mardi 28 novembre 2006

Boycottons la France

Comment ne pas voir dans cette indignation populaire arabe si tardive qu'elle est le résultat d'une manipulation classique des foules. Les caricatures offensantes envers l'Islam ont été publiées, pour la première fois, il y a plus de quatre mois. Depuis, il y a eu beaucoup d'occasions de donner libre cours à la fureur populaire.Les Saoudiens, d'abord, nos maîtres à penser, qui ont observé le silence avant de sonner le rassemblement des colères. Ils avaient deux occasions rêvées pour donner de la voix : le sommet des pays islamiques organisé chez eux et le pèlerinage traditionnel à La Mecque. Rien ! Peut-être que nos grands frères saoudiens avaient la tête ailleurs, qu'en cette période de fin d'année, le Danemark avait encore quelques charmes. On peut voir aussi dans cette indignation programmée le résultat de la conjoncture politique : la victoire du Hamas palestinien et les rodomontades du président iranien. Quoi qu'il en soit, les tenants de l'islam politique ont encore exploité à fond le filon sous la houlette saoudienne. De tous les pays musulmans, ont jailli les anathèmes et les incantations, avec les débordements d'usage.


Les offensés se sont fait offenseurs, selon les degrés de sincérité et de colère. Des prêcheurs se sont laissés emporter jusqu'à lancer des formules insultantes, s'en prenant aux mœurs et aux traditions du peuple danois. Le guide spirituel des Arabes au Qatar ; cheikh Karadhawi, a pris la tête de ce que l'universitaire tunisienne Raja Benslama a appelé la “croisade à rebours”. Encore une fois, le ressort unanimiste et irrationnel de la “Oumma” agressée a joué à fond. Curieusement, la tonalité discordante est venue des cadres de l'islam politique. Tarik Ramadhan, l'islamiste bon chic bon genre tel qu'il s'est imposé en Europe, a soigné son image : il a estimé que les réactions arabes et musulmanes aux caricatures danoises étaient “exagérées”. Il a appelé à un débat serein et rationnel et il a condamné les appels au boycott et au meurtre. Tarik Ramadhan s'est également interrogé sur les ressorts politiques de ces réactions qui interviennent avec trois mois de retard. Il s'est également déclaré inquiet devant “la dangereuse polarisation qui commence à s'imposer et qui encourage l'extrémisme des deux côtés”. Plus directe, la Tunisienne Raja Benslama trouve ces réactions “caricaturales”. “Imaginez, dit-elle, des cohortes de combattants armées de pied en cap, mobilisées et galvanisées par des slogans religieux pour se battre contre un moustique. Avec la conviction que ce moustique est un facteur de destruction massive pour leur pays et qu'il viole leurs sanctuaires et leurs croyances”. “Nous voulons prouver chaque jour au monde que l'Islam n'a rien à voir avec le terrorisme et avec les terroristes, souligne Raja Benslama. Que les terroristes qui épouvantent des innocents partout n'ont rien à voir avec l'Islam. Nous voulons montrer que l'Islam est une religion d'amour et de tolérance. Au lieu de cela, nous fournissons tous les jours la preuve que l'Islam que nous voulons et que nous défendons est celui qui pousse à la confrontation avec autrui. Qui mène à une croisade à rebours, vers une voie étroite et au repli sur soi théologique”. “Est-ce que les caricatures causent vraiment un préjudice à l'Islam? interroge Raja Benslama. Est-ce que le nombre des musulmans a diminué, est-ce que les musulmans ont quitté l'Islam en masse après la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie? Et avant, est-ce que l'Islam s'est effondré à cause des écrits des hétérodoxes et des œuvres poétiques satiriques et suspicieuses de Abu Nawas, Omar Khayam et Al- Maari ? “Nous sommes en droit de formuler des doutes sur la foi de ces gens qui poussent des cris de colère. Si le croyant a la foi chevillée au corps, il n'a cure de l'opinion des autres concernant ses convictions religieuses. Ensuite, que reste-t-il à Dieu si les croyants s'érigent en juges sur la terre avant le Jugement dernier ? poursuit Raja Benslama. Si les musulmans croyants respectent l'interdiction de reproduire l'image des prophètes et des compagnons, pourquoi veulent-ils imposer cette interdiction aux autres ? A ceux qui se sont opposés au pouvoir des religieux durant des siècles pour conquérir la liberté d'opinion et de croyance”.


Dans le même ordre d'idées, le sociologue jordanien Chaker Naboulci pense lui aussi que les caricatures danoises ne sont qu'un prétexte. “C'est le fétu de paille qui a brisé le dos du chameau, comme on dit, écrit-il dans le quotidien koweïtien Al-Siassa. La position occidentale à l'égard du nucléaire iranien, de la victoire du Hamas, du désarmement du Hezbollah et de l'ensemble de la crise du monde arabe. C'est tout cela qui a fait exploser cette “odyssée” caricaturale. La preuve est que ces caricatures ont été publiées en septembre dernier, soit depuis cinq mois, sans que personne en entende parler”. Chaker Naboulci cite lui aussi l'exemple des Versets sataniques de Salman Rushdie “qui ont eu un plus grand retentissement et causé plus de torts à l'Islam et à son Noble Prophète que ces caricatures. A tel point que Khomeini, à l'exception des autres théologiens de l'Islam, avait préconisé son assassinat en 1989. Ceci avait eu lieu aussi dans une conjoncture internationale, relativement à l'Iran, à peu près identique à ce qu'elle est maintenant. La fetwa de Khomeini avait fait des Versets sataniques le roman le plus célèbre du monde à l'époque. Des millions d'exemplaires avaient été vendus alors que les éditeurs appréhendaient des pertes au préalable. Car le roman était une œuvre aussi débile qu'insipide au plan littéraire, le plus mauvais roman écrit par Rushdie. De la même manière, note Chaker Naboulci, Karadhawi et un groupe de théologiens, le comportement de la rue arabe et des officiels qui ont rappelé leurs ambassadeurs au Danemark, tous ont contribué à propager ces caricatures dans le monde entier. Ils ont également raffermi la volonté des journalistes et écrivains étrangers de publier des livres et des études sur ces mêmes caricatures à l'avenir”. L'Egyptien Khaled Mountassar souligne de son côté, dans le magazine Elaph, que “le sous développement des musulmans est la plus offense infligée au Prophète”. Le journaliste note que “même si tous les journaux du monde se liguaient contre le Prophète, ils ne pourraient pas altérer son image”. Il rappelle que cet Occident décrié aujourd'hui a donné naissance à Tolstoï qui a glorifié le Prophète. Il cite aussi les élégies poétiques de Goethe, le jugement de Bernard Shaw ou encore celui de Michael Hart considérant que c'était la personnalité la plus influente au monde. Notre confrère considère aussi que “certains hadiths sont plus offensants pour le Prophète que les caricatures danoises. Pour lui restituer sa vraie image, il faut commencer par expurger les compilations de “Hadiths” et les livres de théologie de toutes les fables et les superstitions qui y persistent”. Il termine par ce conseil : “Si vous voulez vraiment venger le Prophète, commencez par produire vos aliments et fabriquer ce dont vous avez besoin. Ensuite, boycottez qui vous voudrez.” Puisqu'il est question de priver nos enfants de “Kinder” en boycottant le Danemark, à défaut de boycotter l'indignation sélective, pourquoi s'arrêter là ? Boycottons la France ! Que tous nos libérateurs et leur descendance qui ont la double nationalité brûlent leurs papiers français place du 1er-Mai ! Boycottons les hôpitaux français, les avions français. Boycottons France Soir qui n'est pas distribué en Algérie ! Comme le propriétaire de ce journal est égyptien, boycottons aussi l'Egypte. Et puis, tant qu'à faire, boycottons aussi la Ligue arabe puisqu'elle siège au Caire. Ce serait là, mes chers amis, le commencement de la sagesse.A. H.
Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/02/06/article.php?sid=34070&cid=8

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