lundi 8 janvier 2007

Le Tigre, l'Euphrate et El-Harrach

Le chanteur égyptien Chabane Abderrahim a encore profité de "l'aubaine" libanaise pour faire un tabac avec un nouveau clip. Alors que les chaînes de télévision arabes ressortaient les vieux champs patriotiques des archives poussiéreuses, Chabane Abderrahim a chanté sur l'air de "Je vous l'avais dit". Pendant que les Israéliens semaient la mort et la destruction sur leur passage, Chabane a joué les chœurs des tragédies antiques. Avec un rien de condescendance, il a rappelé aux Arabes qu'il les avait mis en garde à maintes reprises contre la duplicité d'Israël. Il sait de quoi il parle le chanteur qui fait des tubes avec les déboires et les déconvenues arabes. Tant que durait la guerre, les rodomontades de Chabane Abderrahim n'émouvaient personne. Mais une fois le cessezle- feu établi, tout le monde n'est pas obligé d'apprécier comme en témoigne la réaction de Tel- Aviv. La chanson n'est pas loin d'être assimilée à une violation du cessez-le-feu, doivent estimer les Israéliens passés maîtres en la matière. C'est sans doute la conclusion de l'ambassadeur d'Israël en Egypte puisqu'il vient de protester officiellement contre les vitupérations de Chabane Abderrahim. Ce dernier ne s'en laisse pas conter et dénie aux Israéliens le droit de commenter ses chansons ou de protester contre leur contenu. Il va même plus loin en annonçant qu'il intentait une action en justice contre l'ambassade israélienne pour son manque de goût artistique. Ira-t-il jusqu'à se réserver le droit d'en faire un nouveau tube ? La chose n'est pas exclue avec cet intarissable donneur de leçons patriotiques et vedette incontestable des chaînes satellitaires. Au reste, ce n'est pas la première fois que des artistes égyptiens plus éprouvés et plus talentueux ainsi que des journalistes ont maille à partir avec des Israéliens qui expérimentent au Caire le fossé qui les sépare de la normalisation. Outre la presse qui exprime ouvertement son hostilité à l'établissement de relations normales avec Israël, le cinéma égyptien cède volontiers à la tentation de pourfendre l'ancien ennemi. Récemment encore, l'ambassadeur israélien s'est fendu d'une note de protestation officielle contre le film Une ambassade dans notre immeuble. L'œuvre traitait sur le ton de la comédie l'existence quotidienne de locataires d'un immeuble confrontés à un voisin indésirable, l'ambassade d'Israël en l'occurrence. La protestation visait surtout le fait que l'ambassadeur israélien était présenté comme un personnage agité et névropathe. Auparavant, le cinéma avait fait mieux, ou pire selon le point de vue, avec le feuilleton Un chevalier sans destrier, interprété par Mohamed Sohi. Le feuilleton s'appuyait sur les fameux "Protocoles des Sages de Sion" que le monde entier considère comme un faux grossier à l'exception de qui vous savez (1). Comme de bien entendu, les Américains ont emboîté le pas à leurs amis israéliens. Ils ont adressé une sévère mise en garde contre la diffusion du feuilleton dans les autres pays arabes. Résultat: toutes les télévisions arabes, à une ou deux exceptions près, ont acheté Un chevalier sans destrier. De là à en déduire que les Arabes font tout le contraire de ce que leur dicte l'Amérique, il y a un pas que seuls les Saoudiens peuvent franchir. Avec les Egyptiens, les Saoudiens sont les seuls à s'opposer aux Etats-Unis tout en étant tout contre à la manière de Sacha Guitry (2). Dans la série des justifications a posteriori, le quotidien saoudien Al-Charq-Al-Awsat a encore donné la preuve de l'incroyable capacité d'adaptation des dirigeants wahhabites. Hier, il a annoncé non sans en tirer quelque gloriole un événement retentissant. Il s'agit de l'absolution octroyée par la "Djamaa islamya" au royaume d'Arabie pour sa participation à la libération du Koweït, occupé par Saddam. Dans un livre à paraître prochainement, la "Djamaa" qui a assassiné Sadate et renoncé à la violence depuis quatre années, déclare que l'alliance saoudienne avec les Etats-Unis pour libérer le Koweït était légale du point de vue religieux. On se doute bien que le livre en question consacré à la bonne éducation dans l'art de la guerre n'évoquera pas le rôle de l'Arabie saoudite au Liban. Quant à notre ami Chaker Nabulci, il n'est pas près d'accorder la grâce amnistiante au Hezbollah du Cheikh Nasrallah. Malgré les insultes et les menaces, le sociologue jordanien persiste et signe : le Hezbollah entend bien fonder une république islamique au Liban à l'exemple de celle qui existe actuellement en Iran. Il l'affirme dans une chronique au titre évocateur : "Quand le mariage de jouissance entre l'Iran et le Hezbollah sera-t-il rompu ?". Répondant aux lecteurs du magazine Elaphqui lui reprochent d'être hostile au chiisme, il réplique qu'il s'en prend uniquement aux chiites duodécimains (3) qui sont au pouvoir en Iran. A coups d'arguments irréfutables, il démontre que la transformation du Liban en république islamique est bien l'objectif principal du Hezbollah. Nabulci démonte les liens qui unissent l'Iran et le Hezbollah jusque dans l'exercice du pouvoir. Il cite, entre autres, le fait que Nasrallah en soit à son troisième mandat successif et qu'il soit reconductible à son poste, comme en Iran, et comme la plupart des potentats arabes. Ce qui fait dire à notre confrère irakien Sammy Al-Buhairi qu'il faut absolument consacrer un séminaire au chiisme et décider une fois pour toutes s'ils sont des musulmans ou "refuzniks" à traiter selon la méthode d'Ibn Taymia. "Car, dit-il, je ne comprends pas qu'on puisse massacrer les chiites d'Irak en les traitant d'ennemis de Dieu et qu'on adule dans le même temps un autre chiite du Liban, Hassan Nasrallah, regardé comme l'étendard de l'Islam". On pourrait avoir une explication avec cette étude irakienne consacrée à la violence et qui a eu très peu d'échos dans la presse arabe. Cette étude tend à démontrer que le penchant des Irakiens pour la violence s'explique par l'influence du Tigre et de l'Euphrate. Les crues violentes et destructrices des deux fleuves nourriciers expliqueraient la vague de violence qui secoue actuellement l'Irak. En comparaison, note l'étude, les crues du Nil plus paisibles et plus modérées ont donné l'Egyptien actuel, pondéré et peu porté sur la violence. Avec cette théorie, ce sont donc nos torrents impétueux qui expliqueraient nos batailles fratricides. Ce que je comprends moins bien, c'est comment nous sommes parvenus au stade actuel : l'oued El-Harrach qui rythme nos élans productifs et notre pratique de l'hygiène. A. H. (1) Un débat intéressant que celui diffusé la semaine dernière par Al-Jazira sur le séminaire "Les médias arabes et la communication avec les autres". J'ai relevé certaines interventions pertinentes comme celle-ci : "Il faudrait d'abord apprendre à communiquer entre nous avant de vouloir communiquer avec les autres." Ou encore celle-là : "Ce n'est pas en ponctuant chaque prière par des anathèmes contre les Juifs et les chrétiens que nous arriverons à convaincre les autres du bien-fondé de notre cause." (2) Interrogé sur sa position à l'égard des femmes, l'humoriste misogyne avait répondu : "Les femmes, je suis contre, tout contre." (3) Le chiisme duodécimain ou "djaffari" constitue le groupe le plus important et c'est la doctrine officielle de l'Iran actuel. Cette doctrine repose sur le culte des douze imams, de Ali, le premier, à Mohamed Al Mahdi, le douzième. Ce dernier n'est pas mort mais a été occulté. Ce qui veut dire qu'il vit parmi nous (eux) mais qu'il ne peut se manifester de crainte de perdre son pouvoir.

Ahmed Alli Le soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/08/28/article.php?sid=42441&cid=8

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