lundi 8 janvier 2007

Le mortel bouche-à-bouche

La Grande-Bretagne se rebiffe, le communautarisme commence à lui faire peur. Ayant recréé un mini- Etat taliban au cœur de Londres, les autorités britanniques étaient habitées par un sentiment de sécurité euphorique. Aux Français, empêtrés dans la sulfureuse affaire du hidjab à l'école, les Anglais vantaient leur infaillible système de cohabitation communautaire.
Depuis les attentats de juillet 2005, dans le sanctuaire supposé du Londonistan, les données ont changé : de la complicité passive, pour ne pas dire active, avec le terrorisme, la "Perfide Albion" est passée au statut de victime. "Règlement de comptes" au Londonistan, aurait pu titrer un journal algérien excédé par l'impunité et l'asile offerts aux terroristes. Après avoir goûté à la terreur, les Anglais explorent aujourd'hui les limites de leur légendaire tolérance. C'est Jacques Straw, ministre des Relations avec le Parlement et ancien ministre des Affaires étrangères, qui a, disons, allumé la mèche dans une tribune de presse. S'exprimant jeudi dernier dans le journal de sa circonscription, le Lancashire, Jacques Straw, élu d'une région qui compte 30% de musulmans, a jeté un pavé dans la mare intégriste. Il a, en effet, suggéré aux femmes portant le niqab de se dévoiler lorsqu'elles venaient discuter avec lui, lors de ses permanences parlementaires, et en présence d'une employée féminine. "Je ne peux pas avoir un "face-à-face" avec une personne sans voir son visage", a-t-il affirmé. Et d'ajouter que le port du niqab était "une déclaration visible de séparation et de différence". Prudent comme tous les British, Jacques Straw précisait dans cette tribune qu'il s'opposait seulement au port du niqab qui empêche de voir le visage de son interlocuteur. Le lendemain, cependant, et sur les antennes de la BBC, Jacques Straw a exprimé plus qu'un vœu. Il s'est dit inquiet devant le "développement de communautés parallèles" et il a été plus direct en affirmant qu'il préférerait que les musulmanes ne portent pas le voile du tout. Selon lui, le port du voile et le développement du communautarisme dont il est des signes rendent les relations entre communautés plus difficiles. Entendez par là que la Grande-Bretagne chrétienne anglicane s'accommode mal aujourd'hui de ce voile qu'elle arborait hier comme l'étendard de la tolérance. Comme de bien entendu, les organisations musulmanes, très comme il faut puisque la plupart d'entre elles est imprégnée de wahhabisme, ont mal réagi. Dans un même élan, elles ont dénoncé l'atteinte à l'Islam et à la liberté de se voiler la face. Seul le Conseil des musulmans de Grande-Bretagne, l'une des principales organisations, a dit comprendre que "le voile crée un malaise chez les non-musulmans". Pour ajouter au malaise "intercommunautaire", Alexandre Amr Bacha, un policier britannique, né de père syrien et marié à une Libanaise, a fait sa crise de conscience cet été. En pleine guerre du Liban, il a découvert la contradiction qu'il y avait entre son serment professionnel et sa profession de foi. Membre des forces de police chargées de la protection des ambassades, Amr Bacha a invoqué des "raisons morales" pour refuser son affectation devant les locaux diplomatiques israéliens, nous apprend le quotidien londonien Al- Hayat. Ses supérieurs ont évidemment fait droit à sa demande au nom de la bonne vieille tolérance. Scotland Yard a toutefois refusé d'avaliser cette exception et a décidé d'ouvrir une enquête administrative. Un ancien chef de la police a eu ces mots très durs : "C'est la fin de la police britannique. Quand une personne quelconque s'enrôle dans la police, c'est pour être au service du peuple… et si cette personne ne peut pas accomplir son devoir, qu'elle s'en aille." Voilà qui risque de rendre encore "plus difficiles", selon les termes de Jacques Straw, les relations entre les communautés. Al-Hayat note à ce sujet que les musulmans de Grande-Bretagne expriment de plus en plus des sentiments anti-occidentaux. Cette tendance s'est accentuée après les attentats de Londres en juillet 2005 et le resserrement de la surveillance policière autour des communautés musulmanes. Selon Al-Hayat, un sondage réalisé par l'organisation PEW montre que parmi les communautés musulmanes en Europe, celle de Grande-Bretagne est la plus hostile à l'Occident. Le quotidien de Londres relate, à titre d'exemple, le refus des organisations islamiques d'assister cet été à une cérémonie commémorative de l'Holocauste. Ces organisations ont affirmé que leur refus ne signifiait pas une négation de l'Holocauste mais une volonté de cultiver le souvenir de toutes les tueries (1). Nullement convaincu par cette explication, l'un des plus populaires chroniqueurs britanniques, Martin Bright, a dénoncé l'idylle entre le gouvernement et les extrémistes islamistes. Il a notamment pointé du doigt l'influence néfaste du cheikh Karadhaoui sur les organisations islamiques. Dans cet ordre d'idées, notons cet appel au gouvernement égyptien lancé la semaine dernière par notre confrère Nabil Charef Eddine. Il demande aux autorités, dans une lettre ouverte, d'intervenir pour stopper l'expansion du port du niqab chez les élèves et les enseignantes dans les écoles. Dans ce texte intitulé "L'invasion de l'Egypte par le wahhabisme", Nabil Charef Eddine affirme d'entrée qu'il s'aventure en "terrain miné". Mais il constate que le hidjab et le niqab sont devenus la réalité quotidienne des Egyptiens, au point que celles qui ne le portent pas sont regardées avec suspicion. Elles sont considérées comme des "proies en puissance" et font souvent l'objet de questions et d'injonctions à porter le hidjab. Ces sollicitations ont lieu partout, en milieu familial, scolaire, universitaire et jusque dans les voitures de métro. Ces dernières sont le cadre le plus récent de ces incitations qui ne semblent pas émouvoir les autorités. "Je ne connais pas les raisons de ce silence des autorités, dit le journaliste, mais je pense qu'il y a trois explications : la négligence et le laxisme de l'Etat ; la complicité et un accord tacite non écrit ; la surenchère en étant plus extrémiste que les extrémistes." Le même danger extrémiste semble également guetter les sociétés wahhabites. L'hebdomadaire saoudien Al- Majala déplore cette semaine la superstition et les illusions dont se bercent aujourd'hui les sociétés du Golfe. La revue attribue la responsabilité aux dérives de la "médecine islamique" ou "roqia". Elle énumère ainsi les multiples accidents dus à cette pratique dont le plus récent a eu lieu dans une ville du sud du pays. Le "patient" d'un pratiquant de "roqia" a été étouffé par l'appareil dentaire de son praticien. Cela est arrivé lors du bouche-à-bouche que le guérisseur faisait à son malade pour en chasser le démon. Au lieu de cela, c'est la prothèse de l'exorciste qui s'est enfoncée dans la gorge du "malade" provoquant son asphyxie. Al-Majala ne méconnaît pas la réalité de cette thérapie et ses bienfaits mais elle estime qu'elle devrait être pratiquée sous surveillance et par des compétences reconnues. On enseigne bien l'"économie islamique", pourquoi pas un module de "médecine islamique". A condition de vérifier que les futurs praticiens aient toutes leurs dents. A. H.
(1) Le massacre des Arméniens n'entre sans doute pas dans cette catégorie puisque les auteurs sont musulmans. (2) Nous avons nous aussi de l'imagination puisque j'ai entendu un vendeur à la criée vanter son raisin "Koulibaly", en hommage au défenseur malien du Mouloudia qui a marqué un but d'anthologie contre l'USMA.

Ahmed Alli "Le soir d'Algérie" http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/10/09/article.php?sid=44252&cid=8

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