lundi 8 janvier 2007

Sous le voile, la sécurité nationale

Signe des temps, des étudiantes d'Assiout, en Haute- Egypte, ont manifesté vendredi dernier pour la défense du voile. L'objectif de cette manifestation, aux slogans inspirés, n'était pas tant d'affirmer la primauté du voile que de protester contre les déclarations de Farouk Hosni. Ce dernier avait défrayé la chronique, il y a une dizaine de jours, en se prononçant contre le port du hidjab.Si c'était là un ballon d'essai pour tester les réactions des Egyptiens, le résultat est concluant : le parti du hidjab est majoritaire sinon en voix du moins en décibels. Farouk Hosni, le sémillant ministre égyptien de la Culture, se courbe sous la tempête mais ne rompt pas pour l'instant. Son sort paraît être suspendu à une décision du président Moubarak. Lui seul a le pouvoir de maintenir ou de démettre un ministre. En attendant, le Parti national au pouvoir s'est retrouvé en phase avec le mouvement des Frères musulmans. Ce n'est pas seulement au palais Zirout-Youcef que les barbéfélènes" (1) prennent d'assaut les travées islamistes. Farouk Hosni a vu se détourner de lui ou se retourner contre lui la plupart des barons du régime. S'il y avait un prix du meilleur coup de poignard dans le dos, il irait sans conteste au président de la commission des affaires religieuses et sociales du Parlement. Le Dr Omar Hachem, c'est son nom, est membre du parti au pouvoir et ancien président de la mosquée-université Al-Azhar. Cette question (du hidjab) ne regarde pas seulement les femmes ou les institutions religieuses mais elle touche à la sécurité nationale" (!!!). Ainsi donc, en s'attaquant au hidjab, farouk Hosni a mis à nu une pièce maîtresse du système de sécurité égyptien. Au rythme de ces dérives vers l'absurde, ce morceau de tissu relèvera bientôt du secret défense. Ces propos ont fait réagir notre confrère Sammy Buhairi, député au Parlement de Bahreïn (2) et néanmoins chroniqueur au magazine Elaph. Dans un élan sarcastique, il énumère tous les problèmes graves que connaît l'Egypte et qui sont relégués à l'arrière-plan par le hidjab, "problème de sécurité nationale numéro un". Citons quelques-uns : - Des millions de jeunes chômeurs en Egypte, ce n'est pas une question de sécurité nationale, le hidjab est plus important. - La menace israélienne d'attaquer l'Egypte pour stopper l'acheminement d'armes vers Ghaza ne relève pas de la sécurité nationale, le hidjab est plus important. - L'existence de cellules terroristes dans le désert du Sinaï n'est pas un problème de sécurité nationale, le hidjab c'est plus important. - La disparition des réserves de pétrole dans 15 ans sans autres énergies de substitution est une question qui ne touche pas à la sécurité nationale. Le hidjab est plus important. "Aucune voix ne doit surpasser celle du hidjab", note Sammy Buhairi à l'issue de cette longue énumération des plaies de l'Egypte. S'adressant à Farouk Hosni, il lui exprime son admiration pour son courage. "Malheureusement, lui dit-il, tu nages contre un courant global et impétueux qui considère le hidjab comme un problème de sécurité nationale. C'est un courant qui nous invente des religions autres que celles qu'on nous a enseignées. Il semble qu'ils nous aient menti à l'école en nous apprenant que l'Islam était basé sur cinq piliers : la Shahada (profession de foi), la prière, la zakat (aumône), le jeûne du Ramadhan, le hadj (pèlerinage). Il apparaît que le sixième pilier, le hidjab, a sauté par inadvertance à une époque mais il revient aujourd'hui avec force. Et pourquoi pas ? Puisqu'il "touche à la sécurité nationale". Dans le même sillage, l'Egyptien Khaled Mountassar s'indigne des attaques menées contre Farouk Hosni et qui relèvent selon lui du lynchage. "Cette mise à mort morale illustre parfaitement le danger qui plane sur l'Etat moderne dans lequel le climat d'hystérie est tel qu'on ne distingue plus le nationaliste du frère musulman. Tout le monde a lâché le ministre (de la Culture), même le journal Al-Kahira, réputé proche de Son Excellence (le président Moubarak) n'a pas écrit une seule ligne sur l'affaire. Comme si le ministre était un simple commis au centre culturel de Micronésie". D'entrée, Khaled Mountassar porte le fer dans la plaie : il se demande s'il ne faut pas juger le khalife Omar comme on est en train de juger Farouk Hosni et il argumente : "Si, comme vous le dites, le hidjab a été imposé comme devoir religieux pour propager la vertu et proscrire la discorde (fitna), et si son objectif est de protéger la pudeur, pourquoi le khalife Omar Ibn Al-Khattab a-t-il interdit aux esclaves et aux servantes de porter le hidjab? " Pour étayer son propos, Khaled Mountassar cite un fait rapporté par plusieurs chroniqueurs : lorsqu'il se promenait dans la ville et qu'il rencontrait une esclave portant le hidjab, le khalife Omar l'obligeait à le retirer en s'aidant de son célèbre nerf de boeuf. Il leur interdisait de vouloir ressembler ainsi aux femmes libres. On raconte aussi que les servantes du khalife Omar vaquaient à leurs occupations la tête nue. "Si le hidjab a été imposé par respect pour la pudeur, pourquoi en priver une pauvre servante ? interroge notre confrère. Manque-t-elle à ce point de dignité et peut-on tout se permettre avec elle ? Vous dites que le hidjab est un élément de pudeur et de piété et qu'il empêche les débauchés de s'attaquer aux femmes ; pourquoi en privez-vous alors les esclaves et les servantes, même lorsqu'elles sont pudiques et pieuses ? Ou bien considérez-vous que tout est permis avec elles, qu'elles n'ont pas d'honneur et qu'elles sont infra-humaines ?" Comme pour nous faire échapper à ce débat d'un autre âge, Khaled Mountassar nous propose la lecture d'un livre qui vient de paraître en Egypte et qui traite des 100 plus célèbres rumeurs propagées dans le pays. Ce livre est l'œuvre d'un jeune journaliste qui considère appartenir à une génération qui voue à la fois de l'amour et de la haine pour son propre pays. On apprend donc que l'Egypte est le seul pays où ce sont les morts qui font vivre les vivants (ce sont les pharaons, bien entendu). C'est seulement en Egypte que vous trouvez un quartier entier qui s'alimente de façon frauduleuse à l'électricité (3). Un ministre qui "cancérise" le peuple puis se présente aux élections sous l'étiquette du parti au pouvoir, c'est en Egypte aussi. On ne colle les affiches que là où il y a un panneau "défense d'afficher ". L'Egypte est le seul pays au monde où vous verrez un homme grand et fort s'arrêter sous un pont, tournant le dos à la rue et faisant ce que font les autres (4). Quant aux rumeurs, elles vont du réalisme au surnaturel. Parmi les plus courues, on trouve celle de l'acteur Salah Kabil retrouvé hors de son tombeau. Il y a aussi l'histoire de cette jeune fille "impudique" (qui ne porte pas le hidjab) et qui est morte carbonisée dans un microbus parce qu'elle raillait la tenue "engagée". Comme on le voit, nous n'avons pas trop à envier à l'Egypte. Excepté Farouk Hosni, de grands écrivains et intellectuels et des capacités de résistance que nous n'avons plus. A. H.

(1) Je dois rappeler sans doute que l'expression est de notre excellent confrère et ami Mohamed Hamdi, que Dieu lui prodigue santé et longévité.
(2) J'espère, au passage, qu'il a été réélu aux législatives qui se sont déroulées samedi dernier dans l'émirat.
(3) C'est aussi l'argument qu'utilise Sonelgaz pour justifier les pannes fréquentes dans mon quartier. Il y a des gens qui volent de l'électricité. J'ai essayé de vérifier : impossible de voler le moindre kilowatt dans cet îlot. A moins que mes voisins du cimetière…
(4) Chez nous, ils sont petits, maigres, vindicatifs et ils font ça dans les cages d'escalier.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie"http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/11/27/article.php?sid=46312&cid=8

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