mercredi 29 novembre 2006

Tempête dans un sablier figé

Hassan Tourabi continue de faire des vagues avec ses fetwas audacieuses concernant la femme. Il a, ce faisant, touché tous les dignitaires musulmans là où ça fait mal. Il sait, le bougre, que des sujets pareils font monter l'adrénaline chez les vieux théologiens, en principe réduits à la portion congrue sur ce terrain-là. Diable ! C'est qu'il s'attaque à la source et à la vitalité des fonds de retraite pour vieillards libidineux.

Il n'y a, en effet, que la perspective de perdre des avantages comme les ersatz de “Houris” sur terre qui peut les faire se lever comme un seul homme. Enfin, comme un seul homme qui peut encore se mettre debout. Bref, ne tombons pas dans le trivial. Pour faire court, disons que Hassan Tourabi n'aurait pas dérangé autant s'il avait délivré des fetwas sur le sexe des anges ou le mariage d'un djinn musulman avec une mortelle loubavitch. C'est donc la tempête dans les Sarl musulmanes mais une tempête dans un sablier fermé. En l'occurrence, ce sablier-là est hermétiquement obturé dans sa partie étranglée pour empêcher le temps de s'écouler. Nous sommes donc dans le cas d'une société qui n'est même pas autorisée à se rendre dans l'autre partie du sablier. Celui-ci a, d'ailleurs, été retourné par précaution et toute l'agitation est confinée dans sa partie inférieure. Une tempête dans un verre d'eau chaude (avec tendance à l'ébullition) recouvert par une dalle en béton. C'est une situation caractéristique de la vacance de l'intelligence et de l'esprit critique, priés d'aller voir ailleurs sous peine de tribunaux d'exception. De ce point de vue, notre ami Djamel Al-Bana ne verse pas dans l'excès avec cette formule : “Les peuples musulmans ont donné congé à leurs cerveaux depuis mille ans.” En lançant sa salve de fetwas (1), il y a une dizaine de jours, Hassan Tourabi savait très bien qu'il n'ébranlerait pas le mur des certitudes qui entoure les peuples de l'Islam. Il a juste redonné vie au malentendu en donnant à croire qu'il y a un débat d'idées à l'intérieur de notre “Guantanamo” spirituel et culturel. Il refait, à son détriment peut-être, l'unité d'un monde unifié sous la bannière de l'intolérance religieuse et dominé par des clercs qui agissent comme tels mais refusent d'endosser l'uniforme. En fait, il y a débat mais les seules idées tournent quasi exclusivement autour de cette question : “Comment châtier le coupable, c'est-à-dire Tourabi?”. Les réactions dans les médias aux propos du dirigeant soudanais reflètent assez bien cette réalité. Hormis quelques rares approbations, la condamnation est quasi unanime comme en témoigne le dossier consacré au sujet par Al- Khabar Hebdo. En posant la question de savoir si Tourabi était “un rénovateur ou un hérétique”, notre confrère entendait sans doute obtenir des avis algériens partagés. Les quatre avis “autorisés” vont tous dans le même sens même s'ils diffèrent par la sévérité du discours. Mohamed Cherif Gaher, président du comité de la fetwa au Haut- Conseil islamique (HCI), est, comme à son habitude, sans nuances. Il affirme que tous les dignitaires du monde musulman doivent prendre leurs responsabilités. Ils doivent inciter Tourabi à revenir dans le droit chemin, sinon ils s'exposent, lui et ses semblables, “aux mesures qu'impose la religion afin de protéger l'Islam de la déviation”. Car, ajoute-t-il, les musulmans ne peuvent se taire devant ces fetwas qui frappent l'Islam au cœur”. Avec plus de doigté, le président du même Haut-Conseil botte en touche. Sur la question du droit de la femme à diriger la prière et l'Etat, Cheikh Bouamrane refuse de se prononcer. “Il appartient à l'ensemble des théologiens musulmans de réfléchir (ijtihad) au problème et de le trancher”, dit-il. Encore faudrait- il, cher Monsieur, que les portes de l'ijtihad soient à nouveau ouvertes. Ce qui est loin d'être le cas. Même réponse de Cheikh Bouamrane en ce qui concerne le hidjab, source de divergence d'interprétations. Il renvoie le débat sine die. Quant au retour du Messie (2) que Tourabi estime improbable, “il appartient d'abord aux chrétiens d'en débattre et nous ne devons pas trop nous y attarder”. Prudence, prudence ! On retiendra tout de même la position médiane de Cheikh Abderrahmane Chibane, président des Ulémas algériens. Lui, au moins, sait ce qu'est une tempête dans un verre d'eau chaude et il sait encore que la voie du milieu est la plus appropriée sur les autoroutes de la foi. Hassan Tourabi “a pratiqué l'ijtihad et il s'est trompé mais nous ne disons pas qu'il est hérétique et nous refusons de jeter la suspicion sur sa foi et sur ses orientations”, dit-il. Plusieurs articles accompagnent ces réactions dont l'un a particulièrement attiré mon attention. Il ressemble étrangement, par le titre et par le contenu (3), à un texte publié en 2003 sur le site “Islam on line”(http://www.islamonline.net /arabic/famous/2003/06/article 03.shtml). On y apprend que le Soudanais le plus controversé “est l'un des meilleurs penseurs islamistes au monde et, en même temps, le pire des hommes politiques”. Hors des usines à fetwas, en phase de surproduction et dont les cours grimpent aussi vite que le prix du pétrole, des hommes continuent de réfléchir et de proposer. C'est le cas de l'Egyptien Mohamed Sobhi Mansour, théologien défenestré de l'université Al-Azhar, qui vit aujourd'hui au Canada (4). S'appuyant sur une argumentation solide, il affirme dans un premier article publié jeudi dernier par le magazine Elaph que la représentation des prophètes dans une pièce ou un film n'est pas interdite. A la question “la représentation du Prophète dans une œuvre dramatique est-elle “haram”? Il répond non et il explique : “La règle dans la Charia islamique est la permissivité (Ibaha) et l'interdiction (haram) est l'exception. Le Coran énumère dans le détail ce qui est licite et ce qui est illicite et tout ce qui n'est pas explicitement interdit est donc permis. La représentation physique des prophètes n'est pas stipulée comme haram dans le Coran. Elle n'est donc pas interdite.” Mohamed Sobhi Mansour relance un très vieux débat et règle, en même temps, un vieux compte avec l'université cairote qui l'a exclu. Il rappelle, en préambule à sa réflexion, la position de ses ex-confrères au sujet du film de Mustapha Al- Akkad, Errissala ( Le Message). Le regretté cinéaste syrien avait pris soin de choisir Hamza, l'oncle du Prophète, comme personnage central de son film. Malgré ce choix, les cheikhs d'Al-Azhar continuent, en effet, d'interdire la projection du Message en Egypte, affirme cet “azhari” remercié pour la hardiesse de ses idées. Ce qui pouvait lui arriver de mieux. A. H.

(1) Des amis m'ont fait remarquer que j'avais omis de mentionner la fetwa sur la consommation de vins et spiritueux. J'ai imaginé la réaction de mes détracteurs qui aurait été sans doute la suivante : “Bien sûr, il n'a pas raté l'occasion. La fetwa sur l'alcool arrange les fans de Bacchus comme lui.”

(2) Là encore, je m'accuse d'autocensure mais, par les temps qui courent, parler du Messie fait partie des sujets qui fâchent. Je ne voudrais pas me risquer à mettre en péril la concorde nationale.

(3) Comme j'ai une frilosité très marquée vis-à-vis des copistes et des plagiaires, je me suis posé des questions. Il appartient à mes estimés confrères de l'hebdomadaire en question d'en juger. (4) Ailleurs, il aurait été traité comme Tourabi. Mais comme il n'a pas une armée de militants prêts à se battre pour lui, comme le dirigeant soudanais, il a opté pour la sécurité d'un pays démocratique et accueillant.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/04/24/article.php?sid=37484&cid=8

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