lundi 8 janvier 2007

Karadhaoui bénit la chanson engagée

Ceux qui n'ont pas mis à profit l'été pour préparer le Ramadhan en seront pour leurs frais. Et ces derniers sont élevés à voir les prix des denrées alimentaires. Les commerçants pourront toujours invoquer les lois du marché qui supplantent aux étals les inquiétudes spirituelles. Ces phénomènes n'émeuvent plus outre mesure, tant ils sont devenus coutumiers. Ce serait plutôt leur disparition qui poserait problème. La tradition ne se contourne pas aussi facilement que la réglementation fiscale.Ceci dit, préparé ou non notre Ramadhan 2006 s'annonce des plus sereins puisque les sujets qui fâchent ne semblent pas devoir être invités. A propose de sujets qui fâchent, je dois préciser à quelques irascibles lecteurs de mes amis, et du reste, que je n'écris pas pour leur empoisonner la vie. Je ne mets pas en évidence des opinions minoritaires pour le simple plaisir d'essuyer leurs critiques, voire leurs anathèmes. En fait, je cite souvent des auteurs qui restent marginaux au sein de la Grande "Ouma", unie derrière la bannière de la foi une et indivisible. Je pars du principe que si les minorités ne participent pas à la conquête du monde, elles le font, du moins, avancer. Il faut donc porter sinon répandre la parole des intellectuels qui professent un point de vue minoritaire au sein de leur société. Ceci tendrait à montrer que ladite société est tolérante et a le souci de respecter la liberté d'opinion. C'est bon pour l'image de marque et ça empêche les défenseurs des droits de l'homme de nous assimiler à un canton du Darfour. Et puis, les émules de Muawiya qui sont aux affaires peuvent vous l'expliquer mieux que moi : comment démasquer un opposant intellectuel minoritaire si vous le censurez ? Halte à la censure donc au nom de salut de la communauté et de l'immuable tranquillité de ses élites dirigeantes ! C'est dans cet esprit que nos sociétés génèrent de fins limiers à dessein de relever toutes les pistes non conformes à celles de la meute officielle. Grâce aux médias, prompts à rapporter toutes atteintes à la parfaite image, nous pouvons communier dans la colère et l'indignation. Sans les médias qui ont démonté à temps les mécanismes du dernier complot papal, nous serions restés dans l'ignorance des pensées dissimulées du pape Benoît XVI. Cependant, nous disent nos guides de montagnes spirituelles, il faut surtout débusquer les adversaires les plus dangereux de nos certitudes : ceux qui vivent parmi nous ou se réclament de nous. Un de nos redoutables chasseurs de mécréants et d'apostats a réussi un exploit à la veille du Ramadhan : lire jusqu'au bout le dernier roman de l'écrivain algérien Anouar Benmalek, O Maria. Pourquoi ? Dans le seul but d'y récolter des phrases, des dialogues, des mots qui, livrés pêle-mêle, tendraient à faire passer l'auteur pour un nouveau Salman Rushdie. Le résultat de ces investigations littéraires a paru jeudi dernier à la Une du quotidien Al-Khabar. Il ressort de ce rapport inquisitorial que Anouar Benmalek aurait bafoué l'Islam sur plusieurs pages de son roman. Pour bien corser ce réquisitoire aux desseins homicides, le procureur de l'Index y a ajouté le détail de trop : Anouar Benmalek est né à Casablanca, au Maroc. Ce qui suggère, amis et ennemis lecteurs, que cet écrivain reconnu et au talent indéniable, n'est pas totalement algérien. Voilà qui dénote, avec le mépris pour nos voisins, un chauvinisme étroit que l'on ne rencontre plus que chez les mortellement patriotes bornés. Je sais que je ne suis pas dans mon créneau habituel en évoquant cet acte d'intimidation à l'encontre de notre écrivain mais il fallait que ce soit dit. Et comme nous parlons du Maroc, je ne laisserai pas passer l'occasion de vous parler des dernières frasques de Karadhaoui chez nos voisins de l'ouest. Voici les faits : la semaine dernière, le journal de la mouvance islamiste marocaine a publié une fetwa du mufti du Qatar et des provinces futures du califat. Karadhaoui qui n'est pas plus marocain que Benmalek a empiété sur le domaine réservé du Commandeur des croyants et insulté le royaume. La fetwa autorise, en effet, les Marocains à contracter des taux avec intérêts pour acheter leurs logements. Karadhaoui se base sur le fait qu'il a déjà autorisé les Marocains vivant en Europe à en faire de même. Ce qui revient à dire que les Marocains vivant au Maroc sont étrangers chez eux et que le Maroc n'est pas un Etat musulman stricto sensu. Autrement dit, le Maroc est assimilé à un pays européen et ses lois ne sont pas conformes à l'Islam. Tollé chez les autorités religieuses du pays qui considèrent que le cheikh qatari leur fait le coup du mépris. Non content de venir plastronner au Maroc l'été dernier et de donner des conseils, Karadhaoui se mêle de légiférer en leur lieu et place. Selon le quotidien koweïtien Al-Raï, même les officiels marocains auraient été offusqués par l'attitude de Karadhaoui. Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires religieuses local a affirmé que le théologien qatari "n'avait pas le droit de parler au nom de l'Islam". De telles fetwas, a-t-il ajouté, détruisent au lieu de construire et divisent au lieu d'unir" et Karadhaoui s'est placé "au-dessus de la commanderie des croyants". Réagissant à l'article, un lecteur marocain a lancé : "Pourquoi Youssef Karadhaoui ne se proclame-t-il pas khalife du Prophète Mohammed sur cette nation qui a le malheur d'être accablée par un tel ramassis d'imposteurs et d'hypocrites ?" En fait, ce qui dérange le plus les autorités marocaines, ce sont les relations que Karadhaoui entretient avec la mouvance intégriste marocaine. Le mois dernier, celle-ci a organisé une grande messe en son honneur à Meknès. Et tout ce que le Maroc comptait de barbus et de "niqabs" a afflué vers la cité rivale de Fès. Outre son discours sur le juste milieu qu'il entend faire partager aux musulmans, Karadhaoui a donné sa bénédiction à la chanson religieuse. Recevant une jeune chanteuse palestinienne, Maissa Chelch. Celle-ci chante des textes religieux en s'accompagnant à l'orgue, un instrument très islamique comme chacun sait. Après l'avoir écoutée, en même temps que l'assistance ébahie, il l'a autorisée à chanter devant les hommes et à éditer des cassettes. Il a précisé toutefois que sa bénédiction ne couvrait que le seul secteur de la "chanson engagée". Ce qui exclut de fait toutes les autres chanteuses et les expose à la colère divine, selon Karadhaoui. Aux dernières nouvelles, enfin, le cheikh qatari n'a pas eu beaucoup de succès avec son appel à une journée de colère contre le pape vendredi dernier. Mis à part l'exécution en Indonésie de citoyens chrétiens, condamnés auparavant pour apologie de la violence, il n'y a pas eu d'embrasement. Echec à Karadhaoui et échec aussi à ceux qui voulaient envoyer en prison la romancière turque, Elif Safak. Un tribunal l'a acquittée la semaine dernière du crime de dénonciation du génocide arménien. Elif Safak est minoritaire mais elle vit dans un pays contraint à la démocratie pour cause de désir d'appartenir à l'Europe. Les Turcs sont peut-être de bons musulmans mais ils sont loin d'être fous.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/09/25/article.php?sid=43660&cid=8

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui, probablement il est donc