mardi 28 novembre 2006

La voie béante des urnes

Charité bien ordonnée commençant par soi-même, permettez-moi de donner la priorité à l’aînée de mes préoccupations : la santé de Souad Nasr. Les nouvelles sont rassurantes. Figurez-vous que l’actrice égyptienne, plongée dans le coma depuis plusieurs semaines, revient peu à peu. Elle a bougé les yeux et les mains et a reconnu sa fille Yasmine et une actrice de ses amies, les seules personnes admises à son chevet. Souad Nasr devait subir une liposuccion en décembre dernier pour se débarrasser d’un excédent de graisse.Elle était tombée dans le coma au cours de l’anesthésie préparatoire à l’intervention. Les amis de Souad, appartenant essentiellement au monde du cinéma, se sont constitués en comité de défense. Ils ont décidé d’attaquer en justice et l’hôpital et le mari, accusés de négligence. Le mari, ou l'ex, qui l’avait répudiée pour cause de surcharge pondérale, se défend en accusant. Selon lui, les soi-disant amis de Souad n’agissent ainsi que pour se faire de la publicité au détriment de l’actrice. On se souvient que Souad Nasr avait décidé, après son dernier feuilleton, d’abandonner le cinéma et de porter le hidjab. Les voies de la “repentance” ne respectant pas nécessairement la ligne de sveltesse, Souad avait pris du poids. Un peu trop, avait estimé le mari qui a eu recours à l'arme fatale. La formule de la répudiation utilisée trois fois contre Souad l'a menée sur ce lit d'hôpital. Alors, qui est donc coupable dans ce drame ? Ce n'est pas moi, dit le mari répudiant. En fait, le cinéma en Egypte est de plus en plus regardé comme un objet de dépravation, un péché conduisant à l'enfer.



L'islamisation massive de la société fait apparaître de nouveaux critères culturels et, surtout, de nouveaux censeurs. Des feuilletons comme La famille de Hadj Metwelli incarnent ce nouvel art de vivre islamiste. Ce feuilleton tend à accréditer l'alliance de l'argent (le commerce) et de la polygamie comme archétype d'une vie terrestre bien remplie. En revanche, toute œuvre cinématographique au contenu critique est soumise aux attaques virulentes des gardiens autoproclamés de la morale islamique. Le réalisateur Khaled Youssef que les Algériens ont découvert la semaine dernière est la dernière de leurs cibles pour son film Widja. Auparavant, nous dit Mohamed Abderrahmane du magazine Elaph, un court métrage l’Ascenseur avait essuyé les feux de la critique islamiste. Il montrait une jeune fille en hidjab bloquée dans un ascenseur et retirant sa coiffe pour parler, sur son portable, à un inconnu qui avait formé son numéro par erreur. Une fois l'ascenseur débloqué et arrivé au rez-de-chaussée, la jeune fille met fin à la conversation et remet son hidjab. Pour les censeurs, toute personne portant le hidjab incarne la pureté originelle. Toute scène montrant une femme ôtant son hidjab ne peut donc qu'être inspirée par le diable. “Aujourd'hui, souligne Ossam Zakaria, critique de cinéma, le hidjab harcèle la création en Egypte. En fait, vous pouvez montrer une femme en train de mettre un hidjab pour voler ou tuer mais pas pour aller voir un homme. Ce qui est en cause, c'est le statut de la femme dans la société.” “Il est vrai, ajoute-t-il, que les théologiens d'Al-Azhar ne sont pas aussi extrémistes que le mouvement Takfir oual Hidjra, que les Frères musulmans, ce n'est pas Al-Qaïda mais ils partagent tous la même conviction : l'art ne doit être qu'un travail d'orientation dont les femmes doivent être exclues. Les femmes sont l'ennemi principal dans le discours religieux. Certes, il y a des degrés dans le rigorisme mais ce sont les mêmes idées qui apparaissent lorsqu'il s'agit de cinéma. On peut remarquer que toutes les formes d'opposition visent la femme, considérée comme le démon suprême par les extrémistes.”



En parlant d'extrémisme, vous avez sans doute appris l'autre bonne nouvelle de la semaine, celle qui tient en haleine tous les médias du monde. Comme je soutiens depuis toujours la cause palestinienne, bien avant l'apparition miraculeuse du Hamas, je me dois de vous livrer mon opinion. De jeunes militants du Hamas ramenant sans ménagement le drapeau palestinien et le remplaçant par l’étendard du mouvement intégriste. C’est la seule image que j’ai retenue parmi le flot déversé par les chaînes satellitaires. Exit la Palestine ! Voici l’Etat Hamas ou, si vous êtes optimistes, l’Etat islamique de Palestine. On savait quel drapeau avait la préférence du Hamas, on sait maintenant sous quelle enseigne la Palestine devrait être gouvernée. Il n’y a rien à dire : la direction discréditée du Fatah historique a tout fait pour amener les islamistes au pouvoir. On ne peut alors s’empêcher de faire un parallèle entre cet évènement et ce qui s’est passé il y a quinze ans chez nous. Les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets : on a donc eu un scénario expérimenté à Alger et réalisé avec le succès que l’on sait à Ramallah. D’un côté, un pouvoir corrompu s’appuyant sur un parti sclérosé ; d’un autre, un mouvement intégriste mobilisant des masses désespérées prêtes à s’en remettre à la volonté divine. C’est cette volonté que le Hamas, et avant lui le FIS, avait et a la prétention d’incarner. C’est par procuration divine implicite que les Frères musulmans d’Egypte et leurs satellites maghrébins revendiquent le pouvoir. Ne parlons pas des nouveaux intégristes alaouites de Damas qui osent regarder Dieu en face après lui avoir tourné le dos durant des décennies. A Ghaza, comme à Alger, les spécialistes des sondages ont encore foiré. Naturellement, si le rêve d'une Palestine laïque et démocratique (ne serait-ce que pour George Habbache) paraît s'estomper, il n'y a pas lieu de dramatiser la situation. “Koléa n'est pas tombée”, pour reprendre l'expression en vogue chez nous. Il semble, en effet, que la direction du Fatah ait fait un cadeau empoisonné au Hamas. Notre confrère Abderrahmane Errached croit voir dans cette victoire un retour à la case départ. Il estime dans le quotidien Al-Charq-Al-Awsat que la Palestine est revenue au début des années quatre-vingt. Lorsque les Occidentaux demandaient au mouvement Fatah de reconnaître Israël et de renoncer à la violence. “Le Hamas, aujourd'hui, c'est le Fatah des années soixante-dix, affirme-t-il. En réalité, jamais le Hamas n'aurait participé aux élections et remporté la victoire sans les pressions occidentales, note encore le journaliste. Les irréductibles du Fatah n'auraient jamais renoncé à leurs positions ni songé à les mettre en jeu sans ces pressions. Sans les Occidentaux, il n'y aurait eu d'autre choix pour le Hamas que de demeurer un mouvement populaire ou de prendre le pouvoir par la force. Ce qui aurait été une gageure face à la force du Fatah qui contrôle toutes les forces de sécurité palestiniennes. Sans compter les Israéliens qui combattent le Hamas.” Moralité que ne propose pas notre confrère : la voie des urnes peut mener à la disparition de ces mêmes urnes. Le Hamas ne le promet pas encore mais c'est inscrit dans son programme: il faut juste savoir lire entre les lignes islamistes. Est-ce à dire qu'un Hamas algérien est prêt à nous refaire le coup de l'Etat islamique ? C'est très possible. Voici, entre autres, les titres que proposait la semaine dernière un hebdomadaire arabophone à succès : “Ce qu'il y a derrière la mort”, “Un mort détournait la tête et l'enfonçait dans la terre chaque fois que le fossoyeur tentait d'orienter cette tête vers la Qibla”, “Une femme sans hidjab (moutabaridja) meurt, son corps se met à noircir au point de provoquer la panique et la fuite de ses proches”. Si vous avez encore des doutes, regardez donc et écoutez les gens autour de vous. Le Hamas est parmi nous : il a juste choisi deux ou trois pseudos pour donner le change.A. H.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/01/30/article.php?sid=33774&cid=8

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