jeudi 30 novembre 2006

Le Caire comme vous y serez

Des coiffeurs qui vous massacrent les cheveux jusqu’à les faire dresser en épi, ça existe. Il y a aussi des coiffeurs qui tiennent un état détaillé des mouvements plus ou moins licites du quartier. Des coiffeurs qui savent tout sur les mésaventures conjugales de l’imam du quartier, il y en a encore partout.

J’ai une certaine tendresse envers les coiffeurs, surtout depuis qu’ils se font trancher la gorge à Baghdad pour des histoires de cheveux coupés en quatre. Mais des coiffeurs tueurs à gages par conviction religieuse? C’est la preuve que tout peut arriver en… Egypte. C’est l’histoire de Ashraf Abderrahim Mohamed, coiffeur de profession et pratiquant inspiré. Il a été arrêté la semaine dernière devant un théâtre du Caire où se produisait le grand comédien Adel Imam. Au moment de son arrestation, il a affirmé qu’il était venu pour convaincre Adel Imam de revenir sur le droit chemin. Ashraf possédait, en effet, les ustensiles de la rédemption, en l’occurrence des opuscules religieux et des flacons d’acide sulfurique en guise d’eau bénite. A croire que l’alchimie des deux vous fait retrouver la voie du salut. Très vite l’enquête a montré que le coiffeur avait programmé trois autres cibles artistiques, en plus de Adel Imam. Il s’agit de Fifi Abdou, Shirine Seif Ennasr et Medhat Salah. Les victimes désignées devaient être seulement vaporisées à l’acide, ce qui a sans doute requis la qualification professionnelle du coiffeur.


Une faveur que la toujours belle Fifi Abdou aura sans doute appréciée. Fifi Abdou, ai-je besoin de le rappeler, est la danseuse par excellence. Il n’y a que Shakira qui peut rivaliser avec elle mais dans un tout autre registre. Fifi Abdou, qui a alimenté les rêves libidineux de deux générations d’émirs milliardaires, devait être la première, et pour cause. Comment Ashraf Abderrahim Mohamed est devenu un exécuteur stipendié de l’ardente foi ? Par la voie la plus sinueuse, celle qui vous échange un fauteuil de coiffeur contre une chaire de mosquée. Très inspiré, Ashraf a d’abord troqué sa condition contre celle de prédicateur et d’Imam (1). Il a ensuite rencontré un ancien fonctionnaire de l’Etat qui a complété sa formation "religieuse". Le théoricien l'aborde convaincu que l'art, sous toutes ses formes, était "haram". Il fallait donc recourir à la force pour redresser le tort que ces artistes causaient à la société. Le cerveau du complot avait promis à Ashraf 50.000 livres égyptiennes (6700 euros environ) pour chacune des cibles vitriolées. D'après le plan arrêté, Ashraf ne devait pas agir seul mais servir de comparse à un autre homme de main. Il avait touché 10.000 livres égyptiennes à titre d'avance pour l'attentat contre Fifi Abdou (2) et encaisser le reste de la somme après. Pour l'attentat projeté contre Fifi Abdou, notre coiffeur- imam avait la charge de conduire une moto avec l'exécutant principal comme passager. Ce dernier devait se déguiser en femme camouflée derrière un niqab et son conducteur habillé en policier. Une fois leur forfait accompli, ils auraient pris la fuite en moto puis en voiture.


Il semble, d'ailleurs, que ces projets d'attentat contre les artistes ont eu des retombées jusqu'au Liban. La chanteuse suave Haïfa Wahbi annonce au quotidien de Londres Al-Quds que son avenir est sous le hidjab. Classée par un magazine américain parmi les quatrevingt- dix plus belles femmes du monde, Haïfa déclare que ses déhanchements lascifs ne l'empêchent pas d'avoir des convictions religieuses. En foi de quoi, elle décrète qu'elle se mettra au hidjab incessamment sous peu, sans précision de date ou de… comptes en banques. Dans cette affaire, on sait ce que perdra le public masculin de Haïfa mais il faudra surtout évaluer les avantages qu'en tirera la religion. En attendant, la "trahison" de la vénus du Liban ne va pas améliorer le regard des Arabes sur le corps, en général et sur celui des femmes, en particulier. Notre confrère égyptien Khaled Mountassar se fait l'écho du curieux débat qui agite actuellement les écoles des beaux arts à propos des statues et des peintures de nus (3). Observateur lucide et acerbe de sa société, Khaled Mountassar se demande si la campagne contre la statuaire et certaines formes de peinture ne vont pas faire disparaître des pans entiers des beaux arts. Dans la foulée, il voit s'imposer à la longue une vision du monde imposée par Ben Laden. Celle qui divise le monde en deux camps, celui des croyants, le sien, et celui des athées, l'Occident en particulier. Khaled Mountassar cite le cas paradoxal de ce grand peintre égyptien dont la plupart des œuvres sont rejetées par les religieux et qui tient le même discours qu'eux à la télévision. Il dénonce, en particulier, ce délire narcissique qui consiste à dénier à l'Occident tout apport à la culture universelle. Parlant de ce peintre, Khaled Mountassar se dit abasourdi par les propos surréalistes qu'il tient sur l'Internet, considéré comme une invention diabolique de l'Occident (4). Pour mieux illustrer la démonstration, notre confrère cite un lecteur du Caire qui décrit l'état de régression auquel est parvenue la société égyptienne. Je vous en livre l'essentiel: "Les musulmans, rue Aziz Billah dans le quartier Zeïtoun, aujourd'hui, boivent de l'urine de chameau. Des cheikhs de la mosquée Aziz-Billah font de la réclame pour un Hadith selon lequel le Prophète recommandait aux musulmans de boire le lait et l'urine des chameaux. Des vendeurs s'installent dans la rue à même le sol et des passants leur achètent du lait et de l'urine mélangés pour traiter l'impuissance, l'hépatite C et l'ulcère d'estomac. Les prix atteignent jusqu'à 17 livres le flacon d'un litre de lait et l'urine est gratuite!!! Je vous invite Dr Khaled à visiter cette rue car j'ai de la peine à décrire cette catastrophe. Le lieu ressemble à un rassemblement de tribus des siècles passés. Tous les commerces se sont transformés en locaux où se vendent des cassettes extrémistes, des livres wahhabites, des niqab et des gants, etc. Tous les prêches de la mosquée sont des imprécations contre l'Occident chrétien et contre toutes les communautés musulmanes à l'exception de celle promise au salut. De gigantesques hauts-parleurs ont fait de la rue un enfer et le cheikh affirme que les femmes ont une intelligence réduite afin qu'elle soit en harmonie avec celle de leurs enfants. Je crains que la mosquée ne proclame un jour sa sécession avec l'Egypte. C'est l'anarchie au nom de la religion. Je laisse le soin de juger au ministre des Affaires religieuses et au ministre de la Santé." Fin de la missive. Est-il besoin d'ajouter que tout ceci se passe dans les quartiers du Caire et que toute ressemblance avec des scènes et des discours similaires ne peut être que le simple fait du hasard? Je confirme: c'est tout à fait par hasard que j'ai lu les articles cités. A. H.

(1) Pour les procédures de conquête des mosquées, évitez l’amateurisme et les charges d’éléphant du FIS. Privilégiez plutôt la démarche la plus efficace en entrant au gouvernement. Ensuite, il suffit de quelques coups de fil.

(2) D'aucuns trouveront que la somme promise est dérisoire pour une femme qui se vantait récemment d'être l'une des plus grosses contribuables de l'Egypte.

(3) Heureusement que nos Beaux-Arts à nous sont plus libéraux. Y sont seulement proscrits les baisers furtifs entre élèves de sexes opposés et la contestation. (4) Il faut être débile pour traiter d'invention diabolique l'arme principale de l'intégrisme.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/05/15/article.php?sid=38370&cid=8

Aucun commentaire: