lundi 8 janvier 2007

Voir un dirigeant arabe pleurer

C'est la semaine du politiquement correct, celle où il ne faut pas heurter de front des sensibilités ultra-patriotiques exacerbées par l'imminence d'un cessez- le-feu au Liban. Ceci, pour répondre à ce lecteur qui m'a lancé un tonitruant «Vive Nasrallah» sur mon email. Et comme il a bien appris ses leçons d'histoire, il me rappelle que c'est grâce à la révolution de 1954 que je peux écrire ce que j'écris. C'est la semaine du politiquement correct, celle où il ne faut pas heurter de front des sensibilités ultra-patriotiques exacerbées par l'imminence d'un cessez- le-feu au Liban. Ceci, pour répondre à ce lecteur qui m'a lancé un tonitruant «Vive Nasrallah» sur mon email. Et comme il a bien appris ses leçons d'histoire, il me rappelle que c'est grâce à la révolution de 1954 que je peux écrire ce que j'écris. Ce que j'admets volontiers, en soulignant au passage que c'est par la même filière que mon irascible lecteur est en mesure de me lire. Je n'irais pas toutefois jusqu'à établir par raccourci la corrélation entre Abane Ramdane et Hassan Nasrallah. Tenter comme on le fait de grandir le Hezbollah en le comparant à l'artisan de l'insurrection de Novembre, c'est tirer le FLN (1) vers le bas. Il y a suffisamment de démagogues prêts, en ce moment, à jurer que juillet 2006 est la réplique sismique de Novembre 1954. Il y a, certes, des conflits qui vous révèlent à vous-mêmes et vous mettent d'illustres inconnus en postures d'idoles mais gardons-nous des similitudes outrancières. Essayons d'être lucides même si toutes les salles Harcha du monde arabe résonnent de cris de guerre lancés par des tribuns endimanchés. Et surtout n'envoyons pas Larbi Ben M'hidi se faire immoler sur l'autel de la cause arabe. Son nom est synonyme de victoire et cela devrait suffire. Pour rester dans la semaine des bonnes résolutions, notons le silence pacifiste, et donc inhabituel, observé par notre voisin libyen. Relevons aussi la sourdine mise par tous les boutefeux médiatiques (2) à leurs attaques contre la «bande des trois». Il s'agit de l'Arabie saoudite, de l'Egypte et de la Jordanie. Ces trois pays sont désormais taxés de «traîtres» par les faiseurs d'opinions arabes. On a ressorti spécialement pour eux la bonne vieille étiquette de «réactionnaires» que les pays progressistes utilisaient contre les monarchies arabes. La discrétion des commentateurs s'explique peut-être par la participation active de ces trois pays à la campagne de solidarité avec le Liban. Ainsi en est-il de la reine de Jordanie et de la première dame d'Egypte qui sont particulièrement dynamiques sur le plan humanitaire. Cependant, il y a un quatrième «traître» (3) que les chroniqueurs attitrés des télévisions belligérantes ne citent pas et c'est le Qatar. Comme les relations entre l'Arabie saoudite et l'émirat du Qatar ne sont pas actuellement au beau fixe, le quotidien saoudien Al-Charq al- Awsat nous en dit plus. Selon son correspondant en Israël, le ministre qatari des Affaires étrangères, Hamed Ibn Djassem, est arrivé la semaine dernière à Beyrouth escorté par deux avions israéliens. Avant d'aller assister aux travaux de la conférence ministérielle de la Ligue arabe, le ministre qatari a fait une escale de quatre heures à Tel-Aviv. L'objectif de cette escale, selon le quotidien, était de justifier auprès des dirigeants les récentes déclarations officielles du Qatar. Les Israéliens, en effet, ont été particulièrement irrités par l'engagement verbal du Qatar à rompre ses relations diplomatiques avec Israël si un sommet arabe le recommandait. Cheikh Hamed Ibn Djassem a indiqué à ses interlocuteurs israéliens que cette déclaration était seulement destinée à faire cesser les attaques arabes contre le Qatar. Ce dernier, a-t-il souligné, est en butte aux critiques à cause de ses relations avec Israël. Or, personne ne s'enhardit à critiquer l'Egypte, la Jordanie et l'Autorité palestinienne qui sont dans le même cas. Al-Charq al- Awsat ajoute encore que les Israéliens se sont plaints de l'attitude hostile de la chaîne qatarie Al Jazira. Hamed ibn Djassem a répondu que la chaîne était une tribune libre qui donnait aussi la parole aux responsables militaires israéliens (4). Il a ajouté que la dernière chose à laquelle il s'attendait d'un Israël démocratique, c'est qu'il critique la liberté de la presse au Qatar. Toujours selon le même journal, le chef de la diplomatie qatarie a quitté ensuite Tel-Aviv escorté par deux avions militaires israéliens. Les mêmes Israéliens ont d'ailleurs mis en en garde leurs hôtes de passage sur les dangers qu'il y avait à emprunter le couloir aérien traditionnel entre Damas et Beyrouth. Ils ont mis en garde contre les risques encourus en raison de la multitude de missiles qui sillonnent cette région. Les Israéliens ont suggéré le couloir Tel-Aviv- Beyrouth, beaucoup plus sûr. Toujours sur le même registre, Al-Charq al-Awsatrelate un des échanges qui ont eu lieu lors de la conférence ministérielle de Beyrouth. Lorsque le ministre saoudien des Affaires étrangères a proposé la tenue d'un sommet arabe à La Mecque, son homologue syrien, Walid Al-Mouallem, a déclaré : «Nous bénissons cette initiative à condition qu'un tel sommet appelle à mobiliser les armées arabes et à arrêter les exportations de pétrole.» Ce à quoi le ministre saoudien Saoud Al- Fayçal a répondu : «Le pétrole c'est pour le développement et non pas pour la guerre.» Comme piqué au vif, le chef de la diplomatie libyenne, Abderrahmane Chelqam, a réagi en interpellant son homologue syrien : «Je ne comprends pas pourquoi on soulève de tels problèmes et on lance des slogans dont tout le monde sait qu'ils sont contreproductifs.» Le ministre syrien intervient à nouveau pour dire : «En ce qui nous concerne, nous parlons ici au nom de la dignité, de la fermeté et du sacrifice.» Réplique du Libyen, décidément surprenant : «Pourquoi vous n'appliquez pas alors ces principes au Golan.» Nouvelle polémique lorsqu'il s'est agi de désigner les membres de la délégation arabe au Conseil de sécurité. Le quotidien saoudien rapporte que le ministre des Affaires étrangères qatari a essuyé une rebuffade lorsqu'il s'est proposé comme membre de la délégation. L'affront est venu d'un ministre maghrébin, note le journal sans autres précisions. Tous ces éléments pourraient expliquer, a posteriori, le fait que le Premier ministre du Liban Fouad Siniora ait éclaté en sanglots devant les caméras des télévisions. Ce qui fait dire au chroniqueur syrien du quotidien londonien Al-Quds que ces larmes sont une vraie première. «De toute ma vie, écrit-il, je n'ai vu un dirigeant arabe pleurer. Ils ont toujours arboré, devant les caméras, ce sourire de satisfaction que l'on affiche en regardant une pièce de Adel Imam ou de Doreide Laham. De défaite en défaite et de beuveries en revers, les dirigeants arabes ont toujours veillé à garder le sourire comme s'il s'agissait pour eux de battre un record sportif.» En conclusion, notre confrère affirme qu'il n'est pas dans son idée d'appeler à un sommet arabe des pleurs. «Mais si un tel sommet se tenait, il résumerait mieux la réalité arabe que les autres sommets.» Un sommet lacrymal à La Mecque, ce n'est pas une si mauvaise idée. A. H.


(1) Précision rudement utile : je parle ici du FLN originel qui a disparu dans le tumulte de l'été 62.
(2) Avec une mention particulière à Fayçal Al Kassem, l'incroyable animateur de la chaîne qatarie Al Jazira qui propose d'ouvrir un front au Liban sur ses propres deniers.
(3) A cette catégorie, il faudrait peut-être ajouter celle des indécis et des opportunistes comme ceux qui sont prêts à aller guerroyer au Sud-Liban, à condition d'être accompagnés de tambours et cornemuses. (4) Al Jazira ainsi que de nombreuses autres chaînes satellites arabes disposent de correspondants dans tous les territoires israéliens ou sous contrôle israélien. La réciprocité n'est pas pour demain, ce qui donne une idée de l'écart entre les deux camps en matière de communication.

Ahmed Alli" Le soir d'Algérie "http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/08/14/article.php?sid=41986&cid=8

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