mercredi 29 novembre 2006

Hassan Tourabi, le champion des femmes

Pauvre Hassan Tourabi ! Il a incarné pendant des décennies l'islamisme pur et dur. Tous les excités du monde, les apprentis prophètes de quartier ne juraient que par lui. Avec son ex-compère Omar Al-Bachir, il a veillé à l'application de la «Charia», c'est-à-dire son aspect pénal et répressif. En somme, de quoi réussir une bonne carrière de porteflamme (qui ne se brûle jamais) de l'islam politique.

Hassan Tourabi avait les avantages de vedette de Ben Laden, dont il a été l'ami et le confident, sans avoir les Américains aux trousses ; si tant est qu'ils lui courent toujours après. Dans ce soudan où tout peut arriver, décidément, Hassan Tourabi a soudain rompu son silence pour secouer le cocotier et réveiller ses compagnons qui somnolaient sous ses branches. Qu'a-t-il fait pour faire sursauter un gotha islamiste en phase d'éveil, selon les théoriciens du déclin des civilisations ? Quand vous vous posez des questions sur l'origine de la fureur des théologiens décatis, ne vous cassez plus la tête, cherchez la femme ! Non, Tourabi n'a pas épousé Fella (1) ni donné sa bénédiction au mariage «Missiar», comme les théologiens saoudiens. Il a voulu simplement jouer les réformistes religieux dans un monde musulman où la réforme consiste à faire machine arrière. Lors d'une conférence organisée la semaine dernière à Khartoum, Tourabi a surpris son auditoire et l'aréopage des «savants» de l'Islam. Il a légitimé le mariage d'une femme musulmane avec un chrétien ou un juif. L'affirmation selon laquelle ce genre de mariage est un péché n'est que «paroles en l'air, idioties, illusions et tromperies», a-t-il affirmé devant un auditoire médusé. Ceux qui propagent de telles insanités ont pour seul objectif de ramener la femme en arrière, a-t-il asséné. Prenant à contre-courant les pratiques et les us vestimentaires imposés par le wahhabisme au reste du monde arabe et musulman, Tourabi a encore évoqué la question du hidjab. Selon lui, le hidjab est un élément vestimentaire, destiné à cacher la poitrine. «Le hidjab signifie le cloître et il a été imposé aux femmes du Prophète afin qu'elles ne soient pas vues par ses nombreux visiteurs», a-t-il souligné. Il a aussi critiqué l'obligation du tuteur pour une femme contractant mariage ainsi que la règle proclamant que deux témoignages féminins égalent un témoignage masculin. «La femme doit être l'égale de l'homme», a-t-il proclamé. Reprenant à son compte l'opinion de penseurs comme Mohamed Sobhi Mansour ou Djamel Al-Bana, le dirigeant soudanais a soutenu le droit de la femme à diriger la prière collective. «Si elle possède des compétences supérieures à celles de l'homme.» Ajoutons que cette conférence était organisée par le parti Al-Ouma de Hassan Tourabi. Elle a porté sur le «renforcement du rôle de la femme dans la fondation d'un pouvoir éclairé». Les journaux arabes ne précisent pas si des islamistes algériens étaient invités à cette conférence. Si c'est le cas, nos «représentants » n'en sont pas encore revenus.

Comme il l'a sans doute prévu, Hassan Tourabi a suscité des réactions indignées de la part de l'establishment wahhabite. Au Soudan même, Mohamed Abdelkrim, membre du conseil des théologiens soudanais, a traité Tourabi d'apostat. Il a annoncé mardi dernier qu'il avait intenté une action en justice contre Hassan Tourabi. Vendredi dernier, Youcef Karadhawi, envoyé spécial de la chaîne Al Jazira au Caire, a déclaré comme nulle la fetwa de Tourabi autorisant le mariage d'une musulmane avec un non-musulman. Le «cheikh» a noté qu'il ne fallait pas remettre en cause une interdiction vieille de quatorze siècles (!!!). Au passage, Karadhawi était au Caire pour y installer la section égyptienne de l'association internationale des théologiens musulmans dont il est le dirigeant suprême (2). C'est lors de cette installation qu'il a fustigé les propos de Hassan Tourabi qui créent une véritable lézarde dans la muraille islamiste. C'était en réponse aux interpellations d'une partie de l'assistance masculine composée, en majorité, de professeurs et d'étudiants azharis. Bien entendu, l'assemblée masculine, outrée par les nouvelles tendances féministes de Tourabi, n'a pas pipé mot au sujet de la dernière sortie des théologiens saoudites. En effet, le conseil théologique saoudien a adopté mercredi dernier une série de dispositions sur le mariage. Celles-ci légalisent désormais le mariage dit «zawadj al-missiar » (mariage-visite de courte durée), appelé aussi «zawadjal- mourour» (mariage-passager). Le «missiar», je vous en ai déjà parlé. Le mari est, en quelques sorte, visiteur chez son épouse ou au domicile de ses parents. Les Saoudiens ont introduit une distinction avec deux contrats différents : le premier implique que la femme se désiste de son droit au logement et à l'entretien. C'est elle qui reçoit le mari à son domicile où il peut la «visiter» à toute heure du jour ou de la nuit. Dans l'innovation saoudienne qui n'est pas «bidaâ» (hérésie) loin s'en faut, le contrat change. Il autorise l'heureux époux à «visiter» sa dulcinée au domicile de ses parents ou à la «rencontrer» en tout autre lieu. La seule surprise vient du fait que les théologiens saoudiens ont formellement interdit le traditionnel mariage «mutaâ», ou de jouissance, en usage chez les chiites. Ce qui est compréhensible dans le climat actuel des relations entre sunnites et chiites. Beaucoup moins de bruit et de fureur, là encore, pour les attaques contre les églises coptes à Alexandrie. Il est vrai que la version officielle a de quoi laisser pantois. La première réaction des autorités égyptiennes a été d'attribuer les attaques contre les quatre églises à Boumaârafi. Non ! Je délire. Il s'agit d'un déséquilibré mental qui aurait attaqué les quatre lieux de culte. De la vraie comédie surréaliste. Imaginez Ravaillac (3) se réveillant un matin, pris de fureur homicide, couvant de surcroît un don d'ubiquité et planifiant, de ce fait, quatre attaques simultanées en quatre endroits différents. La hiérarchie copte a donc protesté contre cette version absurde qui dédouane l'extrémisme islamiste, seul vrai responsable des attentats contre les coptes. Les coptes ne croient pas une seconde que les autorités égyptiennes puissent aller jusqu'à considérer les illuminés intégristes comme des déséquilibrés mentaux. Le problème est que le gouvernement d'Egypte ne veut pas ou ne peut pas contraindre la mouvance intégriste à renoncer à la violence. Ce gouvernement n'a même pas réagi lorsqu'un dirigeant des Frères musulmans a lancé son fameux «toz» à l'Egypte. Ce qui est une façon de briser son lien de citoyenneté avec un pays et de proclamer son allégeance au califat islamique mondial en construction. A. H.

(1) C'est juste une clause de style. Fella est trop belle et trop talentueuse pour être associée à un vieux bonze. Mais son prochain mariage fait l'actualité. L'élu de son cour est Omar Bachir, compositeur et luthiste irakien de renommée internationale. Il n'est autre que le frère du défunt et génial luthiste Mounir Bachir avec qui il a fait ses premiers pas dans la musique. Pour voir une Fella rayonnante de bonheur, voici la bonne adresse : http://www.elaph.com/Elaph Web/Music/2006/4/141905.htm

(2) Karadhawi prochain «pape» de l'Islam ? Pourquoi pas ? Dans un monde arabe en plein marasme spirituel et intellectuel, il ne manque qu'un «pape» de ce calibre pour précipiter la déconfiture.

(3) Ravaillac est le déséquilibré mental qui a assassiné Henri IV, premier roi protestant de France. C'est du moins l'histoire qui le dit.

Le soir d'Algérie http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/04/17/article.php?sid=37145&cid=8

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