mercredi 29 novembre 2006

A la tienne ma patrie

L'un s'en est allé, l'autre est revenu. Le départ de l'un a suivi de près le retour de l'autre. Mohamed Al-Maghout, poète et dramaturge syrien nous a quittés lundi dernier. Il s'est éteint dans sa retraite de Damas où il vivait en reclus, se déplaçant en fauteuil roulant ou à l'aide d'une canne.
Sans doute en raison de sa maladie et de son infirmité, il recevait rarement des journalistes ou encore quelques amis. Dans la Syrie des Assad, on ne garde pas beaucoup d'amis lorsqu'on est Maghout et qu'on a connu l'exil et la prison. Le poète qui est mort à 72 ans a surtout connu la notoriété dans le monde arabe grâce à ses pièces de théâtre et à ses scénarios relayés par la télévision. L'acteur et réalisateur syrien Doreïd Laham a transposé au cinéma deux de ses œuvres, Al- Houdoud (Les frontières) et Al- Taqrir (Le rapport). Toutefois, c'est incontestablement sa pièce Kassek ya watani (A la tienne, ma patrie!) qui est l'œuvre maîtresse de l'auteur aux yeux du monde arabe (1). Maintes fois jouée mais jamais éditée, la pièce écrite après la défaite (ou le revers) de 1967 était un pamphlet virulent contre les régimes et les divisions arabes. Lorsqu'elle a été présentée pour la première fois à Damas, dans les années soixante-dix, c'était en présence de Hafedh Al-Assad lui-même. Le dictateur ne devait pas se sentir trop concerné par les critiques virulentes contre l'inertie du monde arabe. Il estimait sans doute avoir apporté sa contribution à la libération de la Palestine en perdant le Golan et une partie notable de son armée. C'est d'ailleurs la lecture que suggérait fort habilement Mohamed Al-Maghout et c'est cette lecture qui justifiait, en partie, la présence de Hafedh Al-Assad à l'avant première. Toujours est-il qu'à la fin de la pièce, Assad est monté sur les planches pour féliciter Doreïd Laham et les autres interprètes. Le voyant venir vers lui pour le féliciter, Doreïd a tendu vers Assad ses deux bras, poignets en avant comme pour les offrir aux menottes. A ce moment-là, Al-Maghout était rentré en grâce et le président Assad lui avait promis de le laisser écrire tout ce qu'il voulait. "Mohamed Al-Maghout avait fraternisé avec la pauvreté et le dénuement. Il s'était résigné à l'errance et avait transformé son exil de Beyrouth en patrie aimée et itinérante(…). Il a pardonné à ses amis et à la faiblesse humaine partout dans le monde. Mais il n'a pas pardonné au destructeur qui a bafoué sa dignité, il n'a pas pardonné au geôlier. Il n'a pas pardonné à l'homme qui jette les poètes en prison comme on jette les chats affamés par la fenêtre (…). Il a transformé son emprisonnement en poèmes mais il n'a pas oublié l'humiliation. Il a toujours poursuivi son geôlier jusqu'à la mort. C'est ce policier qui l'a poussé à dire: "Un jour, je trahirai ma patrie." C'est l'écrivain et journaliste Samir Attalah qui rend cet hommage à Mohamed Al-Maghout dans le quotidien Al-Charq-Al- Awsat. Samir Attalah avait côtoyé le poète dans les colonnes du prestigieux et défunt hebdomadaire Al- Moustaqbal. Al-Maghout y écrivait une chronique sous l'intitulé Alice au pays des merveilles, satire sociale et politique savoureuse que seul Al-Moustaqbal (2) pouvait publier. Pour ne pas être en reste, l'autre quotidien saoudien de Londres Al-Hayat a publié une interview du poète, recueillie quelques jours avant sa mort. Il y parle de sa poésie qualifiée communément de "poésie de la tristesse" et qu'il résumait par ce credo: "Je suis un rideau sur le portail du chagrin." C'est sans doute l'influence de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud qu'il dit avoir lus dans des traductions arabes. Al-Maghout confirme dans cette interview post mortem qu'il ne connaît pas une seule langue étrangère. "D'ailleurs, je suis plutôt flemmard, je ne lis pas beaucoup". A propos de son impotence, il dit qu'il a "toujours maltraité son corps et que celui-ci se venge bien aujourd'hui". Lucide, il s'adapte à son fauteuil roulant et va même jusqu'à lui trouver des avantages. Ainsi, lorsqu'on l'interroge sur l'hymne national, il souligne qu'il ne l'a jamais écouté jusqu'au bout. "Ce qu'il y a de bien avec un fauteuil roulant, c'est qu'au moment de l'exécution de l'hymne national, les autres se mettent debout alors que moi je reste assis". Patriote sans l'être mortellement, Mohamed Al-Maghout avoue avoir été choqué par la défaite de 1967. "Je n'ai pas versé une seule larme après la défaite mais je pleure en écoutant une chanson de Abdelhalim Hafez ou Nadjat Essaghira". Chez Nizar Qabani, il aime le poète des élégies amoureuses, mais il n'apprécie pas les vers politiques. "Je suis un poète de résistance, mais je ne suis pas un poète des tribunes qui crie et vocifère. La poésie, c'est la résistance". Parlant de Gamal Abdenasser, il raconte qu'un jour une revue littéraire lui avait demandé d'écrire un article élogieux sur le président égyptien." J'ai refusé parce que je n'aimais pas Gamal Abdenasser. J'étais contre l'union égypto-syrienne qui a été une catastrophe pour nous. Je n'ai aimé Nasser qu'après sa mort. Lorsqu'il était vivant, j'ai écrit des articles contre lui dans Essada al-arabi (Liban)". Sur la censure, il affirme qu'il l'a toujours affrontée. "Aujourd'hui, le censeur est en moi", avoue-t-il. Vient alors la question que tout le monde pose aujourd'hui : "Etes-vous croyant ?". Al- Maghout répond (3) : "Bien sûr, je suis très croyant, mais je ne fais pas la prière. Je n'aime pas les rituels. Il me suffit d'écrire." Et il ajoute:" J'ai trois constantes: la liberté, le pain, l'amour." Interrogé enfin sur le temps qui passe, le poète lâche, désabusé: "Laissez-le passer et s'en aller tout seul." Le revenant de la semaine dernière, c'est l'historien égyptien Sayed Qimni. Après plus de neuf mois d'une gestation silencieuse, il s'est remis à l'écriture avec un texte critique à l'égard des "Frères musulmans". On se souvient que Sayed Qimni avait décidé de renoncer à écrire, que ce soit en Histoire ou en politique. Il avait reçu des menaces d'un groupe islamiste qui le sommait, sous peine de mort, de se repentir et de cesser d'écrire. La décision de Qimni d'obtempérer aux injonctions intégristes avait divisé les intellectuels arabes. Le voilà revenu avec la volonté déclarée d'apporter la contradiction aux tenants de l'Islam politique. Sayed Qimni, pour rappel, a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire de l'Islam et des conquêtes musulmanes. Dans cette contribution publiée par Middle East Transparency, Sayed Qimni évoque le nouveau langage des "Frères musulmans". Il leur dénie, en particulier, le droit de s'exprimer au nom de la société civile qu'ils ont toujours combattue et accusé d'apostasie. A moins, note-t-il, que les "Frères musulmans" aient décidé de donner à la société civile une définition autre que sa définition universelle. Rappelant les multiples trahisons et volte-face du mouvement intégriste, l'historien promet de répliquer du tac au tac à leurs mensonges et à leurs arguments de propagande. Ce qui nous promet de chaudes empoignades en perspective. A. H.

(1) Légèrement réactualisée, cette pièce pourrait servir aujourd'hui d'épitaphe au sommet de Khartoum. Si un lecteur possède un enregistrement de cette pièce, je serais heureux de la revoir.

(2) Dans les années soixantedix, Al-Moustaqbal était la revue phare du monde arabe. Son directeur Nabil Khoury n'hésitait pas à monter au créneau, notamment contre Khaddafi. Ce dernier affirmait qu'un bon Arabe ne pouvait être que Musulman.

(3) Dans un tout autre contexte, l'universitaire Ali Bencheneb, recteur de l'académie de Reims, avait répondu à la même question : "ça ne vous regarde pas." Il est vrai que cela se passait en France. (4) http://www.metransparent. com/texts/sayyed_qimni_ brotherhood_in_democracy.h tm

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/04/10/article.php?sid=36832&cid=8

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