ? Ce qui aura pour effet d'accentuer l'exode des chrétiens vers les pays occidentaux. Avec le temps, la sphère arabe perdra sa pluralité religieuse et la tolérance y disparaîtra. Le rejet de l'autre amènera les musulmans de différents rites à s'entretuer.” “Ces quelques exemples, souligne encore Samah Fawzi, montrent que l'information et l'enseignement recèlent en leur sein des tendances alimentées par les courants de l'islam politique. Ces tendances ne reflètent pas la nature et le fond de la société égyptienne diverse et plurielle. Aussi, ne faut-il pas éluder la responsabilité du gouvernement dans la persistance de telles absurdités. Ce sont ses institutions qui produisent, propagent et consomment ces avatars." Pour mieux mesurer l'ampleur du mal, il faut sans doute méditer cette initiative qui nous vient de Syrie. La Syrie qui serait, à en croire les opposants à Bechar Al- Assad, sur le point de succomber aux charmes du chiisme, sous la férule alaouite. Cela se passe à l'université de Damas. Une commission sur l'écriture de l'histoire s'est donné pour mission de réécrire l'histoire des Arabes avec une approche plus saine et plus réaliste. Selon le promoteur du projet, un certain Abdelkarim Ali, “il ne s'agit pas de réécrire l'histoire pour la modifier. Il s'agit simplement de procéder à la relecture de l'histoire dans ses aspects les plus positifs et dans l'intérêt de la société”. Alors soyons positifs ! Attendons, sans trop d'impatience, le chapitre sur la dynastie des Assad, sans oublier aussi, bien sûr, celui de la présence syrienne au Liban.
Ahmed Alli "Le soir d'Algérie"http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2007/01/15/article.php?sid=48238&cid=8
lundi 15 janvier 2007
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