jeudi 30 novembre 2006

Nouvelle alerte au djins

L'immeuble Yacoubian, le film qui met en émoi les futurs épicuriens du paradis, ne sera finalement pas interdit. Le Parlement égyptien, une fois n'est pas coutume, n'a pas suivi les 112 pétitionnaires menés par Mustapha Bacri, député et journaliste aux heures creuses. Le film relate la vie quotidienne d'un immeuble du centre du Caire au milieu du siècle dernier. Mustapha Bacri, appuyé par les Frères musulmans (1) relais naturel du mouvement nassérien, avait demandé la constitution d'une commission d'enquête parlementaire.
Il s'agissait, selon lui, de décider d'interdire le film, projeté actuellement dans les salles, après avoir constaté ses atteintes à la morale islamique. Le principal reproche fait au film du jeune réalisateur Marwan Hamed est de nuire à l'image de l'Egypte en s'attardant sur un personnage aux mœurs hétérodoxes. L'homosexualité étant, de notoriété publique, un phénomène complètement étranger aux sociétés musulmanes. Or, la commission, aussi dévote que Mustapha Bacri et ses "Frères", en a décidé autrement. L'Immeuble Yacoubian poursuivra sa carrière dans les salles. Il s'attaque à des problèmes réels. Les personnages qu'il décrit sont représentatifs de la société égyptienne, a estimé la commission. La production du film avait fait valoir un argument similaire ajoutant que l'œuvre ne défendait pas l'homosexualité puisque le personnage "homo" était tué à la fin du film par un voleur qu'il avait lui-même introduit chez lui. La morale est donc sauve. Reste à dire que le réalisateur du film, Marwan Hamed, a eu beaucoup de mal à trouver un acteur pour interpréter le rôle du gay Hatem. Tous les acteurs célèbres approchés se sont récusés, ce qui est la moindre des précautions dans nos sociétés. La presse égyptienne rapporte même que des dames autruches, choquées, sont sorties pendant la projection du film pour exprimer leur désapprobation. Quant à Ala Al-Assouani, l'auteur du roman dont le film est tiré, il est revenu longuement, la semaine dernière dans le magazine Elaph, sur l'œuvre cinématographique et littéraire. Il évoque notamment les reproches qui lui ont été faits concernant la critique de la révolution nassérienne, présente dans le film. "Je suis plus proche de la pensée nassérienne que d'aucune autre pensée, dit-il. Cependant, Nasser a commis une seule erreur dont nous payons encore aujourd'hui le prix. Il était le seul leader à pouvoir conduire le monde arabe vers la démocratie mais il ne l'a pas fait et c'est ça son erreur. Hormis cela, c'est un rêve, Nasser était un rêve. Il est plus grand qu'un leader." Evoquant les changements intervenus dans la société égyptienne, l'écrivain estime que "le grand problème, c'est la perception qu'avait l'Egypte de l'Islam et celle qu'elle en a aujourd'hui. L'influence du wahhabisme en Egypte est une catastrophe pire que celle de la défaite de1967, dit-il. La religion, c'est la religion et la différence tient entre sa lecture positive ou négative. Nous, en Egypte, nous avons troqué la lecture ouverte de l'Islam contre une lecture fermée. "Lorsque Sadate a accédé au pouvoir en Egypte, les idées de gauche étaient puissantes. Il a estimé que la pensée wahhabite était le moteur idéal pour le pouvoir. C'est ainsi que pendant vint-cinq ans et plus, nous avons vu à la télévision des "cheikhs" énoncer des idée bizarres et sans aucun contenu objectif." On reparle de wahhabisme avec la Somalie où des débats théologiques intenses agitent les "tribunaux islamiques" au pouvoir à Mogadiscio. Après avoir interdit les matchs de football pendant le Mondial et prohibé les fêtes, les nouveaux maîtres de la capitale pensent à infliger la peine de mort aux personnes qui ne font pas la prière. Les Somaliens vont plus loin que leurs maîtres saoudiens: au lieu d'emmener les gens à la mosquée à coups de nerfs de bœuf, il faut les menacer de les tuer. Comme ils sont férus de technologie, ils installeront sans doute des pointeuses aux entrées (et sorties) des mosquées. Ainsi, tout le monde participera à la grande messe de diabolisation des juifs et des chrétiens qui s'organisent en riposte à la destruction du Liban par Israël (2). Wahhabisme encore et toujours, une nouvelle fetwa divise ces jours-ci la nomenklatura bien pensante de Ryadh : le droit légitime d'utiliser la magie et les djinns pour lutter contre l'ensorcellement. La trouvaille est de Cheikh El-Obeikane, membre éminent de l'autorité religieuse officielle. Dans un article publié la semaine dernière par le très officiel Al-Charq al-Awsat, Al-Obéikane défend le droit d'avoir recours à la magie pour défaire un acte de même nature. Il s'appuie, comme tous ses confrères, sur un Hadith authentique (toutes les causes en ont) pour justifier son propos. Commentant cette querelle de clercs, le chroniqueur du site "Middle East Transparency" ironise sur cette énième fetwa, il souligne que de telles sornettes prêteraient à rire si elles venaient d'un petit pays africain comme la Somalie. "Cependant, que cela vienne de la classe des théologiens d'Arabie saoudite (avec ses juges, ses tribunaux, sa police islamique, ses cheikhs spécialisés et ses délégations étrangères chargées de répandre la lumière du wahhabisme) à laquelle appartient El-Obeikane (cet ancien terroriste), voilà qui n'est pas ordinaire. Cette classe coûte au pays entre 10 et 20 milliards de dollars par an. C'est-à-dire que les frais d'entretien de la "classe religieuse wahhabite" sur une période de dix ans suffiraient à rembourser la moitié de la dette globale saoudienne. Pourquoi l'Etat saoudien ne crée-t-il pas un "ministère de la magie, de la sorcellerie et de l'explication de rêves" et ne désigne-t-il pas El- Obeikane comme superministre ? "Une nouvelle fois, un théologien saoudien confirme que l'historien Bernard Lewis (3) avait raison de dire que la place du wahhabisme dans l'Islam est semblable à celle qu'occupe le Ku Klux Klan dans la chrétienté", conclut notre confrère. Pour votre édification, le numéro du supplément bihebdomadaire d' Al- Khabar, "Hawadeth", daté du 3 au 16 juillet, consacre sa "une" au monde des djinns. La journaliste qui traite du sujet commence par nous mettre en garde contre la tentation de nier l'existence des djinns en citant un verset du Coran. Ainsi tétanisés, nous ne pouvons que donner du crédit aux histoires de Aïcha, Louiza et Mourad. Aïcha élève un enfant né des œuvres d'un djinn. Louiza n'a pas encore atteint ce stade mais ça ne saurait tarder. Un djinn l'a enlevée et l'a épousée au su de toute la ville de Boudouaou, selon notre consœur. Quant à Mourad, son cas est bien plus grave: sa femme le trompe avec un djinn et dans son propre lit. Alors, méfiez-vous jeunes gens, les djinns sont parmi vous. Un conseil intéressé: lorsque vous abordez une jolie femme, commencez par réciter des incantations. Si la cible s'enfuit à toutes jambes, c'est qu'elle est soit une laïque invétérée, soit un djinn femelle. Dans les deux cas, vous aurez perdu l'occasion de votre vie. A. H.

(1) Une précision ici : les députés Frères musulmans, parti non autorisé, n'ont pas signé la pétition contre le film mais le mouvement a soutenu indirectement la campagne de Mustapha Bacri sur son site Internet.

2) Au passage, j'ai apprécié cette déclaration d'un dirigeant palestinien qui a qualifié la conférence ministérielle du Caire de "piqûre anesthésiante". Ce qui veut dire que s'il y a un sommet, ce sera pour l'ablation d'organes essentiels.

3) L'historien anglais établi aux Etats-Unis est la référence du gouvernement américain en matière d'Islam. Bernard Lewis a, notamment, inventé la formule du "choc des civilisations" par laquelle les extrémistes des deux camps maintiennent l'ordre établi
Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/07/17/article.php?sid=41190&cid=8

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