jeudi 30 novembre 2006

Le liban aux deux visages

Le Liban est un Etat multiconfessionnel. Hormis l'état civil et la pratique religieuse, rien ne distinguait un Libanais chrétien d'un Libanais musulman, un sunnite d'un chiite. Le Liban était un vivier d'hommes de culture, comparé aux autres pays arabes. Les libertés individuelles, en particulier la liberté d'expression, n'étaient pas remises en cause au nom de la foi.

Le Liban vivait en paix jusqu'à ce que ses voisins arabes en décident autrement. Les Arabes sont comme ça: ils ne tolèrent pas que le voisin ou le parent festoie pendant qu'ils font carême. La solidarité arabe, c'est d'abord l'obligation de partager le malheur, en attendant un bonheur mythique. Le Liban était un pays de liberté avant que l'alliance de Téhéran et du "Mal de Damas" ne l'attaquent de l'intérieur. Au nom de la lutte contre Israël, le Hezbollah pro iranien et les agents syriens ont décrété le pays territoire conquis. Ils l'ont proclamé zone de guerre et en état d'urgence. Jusqu'ici, la liberté d'expression était tolérée à condition de ne pas trop répéter que : - Le Liban est un pays souverain occupé militairement et civilement par la Syrie. - Le Hezbollah est le cheval de Troie des mollahs iraniens au Liban. En échange, les journaux étaient libres d'écrire des pamphlets contre Assad. Il n'en a rien à cirer: le peuple est avec lui et il appartient à une minorité musulmane nourrie au despotisme "halal" (1). Les télévisions, elles, avaient toute latitude de diffuser des clips libertins et des "Stars académies" qui choquent les malveillants et libidineux vieillards voisins. Elles avaient accessoirement le droit de brocarder les hommes politiques locaux. C'est un peu ce que faisait la chaîne LBC (Lebanese Broadcasting Corporation). Dirigée par le maronite Pierre Daher, LBC est considérée comme une chaîne chrétienne, bien qu'elle ne dispense pas des cours de catéchisme. En revanche, elle exploite habilement le filon des Talk-shows et des émissions de jeu à succès. C'est ainsi que LBC a popularisé "Star Académy" que tous les Arabes (sauf quelques irréductibles comme les Algériens) suivent dans le secret de leurs alcôves. Pour ne rien gâter, la chaîne chrétienne est propriété à cinquante pour cent du Prince Walid Ben Talal. Comme quoi, point de contrainte en affaires pour cause de religion. Et c'est là qu'intervient l'ayatollah Nasrallah, chef suprême du Hezbollah, parti chiite qui a supplanté le mouvement Amal de Nabih Berri, trop embourgeoisé, dans les escarmouches sporadiques contre Israël. Nasrallah, c'est l'idole d'une jeunesse chiite qui explose là où elle peut. Il galvanise et il manipule les foules à sa guise, aidé en cela par une voix de stentor. Sur ce chapitre, et comparé à lui, notre Ali Benhadj ferait figure de capé d'une école de castrats. Ne pouvant le diviniser comme le fût Néron, pour raisons religieuses, les admirateurs de Nasrallah lui ont érigé un piédestal intermédiaire (Bayn al manzilataïne). Ne pouvant le traiter comme prophète, ils ont décrété comme le fit le poète pour le maître d'école, qu'il en avait la stature. La semaine dernière, une émission de la LBC a donc osé caricaturer le vénéré et infaillible chef du Hezbollah. Le résultat: vous l'avez vu sur tous les écrans. Contrairement aux manifestations anti-danoises, les fidèles de Nasrallah ont réagi avec une singulière promptitude pour venger l'offense. Des émeutiers déchaînés ont tout saccagé sur leur passage à Beyrouth. Ils ont tabassé deux ou trois chrétiens, dont le fils de l'ancien président Gemayel et ont failli brûler une église. Bien sûr, le chef est apparu sur sa télévision "Al- Manar" pour dire à ses ouailles:"Maintenant que vous avez extériorisé votre légitime colère, rentrez chez vous!". La démonstration de force était ample et suffisante. Avec contrition, la direction de la LBC a présenté ses excuses à Nasrallah et a juré de ne plus recommencer. Quant à une réaction de solidarité des chaînes, propriété du Prince Walid, ou des autres chaînes arabes, inutile d'épuiser les piles de vos télécommandes (2). C'est ainsi que ce vendredi 2 juin 2006, un nouvel attentat a été commis contre la liberté de la presse au Liban. C'est ce qui arrive quand des extrémistes chiites comme Nasrallah entrent dans l'arène politique tout en revendiquant l'immunité (Isma) due aux prophètes. Nasrallah, c'est le visage repoussant et inquiétant et là un des visages hideux de l'intégrisme chiite. En voici un autre qui impose respect et considération. C'est en quelque sorte l'anti-Nasrallah. Hani Fahs est membre du Haut conseil islamique chiite au Liban. Il a milité dans la résistance palestinienne et a vécu en Iran au début de la révolution khoméiniste. Universaliste, il a découvert le nationalisme iranien, ce qui l'a ramené vers ses racines et sa citoyenneté libanaises. Hani Fahs était l'invité, vendredi dernier, de l'émission de Turki Dakhil "Idha'ate" (Eclairages) sur la chaîne "Al-Arabia". Dans cette interview repiquée sur "Al-Arabia-Net", Hani Fahs expose ses idées sur ce Liban pluraliste et démocratique auxquels aspirent les Libanais. Il rappelle sa fameuse réplique selon laquelle "Un Liban sans les chrétiens est un Liban insipide. Il milite pour la présence des Maronites dans l'exercice du pouvoir. Et c'est ce Liban là, dit-il, que réclament aussi bien le cœur que la raison. C'est la société, avec ses intellectuels et ses penseurs, qui instaurent les règles d'une vie commune. L'Etat est là pour renforcer ces règles en se renforçant d'autant et il s'affaiblit en les affaiblissant. Evoquant les rapports entre l'Etat et la religion, Hani Fahs, homme de religion, refuse de se dire laïc mais il prône la distinction entre le politique et le religieux. Il refuse de mélanger Etat et religion. "L'Etat a sa place et la religion a la sienne. Ils ont chacun des champs de connaissance et d'action différents et complémentaires. Je ne veux pas que l'Etat produise de la religion et que la religion produise de l'Etat". Hani Fahs proclame son attachement à la liberté. "Je veux la liberté, répète-t-il, et la liberté n'est pas un danger pour la religion". A son interlocuteur qui objecte qu'il y a des libertés qui peuvent être importées, il réplique:"La liberté ne vient pas de l'étranger. La liberté n'est pas un virus importé de l'étranger. La liberté est une aspiration intrinsèque. J'ai besoin de liberté, je dois donc la pratiquer". Hani Fahs se prononce également pour l'allégeance à la patrie et non pas à la communauté religieuse. Interrogé, de ce fait, sur la situation en Irak, il estime que c'est la négligence des Arabes qui renforce l'influence iranienne dans ce pays. Au reproche qui lui est fait de prêcher la modération aux chiites des Emirats qui réclament plus de droits politiques, il répond:"Je préfère l'assurance d'exister que les avantages superflus de l'existence". En attendant, c'est Nasrallah qui remplit les stades et les places publiques où Hani Fahs n'a aucune chance d'être entendu. On peut se consoler en pensant qu'une poignée d'abeilles vaut mieux qu'un plein sac de mouches mais l'avantage reste toujours aux plus nombreux sous le ciel de Nasrallah. A. H.

(1) A propos de Alaouites, j'ai été surpris de voir l'un des théologiens attitrés de Assad, Ramadhan Al-Bouti, mobilisé avec Karadhawi pour défendre "l'Islam en danger en Kabylie"(sic). Avec de tels procédés, la Kabylie risque d'accepter en dix ans ce qu'elle a refusé en cent trente ans.

(2) On ne dira jamais assez le mal que fait TPS aux Algériens désireux d'échapper aux chaînes de l'ennui et de la torpeur. TPS, allié providentiel de l'insipide et du morbide et, surtout, TPS fossoyeur de la francophonie en Algérie. Amen !

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/06/05/article.php?sid=39319&cid=8

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