jeudi 30 novembre 2006

Et si on en embrassait le oua-oua !

L'ambiance est au football. Nous ne sommes pas à la Coupe du monde mais tout le monde parle de nous à cause de "Cheikh Salah". Heureusement, le bon vieux réflexe romain a joué : "Panem et circenses". Du pain et des jeux ! Certes, le pain est un peu rassis, en plus d'une tendance à l'anémie qui ne doit rien à un virus étrange mais nous avons les jeux du stade (1), comme jadis les Romains avaient ceux du cirque. Le parallèle est aussi limpide qu'une passe de Zidane et il n'aura pas échappé à nos clairvoyants dirigeants.
Le temps restant quand même à l'orage, j'ai résolu de vous divertir plutôt que d'assombrir votre lundi avec des problèmes trop sérieux. Sérieux, les Koweïtiens ne le sont pas. Je veux parler de la male engeance du Koweït. Ces messieurs daignent relâcher, enfin, leur emprise sur les femmes. Ils leur accordent le droit de voter et d'être éligibles et le monde entier applaudit cette avancée spectaculaire dans un pays stagnant (2). Toutefois, et à deux semaines des législatives, les Koweïtiens se demandent si les Koweïtiennes ne vont pas, contrairement à eux, prendre leurs bulletins de vote au sérieux. Alors, ils leur cherchent des poux sous le hidjab. Ils ont pour cela un grand expert en la personne de Mohamed Ettatabaï (3), doyen de la faculté de théologie à Koweit City et grossiste en fetwas. La semaine dernière, il en a lancé une sur le marché qui a suscité autant d'engouement masculin que les cartes ART de tonton Salah. La fetwa, citée par Echarq-al-Awsat, proclame que "le vote de la femme mariée doit être conforme au choix de son mari même si son intention était de voter pour un candidat rejeté par son époux. Si ce dernier brandit la menace de la répudiation, celle-ci devient effective au cas où la femme voterait pour un candidat non agréé par son mari. Ceci, même si la désobéissance a été commise en secret (4) et n'a pas été portée à la connaissance du conjoint". Réagissant à ce texte, pour le moins alambiqué, la candidate Aïcha Errachid a dénoncé "cette ingérence flagrante et ce sabotage du libre choix des femmes par l'intimidation et l'incitation à s'abstenir de voter". Suivant la théorie de contre-feux, le "Cheikh" (!!) Ettatabaï a tempéré progressivement ses propos. Sans doute instruit par ceux qui lui versent ses salaires, il a affirmé qu'un mari n'avait pas le droit d'influencer le vote de sa femme. Un revirement explicable de la part d'un membre éminent de la communauté des théologiens de cours. On appréciera, pourtant, sur le registre du regard sur les femmes, la réaction de l'obédience chiite par la voix de Mohamed Baker Al-Mehri. Ce dernier considère, au départ, que la fetwa du doyen de la faculté de théologie "n'est pas conforme à l'esprit et à la lettre de l'Islam". Il dénie donc aux maris chiites (minoritaires hors foyer) du Koweït le droit de décider du vote de leurs femmes. Cependant, il croit devoir rappeler aux épouses, tentées de pavoiser, certaines réalités, à savoir : "L'Islam confère à l'homme certains droits sur son épouse, comme le droit de jouissance, l'obligation pour l'épouse de suivre son mari dans ses déplacements. Le mari peut également ne pas autoriser sa femme à sortir." L'interdiction de sortir sera-t-elle applicable le jour du vote ? La réponse est, bien entendu, laissée à l'appréciation du mari. Le terrain de la réconciliation est ainsi ouvert à tous les sunnites et chiites, misogynes ou presque. Dans un tel climat, on comprendra pourquoi l'écrivain libéral koweïtien n'est pas pressé de rentrer chez lui et préfère couler des "jours tranquilles" à Beyrouth. C'est le titre de sa chronique que publiait hier le quotidien Al-Siassa. Ahmed Baghdadi raconte la ville et ses dangers, celui des voitures et des engins piégés et la mort présente partout. Tout ceci pour conclure finalement qu'il y a un plus grand drame que la mort et c'est celui de la dignité outragée, la sienne en l'occurrence. C'est pour cela qu'il avoue se sentir beaucoup plus en sécurité à Beyrouth qu'au Koweït, son pays. Le Koweït où une condamnation pénale l'oblige à respecter la morale et l'ordre publics. En clair, il doit surveiller ses paroles et ses écrits jusqu'en 2008 sous peine d'aller en prison. Au Koweït, deux délinquants ont été récemment condamnés à la même peine mais pour une période moins longue, note amèrement Ahmed Baghdadi. Apparemment, notre ami koweïtien n'a pas entendu le fracas d'une autre guerre qui se livre actuellement à Beyrouth. Cette guerre est celle du "oua oua" et, contrairement à ce qu'elle suggère, la race canine n'y (5) est pas impliquée. Cette guerre sans victimes oppose une obscure chanteuse, Dominque Hourani, à son altesse sérénissime Haïfa Wahbi. La première reproche à la seconde de lui avoir volé "sa" chanson. Le "oua oua" appartient à tout le monde, a répliqué Haïfa Wahbi. Or, c'est cette dernière qui fait fureur actuellement avec son clip Bous el oua oua ( Embrasse le oua oua). J'ai écrit à plusieurs journaux libanais pour avoir la signification du mot "oua oua" mais c'est finalement sur un chat français que je l'ai trouvée. Merci à cette internaute libanaise pour avoir éclairé nos lanternes ! Le "oua oua", donc, c'est le mot enfantin pour dire la blessure, le "bobo". C'est là l'explication de la présence du petit enfant dans le clip de Haïfa qui incite à embrasser aussi bien l'écorchure au genou que la blessure du cœur. Dans la foulée, une poétesse libanaise s'est lancée dans la bagarre. Elle prétend elle aussi que le "oua oua" est un poème qu'elle a composé et déposé à l'office des droits d'auteur. Ce qui n'est pas très flatteur, vu que les paroles de la chanson servent juste de fond sonore aux évolutions de la fascinante Haïfa. C'est sans doute pour cette seule raison que des internautes tirent à boulets rouges sur la chanteuse et sur son clip. Le plus hypocrite est sans doute celui qui invoque la protection de l'enfance pour s'en prendre à Haïfa Wahbi. Il se dit même prêt à prendre la place du bébé mis en scène dans le clip. A la queue comme tout le monde ! Juste retour de manivelle, la guerre de Beyrouth s'est transposée en Syrie. Dans une grande avenue de Damas, la diffusion par hauts-parleurs de la chanson de Haïfa a provoqué un embouteillage monstre. Tous les automobilistes se sont arrêtés et sont descendus de voiture pour se trémousser au son de Bous el oua oua. Même le policier qui réglait la circulation s'est pris au jeu. Comme toujours, il s'est trouvé des grincheux pour crier au scandale. Et si on se mettait tous à embrasser le "oua oua" cet été? Nous avons de sérieuses raisons de le faire, non? A. H.


(1) J'ai finalement acheté cette maudite carte mais je me sens grugé.

(2) Un pays émergeant, c'est un pays qui peut sortir la tête hors de l'eau, de temps en temps, pour respirer. Le Koweït n'en est pas un malgré ses richesses, tous les autres aussi.

(3) L'ENTV ne l’a pas encore invité sur son plateau? Comme c'est curieux!

(4) Pauvres Koweïtiennes ! Dans le secret de l'isoloir, elles ont le choix entre le mensonge qui peut mener à l'enfer et la répudiation si elles disent la vérité à leurs maris. Ce sont des initiatives comme celles-ci qui provoquent une forte abstention féminine. (5) Juste pour expliquer à un certain confrère que même si le "Y" est l'avant dernière lettre de l'alphabet et qu'il faille l'utiliser de temps à autre par esprit de charité, il ne faut pas le faire n'importe comment.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/06/12/article.php?sid=39652&cid=8

Aucun commentaire: