mercredi 29 novembre 2006

Ces femmes qui osent encore

Il faudra bientôt faire un sort à l'idée répandue selon laquelle les Arabes agissent sans réfléchir. Les derniers évènements tendent à démentir la réputation d'impulsivité que les intéressés eux-mêmes s'acharnaient à entretenir. Prenez le sommet de Khartoum ! Plus de la moitié des chefs d'Etat et de souverains ont pris le temps de la réflexion avant de se précipiter au Soudan. Après quoi, ils ont choisi de s'abstenir.Résultat : un sommet écourté d'une journée au lieu des deux jours initialement programmés. Un sommet pour rien, dites-vous ? Ce n'est pas si évident.


L'Arabie saoudite a déjà refusé d'organiser le prochain. Ils ne veulent pas courir le risque de voir débarquer l'encombrant Kadhafi et de voir ces assises tourner au dialogue à trois. Je vous laisse à vos supputations concernant l'identité du troisième. On peut dire, néanmoins, que les seuls qui prennent au sérieux la Ligue arabe, ce sont encore ceux qu'elle rétribue. Quant aux autres, ceux qui pensent trop ou qui cherchent à comprendre, comme le disaient nos libérateurs en 1962, ils s'attendent au pire, résignés ou non. La réaction la plus significative à la pantalonnade de Khartoum est celle du quotidien libanais Al-Nahar. Tirant le bilan de ces assises, le journal tire à boulets rouges sur les chefs d'Etat, donneurs de leçons. L'éditorialiste cible en particulier deux pays, le Soudan et l'Algérie. Il reproche aux présidents de ces deux pays leurs sermons nationalistes aux Libanais. A en croire le journal de Beyrouth, ces "conseils" se résumeraient à ceci : cesser de réclamer le départ du président Lahoud et la dissolution du Hezbollah. Or, il est de notoriété publique que Lahoud est l'homme des Syriens et que le Hezbollah est l'allié de Damas. Le Hezbollah et Bachar Al-Assad n'ont pas encore libéré la Palestine mais ils bloquent toute ouverture démocratique au nom de la lutte contre Israël. En fait, si les Libanais veulent se débarrasser de l'emprise de Damas et des milices du Hezbollah, ils devront attendre que ces derniers aient libéré tout le monde arabe, en attendant mieux. S'adressant à Bouteflika, Al-Nahar s'interroge : "Quand le président algérien tiendra-t-il les promesses qu'on lui prête de soutenir le Liban et le Hezbollah avec les millions de dollars de surplus des recettes pétrolières ? Quand enverra-t-il un armement lourd pour contribuer à la bataille pour la libération de la plaine de Shaba ?". Quant à Omar Al-Bachir, le président soudanais, Al-Nahar lui suggère de mettre fin aux tueries du Darfour avant de donner des conseils de nationalisme. En fait, ce que suggère le quotidien libanais en filigrane, c'est que les régimes arabes ne sont pas près d'accepter un Liban démocratique et, surtout, multiconfessionnel. Ce qu'ils veulent, c'est un Liban vitrine d'un monde arabe tel qu'il est réellement et non pas tel qu'il devrait être. Or, le Liban tel qu'il se veut, avec ses éditeurs, ses télévisions et ses journaux libres est tout sauf l'image d'un monde arabe de plus replié sur lui-même. Elles sont de plus en plus rares les voix qui parviennent encore à se faire entendre de ce ghetto culturel et spirituel.


L'une d'elles est Taëf Al- Halladj, auteur d'un roman introuvable dans les librairies mais disponible à l'achat sur Internet, Al-Qirane al mouqadas ( L'union sacrée) (1). Ce roman, étiqueté comme libertin, narre la vie et les malheurs d'une jeune Saoudienne Leïla. Devenue veuve après seulement une année de mariage, elle erre de ville en ville et d'aventure en aventure. Selon le résumé disponible sur le Web, on la voit, notamment, aller à la rencontre d'une tenancière de maison de plaisirs. Et tout le monde sait que ces lieux de débauche n'existent pas dans les sociétés parfaites que sont les sociétés musulmanes. C'est cette hypocrisie que démonte, entre autres, ce livre paru depuis sept mois. Comme pour les caricatures, il a fallu donner du temps à la réflexion et au touillage. Ce n'est que la semaine dernière que le quotidien saoudien Al-Watan s'est intéressé à ce livre. Il le fallait bien, l'auteur, qui se cache, et pour cause, sous le pseudonyme de Taëf Al-Halladj, met à mal beaucoup de poncifs sur la société saoudienne. L'intérêt de l'article est qu'il révèle encore une fois la permanence de la chaîne du silence qui unit les velléités et les lâchetés intellectuelles arabes. Ce n'est qu'en réponse aux questions du quotidien saoudien que la maison d'édition égyptienne "Dar Layla" a courageusement démenti avoir publié ce roman. C'est pourtant son estampille qui figure sur le livre mis en vente sur le Web plusieurs semaines. Après ce démenti indigné, l'éditeur égyptien a affirmé qu'il allait attaquer en justice les auteurs de ce brûlot. Encore faut-il les trouver. Le seul à avoir apporté un semblant de réponse, c'est l'homme qui commercialise l'ouvrage, un Syrien établi à Bahrein. Tout ce qu'il a pu dire c'est que Taëf Al-Halladj est le pseudonyme d'une jeune femme de la bonne société saoudienne qui vit aux Etats-Unis.(2) En décembre dernier, une romancière, Raja Al-Sanii, saoudienne elle aussi, a provoqué la sensation avec son roman Banat Ryadh (Les filles de Riyad). Il a certes provoqué l'ire des bien-pensants et des théologiens mais c'est surtout à cause de son titre. Il renvoie, en effet, à la capitale de l'Arabie saoudite avec tous ses ors et ses cloîtres. Il n'y a pas de filles à Riyad, vous pensez bien. Cependant, un autre roman a fait plus de bruit. Ce roman, toujours saoudien et signé de son vrai auteur, Badria Al- Bachr, aurait été aperçu un temps sur les étals de certaines de nos librairies. Il s'agit de Zineb wal Askar" ( Zineb et les Militaires) qui relate la vie quotidienne d'une jeune fille de bonne famille. Il est sorti en janvier dernier. J'ai relevé sur le journal en ligne "Middle East Transparency " (http://www.metransparent.co m/) ce passage évocateur et truculent concernant une proche de la narratrice : "Mawdhi a des nerfs d'acier que je n'ai pas (…)Il fallait qu'elle introduise chez elle l'homme qu'elle aimait. Elle lui a demandé de mettre un "khimar" et une "abaya" noire et de faire comme s'il était une amie venue lui rendre visite. L'homme qu'elle aime est venu frapper à sa porte après avoir été accompagné par l'homme que j'aime. Sur la dernière marche de l'escalier menant à sa chambre, il a failli se prendre les pieds dans sa "abaya", tellement il était pressé d'arriver. Mawdhi a éclaté de rire et, d'en bas, sa mère lui a demandé ce qui se passait. Elle a répondu : "Rien du tout, maman, c'est ma copine qui a failli tomber." L'homme qu'elle aime s'est mis à l'aise et s'est allongé sur le lit. Il lui a demandé du thé. Comme la bonne ne répondait pas sur l'interphone, elle est descendue au rez-de-chaussée après avoir fermé de l'extérieur la porte à clé et laissé la clé sur la serrure. En se rendant à la cuisine, elle a vu sa mère qui regardait la télévision dans le salon. En remontant, elle a vu que la porte était ouverte. L'homme qu'elle aime lui dit que quelqu'un avait ouvert en son absence (…) Alors qu'elle s'interrogeait sur l'identité de la personne qui avait ouvert la porte, l'interphone a sonné. Mawdhy a décroché et elle a entendu sa mère lui dire d'une voix feutrée mais ferme : "Sors le de ta chambre sur-le-champ !". Ce n'est pas encore Leila Baalbaki mais il faut reconnaître que ces Saoudiennes osent en dépit du carcan qui pèse sur leurs épaules. Avec la Syrienne Wafa Sultan, ces dames ont encore de belles pages de contestation à remplir.A. H.

(1) www.neelwafurat.com

(2) C'est à croire que tous les Arabes qui veulent s'exprimer librement et à contre-courant vivent aux Etats-Unis. C'est surtout pour ça qu'on n'aime pas l'Amérique et Bush n'est qu'un dérivatif momentané.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/04/03/article.php?sid=36519&cid=8

Aucun commentaire: