mercredi 29 novembre 2006

Casser le miroir ou changer l'image

Nancy Agram a trouvé le moyen de faire fondre les dernières réticences égyptiennes à son égard. Elle chante: Je suis un Egyptien, nouvel hymne à la gloire du pays des pharaons. Nationalisme, quand tu ronronnes sous les caresses ! Nancy aurait pensé à dire : “Je suis une Egyptienne” pour le 8 mars mais le nationalisme est masculin.


Sur ce plan, Chabane Abderrahim est actuellement le chanteur le plus populaire d'Egypte.Physiquement, il ressemble à un pirate repenti qui a longtemps bourlingué et amassé du butin. On peut deviner, à voir les cicatrices de son visage, qu'il a reçu et, sans doute, donné des coups. Son allure générale est celle d'un trabendiste prospère comme l'attestent les lourds bijoux qu'il porte au cou et aux mains. Ce n'est pas là le portrait d'un chanteur mais Chabane Abderrahim chante pourtant. Avec lui, tout commence, ou finit, avec des chansons. A-t-il du talent? Il est évident qu'il ne sera jamais un “rossignol brun”. En fait, il parle plus qu'il ne chante et sa musique ne devra jamais rien à Baligh Hamdi. Chabane Abderrahim est un chanteur d'occasions. Entendez par là qu'il lance des tubes à succès populaire garanti pour marquer de grands évènements. N'étant ni un poète de cour, ni un poète tout court, il se borne à chanter comme il se doit. Et il chante juste puisque ses cassettes et ses vidéos clips rivalisent avec les prêches du sémillant Omar Khaled. Chabane Abderrahim bâtit ses succès sur une seule alternative : il aime ou il n'aime pas. Il a fait un tabac avec son titre Moi, je hais Israël ! On aurait adhéré s'il ne disait pas en même temps qu'il aimait Amr Moussa, le visage imperturbable de la Ligue arabe. Le chroniqueur égyptien Khaled Mountassar propose au chanteur cette nouvelle chanson Moi, je hais la grippe aviaire ! C'est ainsi, pense-t-il, qu'on pourrait faire de ce drôle d'oiseau l'arme fatale contre la maladie des volatiles. L'idée est tentante quoique l'issue soit incertaine. Certes, il n'a pas réussi, avec sa déclaration de haine, à détruire Israël ni à doper la Ligue arabe. Mais, sait-on jamais ? Peut-être qu'une telle chanson relayée par les minarets pourrait persuader les migrateurs de passer au large ? Tant qu'à faire, on aurait pu lui demander de proclamer sa haine des Soudanais. Ce qui aurait sans doute évité la “bousculade” de La Mecque, fatale à des dizaines de Soudanais. Chabane Abderrahim lance actuellement une compilation de ses œuvres intitulée Je n'ai pas peur du gouvernement. Ce qui dénote un changement de terminologie même si, dans tous les cas d'espèce, le problème est d'être aimé ou non du gouvernement. Chabane, en l'occurrence, ne dérange pas le gouvernement comme l'ont fait Fouad Negm ou Nawal Saddaoui. Ce n'est pas en lançant des traits contre le Danemark qu'on dérange les pouvoirs. Ces derniers sont, pour l'heure, aussi anti-danois qu'on peut l'être dans la limite du diplomatiquement correct. Et sur ce registre, notre ami Chabane est dans la plénitude de son “art”. Il chevauche allègrement sur la crête de la vague anti-caricatures avec ce titre lourd de sens Nous sommes à bout de patience. Dans ce clip bâti sur des scènes de manifestations antidanoises, il se fait le champion du peuple offensé. Diffusé régulièrement sur les chaînes satellites, ce clip entretient la colère. Chabane Abderrahim y distille des propos désobligeants, voire racistes, contre le Danemak. Il lance des appels au boycott des produits danois mais proclame que “ce n'est pas assez”.



Beaucoup plus intelligent, le téléprêcheur égyptien Omar Khaled compte organiser, jeudi et vendredi prochains, à Copenhague même, une conférence sur le thème : “Voici notre Prophète”. Selon le quotidien Echarqal- awsat, cette conférence réunira quelque 170 théologiens musulmans. Youssef Al- Karadhawi qui maintient son appel au boycott du Danemark s'est dit opposé à une telle manifestation. Apparemment désireux de voler de ses propres ailes, Omar Khaled affirme qu'il ira au Danemark en dépit de l'hostilité de Karadhawi. “Il est temps d'opter pour le dialogue”, dit-il. Quant au pays concerné, le Danemark, il se dit déterminé à poursuivre sa politique de dialogue et de coopération avec le monde arabe en dépit des évènements actuels, rapporte également le quotidien saoudien. Du côté du Vatican, en revanche, l'attitude est plus contrastée et tranche avec la règle traditionnelle de prudence en matière de relations avec les pays musulmans. Echarqal- Awsat met en exergue les propos du pape qui a invoqué le principe de réciprocité en recevant récemment le nouvel ambassadeur du Maroc auprès du Saint Siège. Le pape a affirmé que “l'intolérance et la violence ne constituaient pas une réaction justifiée aux offenses”. La seule réponse acceptable, selon lui, est “le respect des croyances des autres et de leurs pratiques religieuses. De sorte qu'il soit donné à chaque individu, sur la base de la réciprocité, la liberté d'exercer le culte de son choix”. Le quotidien de Londres cite encore les déclarations d'un autre responsable du Vatican, celles-ci beaucoup plus directes. “De même que nous assurons, en Europe, la sécurité des minorités musulmanes. De même, il appartient aux pays à majorité musulmane d'assurer la sécurité des minorités chrétiennes”. Le journal cite également cette déclaration d'un membre du Saint siège : “Si nous devons dire aux nôtres (les chrétiens) qu'il n'existe pas de liberté de porter atteinte aux autres, nous devons, en contrepartie, dire aux autres qu'ils n'ont pas la liberté de nous détruire.” Observateur vigilant de tout ce qui se rapporte aux relations entre l'Occident et l'Orient, Echarq-al-Awsat fait part, enfin, des avertissements de l'Australie à sa communauté musulmane. “Que les musulmans qui n'acceptent pas la Constitution laïque de l'Australie s'en aillent”, a affirmé le futur Premier ministre d'Australie. Pour sa part, le ministre du Trésor, Peter Costello, a rappelé que “tous les immigrants devaient accepter les valeurs de l'Australie”. Il a incité “ceux qui voudraient que l'Australie soit régie par la “Charia” à aller vivre dans un pays où elle est de règle”. Le journal rappelle incidemment que 300 000 musulmans vivent actuellement en Australie. Ceci dit, l'Occident chrétien ne fait aucun effort pour combler une lacune fondamentale, source de conflits, dans son approche de l'Islam. Ainsi, historiens, penseurs et théologiens se sont attachés à réduire la portée du message divin du Prophète. Comment ? En privilégiant systématiquement la stature d'homme d'Etat, de stratège, voire d'homme d'épée au détriment du Messager de Dieu. La pédagogie occidentale vise méthodiquement à diviniser Jésus et à surhumaniser le Prophète de l'Islam. C'est ainsi que dans le regard de l'Occident, notre Prophète est un homme politique qui a fondé une nation. C'est paradoxalement cette vision de l'Occident qui domine chez les tenants de l'intégrisme avec leur diptyque Islam-Etat. Ce qui distingue les tenants de l'Islam politique des Occidentaux, c'est leurs voyages dans les textes. Ils se servent de Hadiths faibles ou apocryphes ou des versets dits de l'épée pour étayer leur idée d'un Etat mythique et l'imposer par la persuasion ou la violence. Comme ils sont très peu convaincants, ils recourent à l'épée, à la contrainte, c'est-à-dire au terrorisme. C'est cette image que le miroir des autres reflète aujourd'hui. Et il ne sert à rien de casser le miroir. Il faut juste changer l'image, si c'est encore possible.A. H.

Le soir d'Algérie Ahmed Alli http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2006/03/06/article.php?sid=35241&cid=8

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