jeudi 30 novembre 2006

Les minarets réduits au numérique

J’ai appris incidemment la semaine dernière qu’un parti politique islamiste allait déposer un projet de loi favorisant la liberté de la presse. Effectivement, certains journaux ont confirmé la nouvelle. Le parti du MSP-Hamas, qui se dit démocratique, imperméable à la corruption (1), tolérant et tout et tout, s’est pris à aimer les journalistes.

Ce parti de la coalition gouvernementale veut faire voter à l’APN un texte proscrivant la prison pour les journalistes. Mais comme nous sommes au pays des ventes concomitantes et que ces gens-là avancent toujours masqués. L'astuce, cousue de fil blanc, consiste à unir dans un même package les journalistes et les imams. Prêches virulents et éditos au vitriol seront désormais traités sur un pied d'égalité. Journalistes et imams, unis dans un même combat pour la liberté d'expression. Il n'y a qu'en Algérie que de telles associations sont envisageables. Pourquoi pas, me suis-je dit, nous avons bien été unis aux traducteurs et aux interprètes au temps du parti unique (2). Un syndicat regroupant des journalistes et des imams n'est pas une idée aussi absurde. Elle aurait l'avantage d'empêcher les imams d'excommunier les journalistes. Ces derniers, à leur tour, écouteraient sans broncher les imams glorifiant la bombe atomique iranienne et annonçant la chute d'Israël. C'est dans l'air du temps (3) et ça permet d'être bien vu. Il faut juste prendre en considération le fait qu'il ne s'agit pas juste d'interdire la prison aux journalistes mais d'assurer l'impunité aux imams. C'est la première conclusion s'agissant d'un parti lorgnant les mosquées avec le même appétit que le FIS à la veille des législatives de 1991.

La deuxième conclusion s'énonce d'elle-même quand on évoque l'attitude actuelle de la mouvance islamiste à l'égard de la presse dans certains pays arabes comme le Bahreïn. Dans cet émirat très riche et aussi très libéral, par endroits, la liberté de la presse est sérieusement contestée. Cible principale des attaques islamistes, le quotidien Al Ayam peine à susciter autour de lui l'élan de solidarité qu'on voit en Europe, en de semblables circonstances. Al Ayam n'est pourtant pas un journal laïc prônant la séparation du religieux et du politique. Il proclame à tout bout de colonne son attachement aux traditions religieuses et à la famille régnante. Dans ce cadre assez étriqué, Al Ayam s'efforce de s'ouvrir à la raison et à l'esprit critique, version wahhabisme réformé. Voici ce qu'il dit à propos de ce qu'il appelle la crise du hidjab : “C'est une nouvelle crise qui s'ajoute à notre longue chaîne de crises. Nous la gérons, soit comme une boule de feu qui mord et brûle ceux qui l'approchent, soit comme une boule de neige. Nous poussons celle-ci et elle grandit, au fur et à mesure, jusqu'à constituer un mur de glace infranchissable. Ce mur nous empêche de choisir un autre chemin et de voir que le hidjab est un choix personnel et non pas un ensemble de commandements assortis de mesures coercitives. Nous découvrons alors que nous sommes face à des chaînes d'interdits qui sont des verrous non seulement pour les femmes mais pour toute la société, désormais soumise à des règles dictées par un hidjab mental. C'est ce hidjab mental qui a imposé son rideau de fer à certains esprits qui ont inventé des hidjabs innombrables à la société.” Enchaînant sur la “loi sur la pudeur”, votée par le Parlement bahreïni, Al Ayamajoute : “Ce sont ces esprits qui ont fabriqué la crise du hidjab et pour finir la crise de la pudeur, les vêtements pudiques et la loi sur la pudeur. La loi la plus étonnante et la plus étrange qui soit dans le monde. La loi sur la pudeur est, en définitive, partie intégrante de la loi du plus fort imposée au plus faible, sans autre souci de savoir si le plus fort est un savant ou un ignorant.” De tels propos ont de quoi susciter l'ire islamiste mais il faut surtout considérer la dénonciation par Al Ayam de certains actes de corruption impliquant des partis religieux. La Tribune nationale islamique, branche bahreïnie du mouvement des Frères musulmans, est le principal instigateur de cette campagne, relayée par certaines mosquées. Elle rappelle les philippiques du FIS contre les journalistes, suivies d'assassinats de membres de la corporation.
L'objectif est le même : réduire au silence les adversaires potentiels, que ce soit par l'intimidation ou par l'élimination physique. Un autre mouvement Al Assala (l'authenticité) s'est joint à la campagne mais semblait, ces derniers temps, effrayé par l'enjeu. Il a désavoué un de ses responsables, auteur de propos incendiaires contre la presse en général et contre le quotidien Al Ayam, en particulier.


Le débat sur le hidjab, relancé par les récentes fetwas de Hassan Tourabi, est analysé sous un autre angle par notre confrère Nabil Charef Eddine du magazine Elaph. Le journaliste égyptien raconte le cas d'une consoeur qui s'est convertie au hidjab. Sans s'appesantir sur les motivations de la journaliste Cherry, jeune femme ouverte et sans complexes, il raconte surtout sa transformation. “Ce qui est frappant, dit-il, c'est le changement profond intervenu chez Cherry. Elle est devenue plus maussade et moins heureuse de vivre. Le pire c'est qu'elle s'est mise à faire sienne la "théorie du complot" à tout bout de champ. Elle est ainsi convaincue, sans supporter la moindre contradiction, que ce sont les Juifs qui ont commis les attentats du 11 septembre. Ce sont eux aussi qui sont derrière les explosions du Sinaï, de Londres et de Madrid et ils sont probablement responsables du trou dans la couche d'ozone.” Comme quoi, la passerelle entre un journaliste et un imam n'est pas si difficile à établir dans ces sphères idéologiques et culturelles. Une très bonne nouvelle, en revanche, pour les habitants du Caire : dans un an ou deux, ils seront réveillés au petit matin par un seul appel à la prière. Comme les muezzins ne peuvent pas régler leurs montres pour lancer leur adhan à une heure précise, il a fallu recourir à la technologie. Après une période d'essai raisonnable qui sera mise à profit pour réduire les réticences, Le Caire se mettra au minaret unique. Un appel préenregistré, et un seul, sera diffusé à l'heure dite pour tous les habitants de la capitale égyptienne. Comme les Egyptiens ont du goût, les plus belles voix de muezzins seront sélectionnées pour éveiller les Cairotes sans les faire sursauter et sans écorcher leurs oreilles. Un unique appel, prodigué par une voix unique et agréable à entendre, surtout. Les voix de crécelles ne seront plus admises et les quintes de toux prohibées. La révolution numérique aura finalement raison de la discordance des minarets. Le Caire va faire ses adieux à la cacophonie engendrée par des milliers d'appels étalés parfois sur dix à quinze minutes. Vous réalisez, amis algérois, ce que cette initiative représente pour vous. Si tout se passe bien, et comme nous sommes les suivants de ceux qui suivent, il y a de fortes chances pour que vos aurores soient plus gaies. Pour cela, il faut évidemment que l’affaire mette moins de temps à aboutir que celle du métro d’Alger, comparée à la même réalisation au Caire (4). La chance est encore avec nous puisque nous ne sommes pas obligés d’avoir un prix Nobel de littérature. A. H.


(1) Si c'est une façon de nous dire qu'ils viennent d'une autre planète, nous les croyons volontiers.

(2) A l'époque, j'avais timidement suggéré que les journalistes soient associés aux sourds et muets au sein d'une même organisation. (3) C'est aussi dans l'air du temps que certains clips musicaux, disons provocants, disparaissent au profit de resucées de champs religieux comme Talaa al badrou alayna. (4) Si mes souvenirs sont bons, le premier métro du Caire a été ouvert en 1987.


Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/05/08/article.php?sid=38058&cid=8

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