mardi 28 novembre 2006

Atwar l'intolérable contradiction

Atwar Bahdjat incarnait sans doute l'idéal d'un Irak démocratique. Elle était de père sunnite et de mère chiite, de quoi dissuader tout fomenteur de guerre civile si tous les Irakiens étaient comme elle. Malheureusement pour Atwar et pour l'Irak, la violence est toujours de règle pour éliminer la contradiction. Atwar incarnait cette contradiction intolérable pour les extrémistes religieux.
Avant de la tuer, les sicaires de Zarqaoui (1) et consorts ont commis un premier sacrilège contre le dôme de la mosquée Hussein-El-Hadi à Samarra. Pour bien montrer qu'ils ne connaissent ni pitié ni remords, ils se sont encore attaqués au cortège funèbre de notre consœur. On n'est pas à une offense près lorsqu'on a profané le mausolée de l'imam Hussein El-Hadi (2) Atwar n'a pas été tuée seulement parce qu'elle était journaliste. Entre son père sunnite et sa mère chiite, elle avait choisi l'Irak. Des choix pareils, ça ne se pardonne pas. A la veille des dernières élections, elle avait claqué la porte de la chaîne Al-Jazira. Elle entendait protester contre le parti-pris anti- chiite de la chaîne qatarie. Une aubaine pour la rivale Al-Arabia beaucoup moins virulente mais tout aussi efficace dans sa partie. Al-Jazira et son polémiste furieux Fayçal Al-Kassem représentent le néo-wahhabisme : deux tiers de Ben Laden, un tiers de Bachar Al-Assad. Née pour défendre le royaume saoudien, régulièrement malmené par Al- Jazira, Al-Arabia fait dans la dentelle mais on y trouve tous les ingrédients qui font le succès de la chaîne d'en face. Disons qu'entre deux maux, Atwar a choisi le moindre. Le magazine égyptien Rose-Al-Youssef n'était pas obligé de choisir mais il a pris, comme on dit, la canne par le milieu. Désireux de montrer les côtés nocifs des programmes de certaines chaînes satellitaires, l'hebdomadaire a coupé la poire en deux. Il a mis, d'un côté, les chaînes musicales et de l'autre les chaînes religieuses. Dans le premier cas, et volontiers moralisateur, le journaliste passe en revue le contenu des clips diffusés par des chaînes comme Rotana ou Melody. Il estime que les chansons proposées sont d'un niveau plus que contestable. De plus, elles ne servent, en général, qu'à mettre en valeur les formes et les appâts de la chanteuse ou de la danseuse associée au clip. Ainsi, notre confrère, a “découpé” le nouveau clip de la Libanaise Nourahane, Yalli, en deux parties. “Dans la première, dit-il, elle exhibe ses seins. Dans la seconde, ce sont ses jambes”. Ce que je confirme, avec cette réserve que sans ces deux parties, il n'y aurait pas de Nourahane. En fait, l'objectif de Rose-Al-Youssef est de dénoncer les starlettes qui font plus dans l'exhibitionnisme que dans la chanson. Et s'il cite, au passage, Marwa qui fait scandale dans les chaumières, il épargne les Haifa Wahbi, Nancy Agram ou Nawal Zoghbi qui sont assurément d'une trempe. Le deuxième sujet est beaucoup plus intéressant. Rose- Al-Youssef évoque l'apparition de nouvelles chaînes religieuses comme Khair, Ennadjah, Affassi. Il observe que ces chaînes proclament toutes qu'elles sont là pour répandre les idées d'un islam authentique. Néanmoins, note-t- il, la majorité des animateurs de ces chaînes appartiennent au courant fondamentaliste. Ce sont les mêmes prêcheurs extrémistes dont les cassettes et les CD se retrouvent sur les marchés à des prix dérisoires. Parmi ces chaînes, l'hebdomadaire cairote cite le cas de Khaïr qui diffuse les prêches d'un enfant de six ans, baptisé “Musulman heureux”. Les prêches appellent invariablement les musulmans à s'accrocher à leur religion. Sans oublier, note Rose-Al-Youssef les prêches en faveur de la circoncision des filles et les attaques contre Al-Azhar qui autorise les Egyptiens à ne pas le faire. Le prêcheur de six ans reproche à Al-Azhar de mener la religion à la perdition en emboîtant le pas à l'Occident dans son rejet de la circoncision des filles. Ces prêches passent en boucle et à la fin de chacun d'eux, l'enfant n'oublie pas de remercier son maître et professeur, Mohsen Mohamed Hassan. Ce prêcheur koweïtien fondamentaliste est aussi l'une des “stars” de Khair. Les cassettes de cet enfant qu'exploite la chaîne se vendent aujourd'hui à trois livres devant les mosquées. Il est évident, souligne le journal, que les dirigeants de la chaîne ont le sens du commerce et qu'ils exploitent la veine à fond. C'est ce qu'ils ont fait en appelant les téléspectateurs à s'exprimer par SMS dans l'affaire des caricatures (3). La chaîne Ennadjah rivalise avec la précédente pour faire vibrer la fibre religieuse. Sa devise est : “Le changement commence ici”. Elle mise également sur les mêmes animateurs comme le sus-nommé Mohamed Hassan et l'omniprésent Zaghloul Nedjar. Ce dernier, je vous le rappelle, se prétend astrophysicien et fait prendre des vessies pour des lanternes à tous les gogos arabes. Il est l'un des tenants de la théorie selon laquelle les grandes découvertes scientifiques sont dans le Coran. Ce qui laisserait entendre que les Occidentaux savent lire le Coran mieux que nous. Rose-Al-Youssef se demande, enfin, si les objectifs de ces chaînes sont commerciaux ou religieux. “Si les objectifs de ces chaînes sont purement religieux, comment sont-elles financées alors ? Qui sont les financiers et quelles sont leurs motivations?” En ce qui concerne les financiers, inutile de chercher bien loin. La caisse se trouve du côté des chaînes musicales. La main droite peut lancer le clip de Marwa pendant que la main gauche donne le la au cheikh Soudaissi. Les investisseurs arabes ne mettent pas leurs œufs dans le même panier. Aux uns, ils parlent des problèmes d'ici-bas, aux autres ils proposent un avant-goût des délices à venir. Quant aux actrices et autres starlettes qui font actuellement scandale, je ne m’inquiète pas pour leur avenir. Lorsqu'elles seront techniquement amorties, et donc inexploitables, elles changeront de chaînes. Après avoir proclamé leur victoire sur le diable et leur repentir, elles se reconvertiront dans le prêche, accompagnées de leurs enfants de moins de six ans. Elles passeront ainsi du satanisme à l'angélisme de façade sans changer d'employeur. Dieu est clément et miséricordieux, les Arabes versatiles et oublieux. A. H.


(1) Zarkaoui cible particulièrement la communauté chiite sur tous les lieux de ses rassemblements. Il s'attaque également aux policiers qui sont en majorité chiites. Il tue beaucoup moins de soldats américains, sans doute parce qu'ils ne sont pas chiites.
(2) Je n'ai pas entendu beaucoup de protestations sunnites lors de la destruction du dôme.
(3) On voit souvent défiler le fameux “Alayha nahia, alayha namout”. On l'entend aussi de la Bastille à la salle Harcha. De sa prison, Benhadj obscurcit encore le monde. Des imams imitent son accoutrement et jusqu'à ses poils de barbe et ses quintes de toux.


Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/02/27/article.php?sid=34944&cid=8

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